L’employeur peut-il imposer à ses salariés de justifier d’un pass sanitaire ou d’une schéma vaccinal complet ?

Depuis un an et demi, le choix du gouvernement était de limiter les déplacements des Français afin de limiter les interactions sociales considérées comme vectrices de propagation du virus. 

C’est dans cette optique que le gouvernement et le législateur français ont décidé des mesures restrictives de la liberté d’aller et venir telles que les couvres-feus successifs ou les deux confinements de mars 2020 et octobre 2020.

Avec la loi du 5 août 2021, le choix est différent.

 

Désormais, il s’agit de réserver l’accès à certains lieux ou à certains événements aux individus qui justifient d’une certaine situation sanitaire.

Précisément, la loi du 5 août 2021 et le décret du 7 août 2021[1] déterminent les lieux pour lesquels les usagers doivent justifier d’un pass sanitaire consistant en la présentation :

-       D’un schéma vaccinal complet

-       D’un résultat négatif d’un test RT-PCR, test antigénique ou autotest réalisé sous la supervision d’un professionnel de santé de moins de 72 heures ;

-       D’un résultat positif d’un test RT-PCR ou test antigénique attestant du rétablissement du Covid-19 datant d’au moins 11 jours et de moins de 6 mois.

Cette décision a nécessairement un impact sur le travail.

En effet, l’obligation de pass sanitaire pour les usagers se rendant dans certains lieux ou à certains événements a pour conséquence directe l’obligation de pass sanitaire pour les salariés travaillant dans lesdits lieux ou événements.

La loi du 5 août 2021 va même plus loin pour certains salariés et dans certains établissements, précisés dans le texte, en les obligeant à justifier d’un schéma vaccinal complet.

Dans ce contexte, l’employeur est érigé en véritable contrôleur du pass sanitaire pour les salariés concernés.

L’employeur comme acteur central de la nouvelle politique gouvernementale en matière de lutte contre le Covid-19 :

La loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire fixe un certain nombre de lieux ou événements présentant un risque élevé de propagation du virus au sein desquels ne peuvent être présents que des individus justifiant d’un pass sanitaire.

Précisément, il s’agit des lieux ou événements suivants :

-       Salles d’auditions, de conférences, de projet, de réunion ;

-       Salle de concert et de spectacle ;

-       Cinémas ;

-       Musées et salles d’exposition temporaire ;

-       Festivals ;

-       Événements sportifs ;

-       Établissements sportifs clos et couverts ;

-       Établissements en plein air ;

-       Conservatoires, lorsqu’ils accueillent des spectateurs, et autres lieux d’enseignement artistique à l’exception des pratiquants professionnels et personnes engagées dans des formations professionnalisantes ;

-       Salles de jeux, escap-games, casinos ;

-       Parcs zoologiques, parcs d’attractions et cirques ;

-       Chapiteaux, tentes et structures ;

-       Foires et salons ;

-       Séminaires professionnels de plus de 50 personnes, lorsqu'ils ont lieu dans un site extérieur à l'entreprise ;

-       Bibliothèques ;

-       Manifestations culturelles organisées dans les établissements d'enseignement supérieur ;

-       Fêtes foraines comptant plus de 30 stands ou attractions ;

-       Navires et bateaux de croisière avec restauration et hébergement ;

-       Établissement de culte lorsqu’ils accueillent des activités culturelles ;

-       Tout événement culturel, sportif, ludique ou festif organisé dans l’espace public ou dans un lieu ouvert au public susceptible de donner lieu à un contrôle de l'accès des personnes ;

-       Discothèques, clubs et bars dansants ;

-       Bars, cafés et restaurant y compris en terrasses, à l'exception des cantines, restaurants d'entreprise, ventes à emporter de plats préparés, restauration professionnelle routière et ferroviaire, des services en chambres et des petits-déjeuners dans les hôtels et de la restauration non commerciale comme la distribution gratuite de repas ;

-       Réceptions de mariages, comme les fêtes privées, qui ont lieu dans des établissements recevant du public (salles des fêtes, hôtels, châteaux, chapiteaux…).

-       Hôpitaux pour les personnes se rendant à des soins programmés, sauf décision contraire du chef de service ou de l'autorité compétente quand l'application du pass peut nuire à l'accès aux soins ;

-       Maisons de retraites, établissements médico-sociaux pour les accompagnants ou les visiteurs ;

-       Les déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux, sauf en cas d'urgence faisant obstacle à l'obtention du justificatif : avions (vols intérieurs), trains (TGV, Intercités, trains de nuit) et les cars interrégionaux non conventionnés.

-       Les grands centres commerciaux supérieurs à 20 000 m2, sur décision du préfet du département, lorsque leurs caractéristiques et la gravité des risques de contamination le justifient.

Le fait de contraindre les usagers à justifier d’un pass sanitaire pour accéder à ces lieux ou événements entraîne pour conséquence directe l’obligation des salariés travaillant au sein de ces lieux ou événements de justifier, eux-aussi, d’un pass sanitaire.

