Au sortir d'une inactivité contrainte de plusieurs semaines et afin de tenter de conserver leur activité et leurs emplois, un certain nombre d'entreprises (re) découvrent « l'accord de performance » (APC). Instauré par l'une des ordonnances « Macron » de 2017 puis réaménagé, ce dispositif a depuis lors été intégré au Code du travail sous l'article L. 2254-2.

Ce type d’accord collectif est censé offrir aux entreprises un outil de relance de leur activité, en leur donnant notamment la possibilité de jouer sur les trois leviers que sont la durée du travail, la rémunération et la mobilité ; tout en simplifiant la mise en oeuvre de telles décisions à l’égard du contrat de travail individuel des salariés. 

Selon le Code du travail, le but d’un tel accord est de permettre à l’entreprise, via l’outil de la négociation collective, de (tenter de) répondre à une ou plusieurs problématiques de 3 ordres :

  • Répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ;  
  • Et/ou préserver l’emploi ;
  •  Et/ou développer l'emploi.

Si, en cette période excessivement difficile à appréhender, le 3ème objectif semble bien peu réaliste, les deux premiers offrent davantage de perspectives et de pistes de réflexions pour les entreprises qui souhaiteraient s’engager dans la voie de la négociation d’un accord de performance collective.

En effet, pour bon nombre d’entités, l’enjeu actuel est bien celui de la préservation de l’emploi. Face à un environnement économique totalement inédit et en pleine mutation, ceci doit conduire certaines entreprises à des mutations extrêmement rapides.

L’article L. 2254-2 précité définit non pas le plan ni la table des matières exhaustive d’un accord APC, mais dresse une sorte de vade-mecum destiné à donner aux négociateurs les pistes de réflexion indispensables à leurs choix.

 

I - Tout d’abord, l’accord doit, dans un préambule,

définir ses objectifs. Il appartiendra aux négociateurs de les fixer à leur niveau mais, comme indiqué ci-dessus, ils devront répondre aux nécessités de fonctionnement de l'entreprise et/ou préserver l’emploi.

 

II - Ensuite, pour atteindre de tels objectifs, l’accord de performance collective pourra :

  • Aménager la durée du travail, ses modalités d'organisation et de répartition ;
  • Aménager la rémunération (salaire de base et tout autre avantage et accessoire en espèces ou en nature), dans le respect des salaires minima hiérarchiques définis par la convention collective de branche applicable ;
  • Déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique, interne à l'entreprise.

 

III - L'accord pourra également préciser :

  • Les modalités d'information des salariés sur son application et son suivi, ainsi que, le cas échéant, l'examen de la situation des salariés au terme de l'accord ;
  • Les conditions dans lesquelles les dirigeants salariés, mandataires sociaux et actionnaires de l’entreprise pourront être appelés à fournir des efforts proportionnés à ceux demandés aux salariés pendant toute sa durée ;
  • Les modalités de conciliation entre vie professionnelle, personnelle et familiale des salariés ;
  • Les modalités d'accompagnement des salariés ;
  • L'abondement du CPF.

La loi prévoit quelques garde-fous en matière d’aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine ; par renvoi, notamment aux règles légales d’ordre public applicables en la matière. 

Ainsi, si l'accord APC instaure ou modifie un tel dispositif déjà en place dans l’entreprise (organisation du travail sur un cycle de plusieurs semaines, modulation-annualisation, RTT en jours sur l’année, etc.), l’accord devra prévoir :

  • Un décompte des heures supplémentaires à l'issue de la période de référence fixée (i.e. au-delà de 1 607 h si cette période est annuelle ; au-delà de 35 h en moyenne hebdomadaire sur la période de référence, si celle-ci est inférieure ou supérieure à un an) ;
  • L’information des salariés dans un délai raisonnable en cas de changement dans la répartition de leur durée de travail ;
  • La période de référence (1 an maxi ou, si un accord de branche l'autorise, 3 ans) ;
  • Les conditions et délais de prévenance des changements de durée ou d'horaires de travail (à défaut de stipulation autre, le délai de légal est de 7 jours) ;
  • Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences, des arrivées et des départs en cours de période de référence ;
  • Si l'accord s'applique aux salariés à temps partiel : les modalités de communication et de modification de la répartition de la durée et des horaires de travail ;
  • Les conditions de lissage de la rémunération, si cette option est prévue par l’accord.

Si l'accord APC met en place ou modifie un dispositif de forfait annuel, en heures ou en jours, il devra respecter un certain nombre de dispositions en matière :

  • De catégories de salariés éligibles aux forfaits ;
  • De période de référence pour le décompte du temps de travail ;
  • De volume du forfait d’heures ou jours de travail ;
  • De fixation du forfait de rémunération ;
  • De renonciation éventuelle à des jours de repos ;
  • De prise en compte des absences et des arrivées et départs en cours de période de décompte ;
  • D’évaluation et de suivi régulier de la charge de travail ;
  • De communication avec le salarié sur sa charge de travail, l'articulation activité professionnelle / vie personnelle, la rémunération, l'organisation du travail dans l'entreprise ;
  • De droit à la déconnexion des salariés.

