Est-ce que le salarié bénéficie de sa liberté d'expression au travail ?

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans des cas déterminés par la Loi."

Article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen

Par principe, même au travail, les salariés bénéficient de la liberté d'expression. En effet, la liberté d'expression est une liberté qualifiée de fondamentale, c'est-à-dire qu'elle est l'un des piliers de notre démocratie. À ce titre, elle est garantie à tous les citoyens et est protégée (1).

Ainsi, le salarié ne peut pas voir ses libertés individuelles et collectives restreintes, sauf si cela est justifié par la nature de la tâche à accomplir ou proportionné au but recherché (2).

En vertu de sa liberté d'expression directe et collective, un salarié peut donc parfaitement émettre des critiques et une opinion sur son entreprise ou l'organisation du travail au sein de celle-ci, sans craindre d'être sanctionné. En revanche, s'il abuse de ce droit, son employeur peut considérer qu'une sanction doit être prise (3).

 Par exemple, il a récemment été jugé qu'une salariée qui se borne à critiquer les modalités de rémunération de ses heures de travail, ses conditions de travail, et à dénoncer un harcèlement à son égard, sans propos excessifs, injurieux et diffamatoires, n'abuse pas de sa liberté d'expression. Par conséquent, ses propos ne peuvent être sanctionnés (4).

Il y a donc une limite à cette liberté : le salarié ne peut librement abuser de sa liberté d'expression au travail. Un tel abus peut résider dans le fait de tenir des propos excessifs, injurieux ou diffamatoires (propos injurieux, xénophobes, etc.). 

 Le salarié doit, en conséquence, toujours veiller à ne pas dépasser cette frontière entre sa liberté d'expression, et l'abus de celle-ci. Tant qu'il reste dans cette limite, son employeur ne peut pas le sanctionner. Si tel est néanmoins le cas, la sanction serait potentiellement annulée par le juge.

 Consultez cet article : Contester une sanction disciplinaire : 6 points à vérifier avant de vous lancer !

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J'ai insulté mon employeur au travail : puis-je être sanctionné ? 

Si le salarié peut librement émettre une opinion, il ne peut tenir de propos excessifs, injurieux ou diffamatoires. Par conséquent, un salarié qui insulte son supérieur hiérarchique peut tout à fait être sanctionné.

 L'employeur devra alors prendre sa décision en fonction : 

  • du contexte dans lequel les propos injurieux ont été prononcés (humour déplacé, etc.) ;
  • de la publicité faite aux propos injurieux (propos tenus en présence de quelques personnes ou sur les réseaux sociaux avec un profil doté d'une large audience) ;
  • du niveau de responsabilité du salarié dans l'entreprise ;
  • de l'ancienneté de celui-ci dans l'entreprise ;
  • des éventuelles sanctions disciplinaires qui ont déjà pu être prises à son égard (son passé disciplinaire) ;
  • de sa tolérance et de celle des collègues.

Si le salarié conteste la sanction devant le juge, ce dernier fera également une appréciation in concreto des faits reprochés. Cela signifie qu'il observera le contexte dans lequel ces faits ont été commis (ancienneté du salarié, passé disciplinaire, etc. (5)). 

Quelle sanction peut m'être infligée à la suite d'une insulte ou de propos vulgaires au travail ?

Une sanction disciplinaire en raison d'une ou de plusieurs insultes peut aller du simple blâme ou avertissement, à la rétrogradation, ou, dans les cas les plus graves, au licenciement pour faute (6).

C'est à l'employeur de décider de la nature de la sanction, en fonction de ce qui est prévu dans son entreprise (convention collective, règlement intérieur) mais également en fonction de la gravité de la faute. Plus il considère que la faute est importante, plus la sanction peut s'avérer lourde de conséquences pour le salarié. En tel cas, il doit respecter la procédure qui lui est imposée (7).

Si le salarié considère que la sanction infligée n'est pas proportionnelle vis-à-vis des faits commis, ou que la procédure disciplinaire n'a pas été respectée (entretien préalable, délais de prescription, etc.) il peut demander à l'employeur de revoir sa sanction, ou saisir le conseil de prud'hommes.

 Attention ! Même en cas d'insulte, un employeur n'a pas le droit d'infliger une sanction financière telle qu'une amende (8).

 Cet article peut vous aider à approfondir le sujet : Faute simple, faute grave et faute lourde : quelles différences ?

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J'ai insulté mon employeur sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, LinkedIn, X, etc.). Est-ce qu'il a le droit de me sanctionner ?

Oui, potentiellement, un salarié qui insulte son employeur sur les réseaux sociaux peut faire l'objet d'une sanction disciplinaire.

Par principe, ce qui est dit sur les réseaux sociaux personnels du salarié relèvent de sa vie privée. Néanmoins, par exception, il ne peut pas, une nouvelle fois, abuser de sa liberté d'expression. Depuis plusieurs années, le juge considère que des propos injurieux, même tenus en dehors des lieux et temps de travail, peuvent conduire à une sanction disciplinaire s'ils sont rattachables à la vie de l'entreprise (9).

En revanche, dans le cas des réseaux sociaux, tout va dépendre des paramétrages de confidentialité du profil du salarié, afin de savoir si les propos injurieux ont un caractère public ou non :

  •  si les propos sont tenus sur un profil accessible seulement aux seules personnes autorisées par le salarié, en nombre très restreint, ils n'ont pas de caractère public. Dans ce cas, l'employeur n'a pas la possibilité de les sanctionner (10) ;
  • à l'inverse, plus l'audience du salarié est importante, et plus il est probable que le juge considère que les propos tenus ont un caractère public, et qu'ainsi, l'employeur peut les sanctionner. Autrement dit, cette solution pourrait s'appliquer à un salarié qui à un profil restreint, mais un nombre important d'abonnés.