L’autorité de contrôle du pass sanitaire désigné par les textes légaux est « l’exploitant de l’établissement » et non expressément l’employeur.

Néanmoins, dans l’immense majorité de cas, l’exploitant de l’établissement est l’employeur, c’est la raison pour laquelle le choix a été fait de parler de l’employeur.

Dans ce cas, l’employeur des salariés travaillant dans l’un des lieux susvisés a l’obligation de contrôler le pass sanitaire de ses salariés.

L’employeur a donc l’obligation d’exiger de ses salariés qu’ils justifient d’un pass sanitaire et de suspendre leur contrat de travail si ce n’est pas le cas selon l’article 1er de la loi du 5 août 2021.

S’il ne le fait pas l’employeur encourt une mise en demeure et si celle-ci demeure infructueuse, une fermeture administrative de son établissement toujours selon l’article 1er de la loi du 5 août 2021.

En cas de manquements répétés, l’employeur encourt même une peine d’emprisonnement d’un an et 9 000 euros d’amende.

Pour certains salariés limitativement énumérés par la loi du 5 août 2021, l’obligation va même plus loin.

En effet, certaines professions ou certains établissements listés par l’article 12 de la loi du 5 août 2021 sont soumis à l’obligation vaccinale.

Les salariés travaillant au sein de ces professions et au sein de ces établissements ont donc l’obligation de justifier d’un schéma vaccinal complet au plus tard le 15 octobre 2021, sous peine de voir leur contrat de travail suspendu.

Là encore, les exploitants des établissements susvisés, dans l’immense majorité des cas les employeurs, doivent contrôler que leurs salariés justifient d’un schéma vaccinal complet.

A noter qu’entre le 15 septembre 2021 et le 15 octobre 2021, le contrat de travail du salarié ne sera pas suspendu s’il justifie de l’injection d’une première dose de vaccin et d’un test virologique négatif au Covid-19.

Ainsi, plus qu’un pouvoir, il s’agit d’un véritable devoir pour l’employeur que de contrôler le pass sanitaire ou le schéma vaccinal complet des salariés travaillant au sein des établissements visés par les textes légaux.

L’interdiction d’étendre l’obligation de pass sanitaire ou de schéma vaccinal complet au-delà des seuls cas prévus par la loi :

La question se pose de savoir si l’employeur, exploitant d’un établissement non visé par les textes légaux rendant obligatoire la pass sanitaire ou le schéma vaccinal complet, pouvait contraindre ses salariés à justifier d’un pass sanitaire ou d’un schéma vaccinal complet ?

Il est notamment possible d’imaginer l’hypothèse où un employeur décidait d’user de son pouvoir réglementaire et de son pouvoir de direction pour modifier son règlement intérieur afin d’y ajouter une disposition contraignant les salariés à justifier d’un pass sanitaire voire d’un schéma vaccinal complet.

Une telle façon de faire serait illégale.

En effet, l’article L. 1121-1 du Code du travail dispose en effet que « nul ne peut porter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Imposer à des salariés de justifier d’un pass sanitaire ou pire d’un schéma vaccinal complet est très intrusif dans les libertés individuelles de ces derniers.

Le fait de contraindre un individu à subir des tests de dépistage contre le Covid-19 ou le fait de contraindre un individu à se faire injecter un vaccin porte atteinte à plusieurs libertés fondamentales (droit au respect de la vie privée, inviolabilité du corps humain, égalité…).

C’est précisément parce que les libertés individuelles des individus sont touchées que les lieux ou événements pour lesquels le pass sanitaire ou le schéma vaccinal complet est exigé, sont limités.

Même si le résultat est contestable, le gouvernement et le législateur français ont procédé à une mise en balance entre les libertés individuelles des individus et les exigences de santé publique.

Il n’y a que dans les lieux inscrits dans la loi du 5 août 2021 que l’atteinte aux libertés fondamentales des individus a été considérée comme proportionnée au but recherché, à savoir la protection de la santé publique.

Toute obligation pour les salariés en dehors des lieux imposés par la loi serait considérée comme disproportionnée et donc illégale.

C’est précisément la raison pour laquelle l’article 1er de la loi du 5 août 2021 dispose notamment que :

« Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 ¤ d'amende le fait d'exiger la présentation des documents mentionnés au premier alinéa du présent F pour l'accès à des lieux, établissements, services ou événements autres que ceux mentionnés au 2° du A du présent II ».

La rédaction de l’article 1er de la loi du 5 août 2021 laisse penser que l’employeur pourrait engager sa responsabilité pénale en contraignant des salariés non concernés par les textes légaux à présenter un pass sanitaire ou un schéma vaccinal complet.

La seule et unique possibilité d’imposer le pass sanitaire ou pire la vaccination à l’ensemble des salariés serait l’adoption d’une loi rendant obligatoire la vaccination à l’échelle de tous les Français ce qui n’est pas prévu à l’heure actuelle.

 

Matthieu LORCET Elève- Avocat

Sandrine PARIS, Avocat associé, Société d’avocats ATALANTE AVOCATS

 

 



[1] Décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire