Le recouvrement de la contribution aux charges du mariage nécessite t’elle la signification préalable de l’ordonnance de non-conciliation du juge aux affaires familiales ? Qui doit signifier ? celle-ci est-elle suffisante si un jugement de divorce est intervenu par la suite ?

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu sur renvoi de cassation par la Cour d'Appel d'Aix en Provence au mois de juin 2021 et qui viens aborder la question spécifique du recouvrement de la contribution aux charges du mariage et de l’exécution du débiteur à ce titre.

Quels sont les faits ?

Dans le cadre d’une procédure de divorce opposant Monsieur G à Madame Y, le mari, Monsieur G, avait été condamné par une ordonnance de non-conciliation du 15 septembre 1997 à verser une contribution de 5 000 francs par mois à l’entretien et l’éducation de chacun des deux enfants communs. 

Leur divorce a été prononcé le 24 septembre 2002 par la Cour d'Appel d'Aix en Provence qui avait modifié la contribution pour la fixer à 400 euros par mois et par enfant.

Par la suite, cette contribution avait totalement été supprimée à compter du 5 mai 2004, aux termes d’un arrêt de la Cour d'Appel d'Aix en Provence en date du 20 juin 2007.

 

Madame Y avait fait délivrer plusieurs commandements de payer sur la base de ces titres, dont la validité avait été contestée par Monsieur G devant le Juge de l'Exécution qui avait statué le 16 janvier 2015.

 

Ces commandements aux fins de saisie vente étaient en date du :

  • 23 juin 2000 pour un montant de 227 898.92 francs, au titre de l’ordonnance de non-conciliation du Juge aux affaires familiales, 
  • 12 février 2004 pour un montant de 106 271.38 euros, au titre de l’ordonnance de non-conciliation du Juge aux affaires familiales, 
  • 12 février 2009, pour 105 667.61 euros toujours au titre de l’ordonnance de non-conciliation du Juge aux affaires familiales, 
  • 5 mars 2009 pour un montant de 6 998.25 euros en exécution d’un arrêt du 24 septembre 2002,
  • 11 février 2014 pour un montant de 215 708.80 euros au titre des deux titres sus énoncés

Or, le Juge de l'Exécution avait :

  • déclaré nuls les commandements de payer du 23 juin 2000 pour absence de décompte sur une somme de 190 000 euros réclamée et 5 mars 2009 pour un décompte ne permettant pas de vérifier la pertinence de la réclamation pour 6 998.25 euros aucune explication n’existant sur une différence chiffrée de 3 372.10 euros qui perdaient ainsi leur effet interruptif de prescription,
  • déclaré prescrite la demande en paiement de Madame Y au titre de la part contributive à l’entretien des enfants du 1er octobre 1997 au 11 février 1999,

 

Un arrêt de la Cour d'Appel d'Aix en Provence en date du 17 juin 2016, avait partiellement infirmé la décision de première instance,  

Par la suite, la Cour de cassation, le 4 juin 2020 a partiellement cassé et annulé l’arrêt du 17 juin 2016. 

Elle l’a censuré sauf en ce qu’il confirme le jugement qui a rejeté l’exception de nullité de l’assignation et déclaré Monsieur G recevable en son action, en remettant l’affaire et les parties devant la cour d’appel autrement composée.

 

Quels enjeux sur renvoi de cassation ? 

Devant la Cour d'Appel de renvoi, Monsieur G soutenait que l’ordonnance de non-conciliation ne lui avait pas été signifiée et, par voie de conséquence, celle-ci ne pouvait donc justifier une mesure d’exécution.

Monsieur G considérait qu’à défaut pour Madame Y de justifier de la signification faite par ses soins de l’ordonnance de non-conciliation en date du 15 septembre 1997 mais aussi de l’arrêt en date du 24 septembre 2002, autre titre qu’elle invoque dans les commandements délivrés, en application de l’article 503 du Code de Procédure Civile, tous les commandements fondés sur ce titre exécutoire étaient entachés de nullité et dès lors dépourvu de tout caractère interruptif de prescription.   

