Pour consentir une donation, il faut être sain d'esprit. Toute donation qui n'émane pas d'une volonté raisonnable et libre peut être annulée pour insanité d'esprit.

La révocation pour ingratitude suppose l’intervention du juge qui examine s’il y a lieu de la prononcer suivant la gravité des faits. Cette sanction a un caractère pénal marqué.

La donation est révoquée en cas d’ingratitude du donataire (Code civil, article 955). C’est une réelle peine qui est infligée au donataire ingrat et qui ne doit en aucun cas rejaillir sur ses descendants. C’est cette idée qui a justifié la non-rétroactivité de la révocation pour cause d’ingratitude (Code civil, article 958, al. 1er).

La révocation pour ingratitude ne s’applique pas à toutes les donations ; elle est exclue pour les donations faites « en faveur du mariage » (Code civil, article 959). En effet, le législateur a voulu épargner les enfants et le conjoint d’une peine qui ne touche que l’ingrat.

Il s’agit d’une action personnelle au donateur, victime de l’ingratitude. Elle ne pourra être demandée ni par le donateur contre les héritiers du donataire, ni par les héritiers du donateur contre le donataire, à moins que, dans ce dernier cas, l’action n’ait été intentée par le donateur ou qu’il ne soit décédé dans l’année du délit (Code civil, article 957, al. 2 ; pour une action intentée par les héritiers dans l’année, contre le conjoint ayant commis un adultère).

L’action doit être intentée, à peine de forclusion, dans le délai d’un an à compter du jour du délit ou du jour où le délit aurait pu être connu par le donateur (Code civil, article 957, al. 1er). Il s’agit d’un délai non susceptible d’interruption ni de prolongation.

En cas d’action par le donataire en faux contre le donateur, le délai ne commence pas le jour de la plainte, mais le jour où l’arrêt de la chambre d’instruction a confirmé le non-lieu. Laisser passer le délai constitue, en conséquence, une présomption irréfragable de pardon (pour une action intentée après un an d’une procédure d’expulsion engagée par le donataire).

Le point de départ du délai est retardé jusqu’au jour de la condamnation pénale, mais c’est à condition que le délai ne soit pas expiré au jour de la mise en mouvement de l’action publique par le demandeur à la révocation. L’article 957 n’exclut pas que, lorsque le fait constitue une infraction pénale, ce point de départ soit retardé jusqu’au jour où la condamnation pénale établit la réalité de ce fait, c’est-à-dire au jour où elle devient définitive, peu important que le donateur n’ait pas mis lui-même en mouvement l’action publique.

Les cas d’ingratitude sont limitativement énumérés par l’article 955 du Code civil :

— il s’agit de l’attentat à la vie du donateur. L’intention de tuer est suffisante, même s’il n’y a pas eu poursuite ou condamnation pénale (T. civ. Seine, 13 janv. 1927, RTD civ. 1927, p. 1014, obs. R. Savatier). La révocation est également encourue dans le cas d’une simple tentative ;

— pour les cas de sévices, de délits et d’injures graves, les faits reprochés au donataire sont appréciés par les tribunaux ; en revanche, il doit s’agir de faits commis à l’encontre du donateur ; en conséquence, la révocation de l’acte de donation ne peut être prononcée lorsque les infractions n’ont pas été commises au préjudice des donateurs, mais de la société dont les parts ont fait l’objet de la donation ;

— lorsque le donataire refuse de lui verser les aliments, mais en aucun cas ces aliments ne sauraient être supérieurs à ce qu’il a reçu. Cette révocation ne peut être encourue que si le donataire a des ressources suffisantes et si le donateur est dans le besoin.

Mais il ne peut s’agir d’un fait antérieur à la donation.

 

I. Le délai de prescription de l’action en révocation de la donation pour cause d’ingratitude

L’article 953 du Code civil énonce qu’une donation entre vifs ne peut être révoquée que pour cause d’inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite, pour cause d’ingratitude, et pour cause de survenance d’enfants. L’article 955 ne cite que trois causes d’ingratitude :

Si le donataire a attenté à la vie du donateur ;

S’il s’est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves ;

S’il lui refuse des aliments.