Précisons toutefois que le juge a admis qu'un employeur puisse porter atteinte à la vie privée du salarié pour prouver sa faute, à la condition que la production de ladite preuve soit indispensable à ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

 Tel était le cas d'un employeur qui avait sanctionné l'un de ses salariés en raison d'une photo confidentielle dévoilée sur son profil Facebook privé (ici, une photographie de la prochaine collection printemps/été de son entreprise), tandis que, parmi ses contacts, se trouvaient des salariés d'entreprises concurrentes. L'employeur avait produit des extraits de ce profil Facebook, qu'il avait obtenu par le biais d'une collègue de ce salarié, qui lui avait spontanément envoyé des captures d'écran. Le juge a alors accepté cette preuve (11).

En conséquence, il est important, pour un salarié, de paramétrer correctement ses réseaux sociaux, de veiller à ce qu'il y partage et de vérifier qui y a accès parmi ses contacts.

 Attention ! Rappelons que certains propos et injures tenus par le salarié peuvent faire l'objet de poursuites pénales (racisme, homophobie, diffamation, etc.), notamment s'ils sont tenus sur des réseaux sociaux.

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Est-ce que la sanction peut aller jusqu'au licenciement pour faute grave ou lourde ?

Nous l'avons vu, il appartient à l'employeur de choisir la sanction appropriée en fonction du comportement fautif du salarié. 

En matière d'insultes et d'injures, la jurisprudence de la Cour de cassation est diverse et variée. Elle peut retenir des solutions différentes pour une même expression, en fonction des faits et des circonstances.

Si dans certains cas, les propos injurieux tenus justifieront une sanction légère (avertissement, blâme...), dans d'autres cas, les juges valideront une sanction plus lourde prononcée à l'encontre du salarié, si les propos tenus rendent impossible le maintien de celui-ci dans l'entreprise (licenciement pour faute grave par exemple).

Si les faits sont particulièrement graves et rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, l'employeur peut également prononcer une mise à pied conservatoire.

À l'inverse, certains propos injurieux constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement sans pour autant justifier un licenciement pour faute grave ou lourde. En d'autres termes, la cessation du contrat de travail n'a pas besoin d'être immédiate, sans exécution d'un préavis. 

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À retenir :

Insulter votre patron, ou des collègues peut être un motif de licenciement.

Exemple de licenciement pour faute grave disproportionné

 Pris dans leur contexte, certains propos insultants sont considérés par le juge comme trop peu importants pour justifier qu'un maintien du salarié dans l'entreprise est impossible. C'est le cas d'un conducteur de travaux qui a traité son employeur de "connaud" au cours d'une discussion avec ce dernier qui lui reprochait d'être arrivé sur un chantier avec 1h20 de retard . Le juge relève que le salarié, au service de l'employeur depuis 20 ans, avait présenté ses excuses et n'avait eu qu'un seul propos grossier dans l'ensemble de sa carrière. Un licenciement pour faute est jugé disproportionné (12).

 Autre exemple récent, un salarié avait adressé à son supérieur hiérarchique un message agressif et insultant, dont il avait fourni une copie à 4 collègues. Selon le juge, ce comportement ne constituait pas une faute grave, en raison de l'absence de passé disciplinaire du salarié, mais également car les faits imputés avaient été commis au cours d'une période de dépression sévère (13).

Exemple de propos injurieux justifiant un licenciement pour faute grave 

Dans certains cas, les juges valident le licenciement pour faute grave. Pour rappel, la faute grave est d'une telle gravité que l'employeur ne peut maintenir, même temporairement, le salarié dans l'entreprise. Elle justifie la cessation immédiate du contrat (13).

 Commet manifestement un abus dans l'exercice de la liberté d'expression, constitutif d'une faute grave, la salariée membre de l'équipe de direction, qui traite ouvertement son supérieur hiérarchique et directeur de l'établissement de "bordélique qui perd tous ses papiers", de "tronche de cake" et tient des propos de nature à gravement déconsidérer la personne concernée tels "qu'il n'est pas apte à être directeur" et "qu'il n'est rien d'autre qu'un gestionnaire comptable" (14).

Enfin, pour qu'un licenciement pour faute lourde puisse être prononcé, la volonté de nuire à l'employeur ou à l'entreprise doit être établie (15).

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Références :

(1) Article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (DDHC)
(2) Article L1121-1 du Code du travail ; Cass. Soc. 28 avril 2011, n°10-30107 
(3) Cass. Soc. 21 septembre 2022, n°21-13045
(4) Cass. Soc. 24 novembre 2021, n°19-20400
(5) Exemple d'appréciation in concreto d'une faute : Cass. Soc. 17 janvier 2024, n°22-24589
(6) Article L1331-1 du Code du travail 
(7) Article L1332-2 du Code du travail
(8) Article L1331-2 du Code du travail
(9) Cass. Soc. 10 décembre 2008, n°07-41820
(10) Cass. Soc. 10 avril 2013, n°11-19530
(11) Cass. Soc. 30 septembre 2020, n°19-12058
(12) Cass. Soc. 16 février 1987, n°84-41065
(13) Cass. Soc. 19 mai 2021, n°19-20566
(13) Cass. Soc. 27 septembre 2007, n°06-43867

(14) Cass. Soc. 6 mars 2019, n°18-12449 
(15) Cass. Soc, 19 novembre 2008, n°07-43361