Reprenant un à un les commandements de payer qu’il critiquait, il soutenait d’autant leur nullité qu’il considérait que les décomptes de sommes étaient trop imprécis et dès lors dépourvus de tout caractère interruptif de prescription.

De telle sorte que les mesures aux fins d’obtenir le paiement des sommes liées au contributions aux charges du mariage étaient prescrites. 

Au sujet de la prescription, Madame Y rappelait que depuis l’ouverture de la procédure en compte du régime matrimonial, une contestation était en cours concernant l’étendue de la créance alimentaire devant la juridiction de fond, qui emportait par là même interruption de la prescription. 

La Cour d'Appel rappelle que la Cour de cassation, le 4 juin 2020 a partiellement cassé et annulé l’arrêt du 17 juin 2016 en reprochant à la Cour d'Appel de 

  • n’avoir pas vérifié si l’ordonnance de non conciliation avait été signifiée à Monsieur G à la diligence de Madame Y, peu important qu’il ait lui-même fait signifier la décision à cette dernière, ce au mépris de l’article 503 du Code de Procédure Civile 
  • n’avoir pas répondu au moyen selon lequel, l’arrêt du 24 septembre 2002 n’avait pas été signifié à Monsieur G privant de validité les 5 commandements ce au mépris de l’article 455 du Code de Procédure Civile 

Or, sur le fondement de l’article 624 du Code de Procédure Civile, la Cour de cassation, tire les conséquences de sa décision pour invalider un itératif commandement en date du 11 février 2014 dont le sort est lié à l’effet interruptif des autres actes, que la cour d’appel aura à nouveau à examiner du fait de la cassation.

 

Comment exécuter une décision ?

La Cour d'Appel rappelle qu’aux termes de l’article 503 alinéa 1er du Code de Procédure Civile, les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés, qu’après leur avoir été notifiés, à moins que l’exécution n’en soit volontaire.

Elle considère que les cinq actes dont la validité est actuellement en discussion devant la cour, en date du 23 juin 2000, 12 février 2004, 12 février 2009, 5 mars 2009 et 11 février 2014, visent l’ordonnance de non-conciliation, prononcée entre les parties le 15 septembre 1997 et pour les plus récents, l’arrêt de la cour d’appel en date du 24 septembre 2002.

Dans la mesure où Monsieur G continue de soutenir que ces actes ne lui ont pas été signifiés et Madame Y malgré ces contestations, ne communique aux débats aucune de ces significations, afin de permettre à la Cour d'Appel de s’en assurer, ladite Cour considère qu’il n’est pas suffisant d’affirmer qu’il y a bien eu signification de l’ordonnance de non conciliation en date du 19 novembre 1997 dans la mesure où cette signification est intervenue à la diligence de Monsieur G lui-même, ou la signification de l’arrêt du 24 septembre 2002 à l’avoué le 25 octobre 2002 et à partie, le 6 novembre 2002, sans production de ces documents afin d’en vérifier la portée juridique.

En conséquence de quoi, la cour ne peut qu’invalider les commandements de payer pris sur la base d’une ordonnance de non-conciliation non signifiée par le créancier de la contribution aux charges du mariage, qu’importe qu’elle ait été signifiée par le débiteur. 

 

Ainsi, la Cour confirme le jugement déféré en ce qu’il a déclaré nuls les commandements de payer des 23 juin 2000 et 5 mars 2009 et déclare nuls les commandements de payer aux fins de saisie vente, en date du 12 février 2004, 12 février 2009, 11 février 2014,

Cette jurisprudence est intéressante à plus d’un titre.

Elle rappelle que dans le cadre des mesures d’exécution, l’huissier a une part de responsabilité car il est tenu à l’établissement de décomptes précis et il doit s’assurer que le titre exécutoire sur lequel il se fonde a bel et bien un effet interruptif.

Or dans cette affaire, l’ordonnance de non-conciliation n’a pas été signifiée et quand bien même le débiteur l’aurait fait, le créancier ne peut revendiquer son caractère exécutoire. 

Par la suite, le créancier ne peut signifier la seule ordonnance de non-conciliation du juge aux affaires familiales si un jugement de divorce est intervenu par la suite, fut-ce t’il frappé d’appel. 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE

Avocat, Docteur en Droit