Mais l’article 957 prévoit un bref délai d’un an pour agir en révocation, qui court à compter du jour du délit imputé par le donateur au donataire ou du jour où le délit aura pu être connu par le donateur. L’alinéa 2 de cet article énonce que les héritiers du donateur ne peuvent pas exercer l’action en révocation, à moins qu’elle n’ait été intentée par ce dernier, ou qu’il ne soit décédé dans l’année du délit.

Selon une jurisprudence bien établie, « le délai de prescription de l’action en révocation de donation pour cause d’ingratitude, édicté par l’article 957, alinéa 1er, du Code civil n’est susceptible ni de suspension, ni d’interruption ».

Le délai d’un an court à l’encontre des héritiers, comme il courrait à l’encontre du donateur. Si le donateur est mort sans avoir connu le fait d’ingratitude et si les héritiers connaissaient le fait ignoré de leur auteur, le délai court contre eux du jour du décès de celui-ci. Si les héritiers ignorent le fait, ils ont un délai d’un an à partir du jour où ils en auront eux-mêmes connaissance ou auront pu en avoir connaissance.

En revanche, si le donateur connaît le fait d’ingratitude avant de mourir, deux cas de figure sont possibles : ou bien le donateur est mort plus de un an après avoir connu le fait d’ingratitude et l’action en révocation est éteinte pour tous, l’expiration du délai faisant présumer le pardon ; ou bien le donateur est mort moins de un an après avoir connu l’acte d’ingratitude et les héritiers ne bénéficieront que du temps utilisable par le donateur lui-même pour agir utilement, c’est-à-dire la période séparant le jour de la mort du donateur du moment où expirera le délai de un an, si du moins ils ont connu le délit avant la fin de cette année.

En résumé, le point de départ de l’action devrait être, soit la date à laquelle l’ingratitude a cessé, soit celle à laquelle le donateur en a eu connaissance, car une fois expiré le délai d’un an, la faute est présumée pardonnée et amnistiée. Par conséquent, on aurait pu penser que si le donateur a eu connaissance de l’adultère de son conjoint, plus d’un an avant son décès, l’action est alors prescrite et que s’il en a eu connaissance à une date se situant dans l’année précédant son décès, c’est à cette date que commence à courir le délai d’un an. C’est la thèse que soutenait la donataire en l’espèce : outre le fait qu’elle contestait la réalité même de l’adultère, elle prétendait que son conjoint en avait déjà connaissance le 21 juillet 2011, soit plus d’un an avant l’assignation délivrée par ses fils et que leur action n’était donc pas recevable, puisque prescrite.

Cependant, concernant le fait d’ingratitude prolongé dans le temps ou constitué par plusieurs faits successifs, la jurisprudence constante de la Cour de cassation donne pour point de départ au délai d’un an prévu à l’article 957 du Code civil, dans le premier cas, le moment où le fait d’ingratitude a cessé s’agissant d’un délit continu, et, dans le second cas, le dernier des faits constitutifs d’ingratitude.

Comme l’a écrit un auteur, « la présomption de pardon s’effondre lorsque les sévices et injures se poursuivent ». Il en résulte que l’adultère étant une injure continue, le délai de prescription ne commence à courir que lorsqu’il cesse, peu important le moment auquel le donateur en a été informé. Ainsi, dans l’espèce jugée par la Cour de cassation le 19 mars 1985, la cour d’appel avait constaté que l’adultère du mari, commencé en 1975, n’avait pas cessé au décès de l’épouse survenu en 1979, laquelle était donc jusqu’à cette date en possession de son droit d’agir, droit qui avait été transmis à ses héritiers.

En l’espèce, nul doute que le mari avait connaissance de l’infidélité de son épouse au jour de son décès, comme en atteste le message posthume laissé par lui dans une vidéo enregistrée sur son ordinateur, placé sur une table devant son corps. Ses héritiers ont constamment soutenu que c’est la certitude acquise quant à l’adultère de sa femme, dénoncé dans cette vidéo, qui avait été la cause de son suicide. Or, ils ont engagé l’action en révocation, 11 mois et demi après le décès de leur père. Le premier moyen du pourvoi, qui arguait du caractère instantané du fait d’adultère, tentait donc d’infléchir la position de la première chambre civile, et de faire de la connaissance de l’adultère par le donateur, le point de départ, dans tous les cas, de l’action en révocation.