 

IV - Mais les réelles innovations de l’accord de performance collective sont ailleurs

Depuis des années, la loi n’autorise un accord collectif à déroger aux stipulations contractuelles que dans un sens plus favorable au salarié. 

Ce principe figure d’ailleurs toujours à l’article L. 2254-1, qui dispose que « lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou d'un accord, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf stipulations plus favorables ». C’est ce qu’on appelle le « principe de faveur »

Même si le Code du travail a, par le passé, déjà prévu un certain nombre d’exceptions à ce principe, l’accord de performance collective chamboule cette donne en profondeur.

En effet, la particularité de ce type d’accord est de prévaloir sur les clauses du contrat de travail, peu importe qu'elles soient plus ou moins favorables au salarié. 

Comme le précise sans ambiguïté l’article L. 2254-2 précité :

« Les stipulations de l'accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise ».

 

Cela signifie que l’APC peut mettre un terme à la « sainte trinité » que constitue le triptyque « durée du travail / rémunération / fonction », qui veut notamment que durée du travail et rémunération évoluent généralement dans les mêmes proportions.

Da façon triviale et synthétique, on peut soutenir qu’il est possible dans un APC d’envisager des mécanismes comme « travailler autant pour gagner moins », ou « travailler plus pour gagner moins », etc. ; en fonction des solutions retenues par les partenaires sociaux.

 

Ces stipulations ont vocation à se substituer de plein droit au contrat de travail du salarié intéressé, nonobstant les clauses éventuellement plus favorables pour lui et pouvant se trouver dans ledit contrat de travail.

Il en est de même des stipulations de l’APC qui modifieraient un dispositif de forfait annuel (en heures ou en jours) déjà en vigueur : les stipulations du nouvel accord se substitueraient alors de plein droit aux clauses figurant dans le contrat de travail des salariés de l’entreprise en matière de forfait en heures ou en jours.

 

 

V - Quelles sont les conséquences de l’accord de performance collective ?

 

·   Pour le salarié :

 

Il peut, certes, ne rien objecter et poursuivre son contrat de travail selon les nouvelles normes définies par l’APC.

Il peut également refuser la modification de son contrat de travail résultant de l'application de l'APC : il a alors 1 mois pour informer son employeur de son refus, par tout moyen conférant date certaine à sa réponse.

 

·   Pour l’employeur :

 

Il doit tout d’abord informer les salariés :

  • De l'existence et du contenu de cet accord ;
  • Et de leur droit d'accepter ou de refuser l'application dudit accord à leur contrat de travail.

Le but est ici, à l’évidence, que chaque salarié se positionne et prenne sa décision en pleine connaissance de cause. Même si la loi ne le précise pas, l’employeur aurait également tout intérêt à informer sans équivoque les salariés des conséquences de leur éventuel refus et de leur licenciement subséquent.

 

A compter de la notification du refus du salarié, l’employeur a 2 mois pour engager une procédure de licenciement.

L’article L. 2254-2 précité indique que ce licenciement « repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse » : la loi reprend ici le concept du licenciement « sui generis », qui repose sur son propre fondement.

La procédure est celle du licenciement individuel pour motif personnel :

-    Convocation à entretien préalable et entretien au cours duquel le salarié peut se faire assister dans les conditions propres au licenciement ;

-          Préavis de licenciement ;

-          Indemnité compensatrice de préavis ;

-          Indemnité de licenciement.

 

A l’issue, le salarié se voit délivrer un certificat de travail et un reçu pour solde ; il peut s’inscrire à l’assurance chômage.

L'employeur doit également abonder le compte personnel de formation du salarié (CPF) d'un montant minimal de 3 000 ¤.

 

Donc, même s’il essuie un ou plusieurs refus lors de la mise en ½uvre de l’APC, l’employeur n’aurait aucune procédure de licenciement économique ni de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) à envisager et ce, quels que soient la taille et la structure de l’entreprise et quel que soit le nombre des refus

 

VI – En conclusion : quel avenir pour l’APC ?

Les APC sont demeurés plutôt boudés jusqu’à présent (moins de 360 auraient été signés depuis leurs création).

Certainement parce qu’ils reposent sur des éléments techniques, juridiques et économiques complexes auxquels les dirigeants d’entreprises ne souhaitent pas se frotter.

Mais les nuages noirs qui s’amoncellent sur le front de l’emploi et l’impact social de la crise actuelle peuvent être d’une violence inconnue depuis des décennies. Dans l’industrie, les premiers plans sociaux qui affectent les chaînes de sous-traitants en sont témoins.

Autant de paramètres qui devraient inviter dirigeants et partenaires sociaux à s’interroger sérieusement et rapidement sur la pertinence de la négociation d’un accord de performance collective, en vue de solutions innovantes.

Même si elles peuvent être douloureuses.