L’argument relatif à la date de la connaissance de l’ingratitude, purement factuel, n’avait pas été écarté clairement par les juges d’appel, qui, conformément à la jurisprudence précitée, ont retenu que l’adultère avait perduré jusqu’au décès, tout en relevant que le mari ne l’avait pas appris plus d’un an avant la date de son décès, et sans dire expressément à quel moment il avait eu la certitude d’être trompé.

Cour de cassation approuve cette argumentation. Sa motivation laisse entendre que le point de départ de l’action en révocation de donation est la date de la cessation de la cause d’ingratitude, en l’espèce celle du décès. Mais on peut s’étonner qu’elle relève également que le mari n’en avait pas eu connaissance plus d’un an avant sa disparition. Dans l’espèce jugée le 19 mars 1985, l’épouse bafouée avait obtenu un jugement prononçant la séparation de corps aux torts exclusifs de son conjoint en 1977, soit deux ans avant de mourir (au cours de l’instance d’appel de ce jugement, interjeté par le mari), et l’on peut donc penser qu’elle était informée de son inconduite dès cette date, - mais la question n’avait pas été soulevée -.

L’ajout de l’arrêt du 25 octobre 2017 introduit une ambiguïté par rapport à la jurisprudence relative à l’ingratitude prolongée dans le temps. En effet, on pourrait en déduire, d’une part, que le décès du donateur dans l’année suivant le moment de la connaissance de l’ingratitude, - laquelle a perduré jusqu’au décès -, interrompt un délai qui a commencé à courir et qui repart alors de la date du décès et, surtout, d’autre part, que si ce délai est expiré au jour du décès sans que le donateur, informé de l’ingratitude, ait lui-même agi, ses héritiers ne peuvent plus exercer l’action. Ce qui reviendrait à remettre en cause la jurisprudence précitée.

 

II. L’adultère, dans certaines circonstances, constitue une injure grave

Le deuxième moyen du pourvoi faisait grief à la Cour d’appel de s’être bornée à constater l’adultère, sans caractériser en quoi il aurait constitué une injure grave pour le donateur. La réponse de la Cour de cassation était plus aisée.

Il appartient, en effet, aux juges du fond d’apprécier souverainement la gravité des faits et le degré de l’ingratitude du donataire et pour cela, ils doivent analyser l’ambiance familiale et le déroulement de l’histoire de la famille, jusque parfois dans ses détails les plus intimes.

Quelques semaines après la cour d’appel de Bastia, la cour d’appel d’Amiens a rendu, le 5 juillet 2016 (14), un arrêt dans le même sens. Les faits étaient moins dramatiques que dans notre espèce, mais le fait pour l’épouse d’avoir entretenu, durant le mariage, une relation extraconjugale avec un tiers, chez lequel elle avait résidé pendant deux ans, constituait un comportement injurieux, relevé par le jugement de divorce prononcé à ses torts exclusifs et justifiant la révocation de la donation consentie par le mari.

Les juges de la cour d’appel de Bastia avaient, en l’espèce, relevé un certain nombre d’éléments factuels qui suffisaient à caractériser l’injure grave faite au mari donateur : l’amant était un ami du couple, le village corse où se situaient les faits, bruissait de la rumeur de l’infidélité notoire de l’épouse, le mari, toujours amoureux, vivait très douloureusement le refroidissement des relations conjugales et son message posthume laissait clairement entendre que la certitude obtenue sur l’inconduite de sa femme l’avait profondément atteint - expliquant probablement son suicide.

En conséquence de la révocation, la veuve donataire, qui avait opté pour l’usufruit de la totalité des biens dépendant de la succession de son défunt mari en application de l’article 1094-1 du Code civil, voit donc ses droits réduits à la propriété du quart des biens, en présence des deux enfants issus du précédent mariage (Code civil, article 757).

 

 

Sources :

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000035925174?init=true&page=1&query=16-21.136&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000028357068?init=true&page=1&query=12-26.571&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000018397309?init=true&page=1&query=07-11.861&searchField=ALL&tab_selection=all

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https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000038112070?init=true&page=1&query=18-10.091&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000028759314?init=true&page=1&query=13-15.662&searchField=ALL&tab_selection=all

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CA Paris, 19 oct. 1942, Gaz. Pal. 1942, 2, p. 235, D. 1943, somm., p. 14.

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007032137?init=true&page=1&query=92-12.601&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007015329?init=true&page=1&query=84-10.237&searchField=ALL&tab_selection=all

CA Amiens, 5 juill. 2016, no RG : 14/05701.