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Jurisprudences

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Le point de vue des avocats

Président : M. Bonnal (président)

Avocat : SCP Waquet, Farge et Hazan

République française au nom du peuple français

  • Cour de cassation
  • Chambre criminelle
  • Audience publique 15 mars 2023
  • N° de pourvoi: 22-81.145
  • Inédit
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° F 22-81.145 F-D

N° 00319


ECF
15 MARS 2023


CASSATION


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 MARS 2023


M. [P] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-2, en date du 25 novembre 2021, qui, pour non-justification de ressources ou de l'origine d'un bien, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et a ordonné une mesure de confiscation.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Guerrini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [P] [N], et les conclusions de M. Courtial, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 février 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Guerrini, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par ordonnance du 5 septembre 2017, M. [P] [N] a été renvoyé avec d'autres prévenus devant le tribunal correctionnel pour avoir commis des infractions à la législation sur les armes et participé à une association de malfaiteurs. Il lui a été reproché également d'avoir courant 2012, 2013, 2014 et jusqu'au 25 janvier 2015 : « étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à la commission de crimes ou délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement leur procurant un profit direct ou indirect, omis de justifier des ressources correspondant à son train de vie ou de justifier de l'origine de ses biens ; en l'espèce en faisant usage de produits de luxe et courants, sans lien avec ses revenus déclarés et avec cette circonstance que les infractions commises par ses frères [X] et [C] [N] constituaient les crimes ou délits d'association de malfaiteurs ».

3. Par jugement du 7 mai 2019, le tribunal correctionnel a relaxé M. [N] des chefs d'infractions à la législation sur les armes, et de participation à une association de malfaiteurs, l'a déclaré coupable de non-justification de ressources ou de l'origine d'un bien dans les termes de la prévention, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, et a ordonné la confiscation d'une automobile de marque Ferrari, ainsi que d'une maison d'habitation sise sur la commune de Saint-Nom-la-Bretèche et des clés de ce bien immobilier.

4. M. [N] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [N] coupable du délit de non-justification de ressources sur la période allant de 2012 au 25 janvier 2015 par une personne en relation habituelle avec des personnes se livrant à la commission de crimes ou de délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, alors :

« 1°/ que les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux de la prévention ; qu'en l'espèce, l'acte de saisine initiale concernant M. [N] visait exclusivement le fait d'avoir courant 2012 et jusqu'au 25 janvier 2015, étant en relation habituelle avec une ou plusieurs personnes se livrant à la commission de crimes ou de délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, (à savoir ses frères [C] et [X] [N]) leur procurant un profit direct ou indirect, omis de justifier de l'origine de produits de luxe et courants sans lien avec ses revenus déclarés ; qu'en reprochant à M. [N] qui n'a jamais accepté l'extension de la saisine à des faits distincts, l'acquisition par lui en 2010 d'un bien immobilier sis à [Localité 1], sans aucun rapport avec des produits de luxe ou courants, tout en étant en relation habituelle avec [O] [B] et [Z] [R], lesquels se seraient rendus coupables de crimes ou délit punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, dont la nature n'est au demeurant pas précisée, la cour d'appel a modifié entièrement les faits dont elle était saisie, violé les articles 388 et 512 du code de procédure pénale, 6-3 de la Convention européenne des droits de l'homme et excédé ses pouvoirs ;

2°/ que le délit de non-justification de l'origine d'un bien détenu est une infraction instantanée - consommée dès l'appropriation d'un bien par des moyens dont l'origine n'est pas justifiée ; à supposer que l'acquisition en 2010 d'un bien immobilier l'ait été à l'aide de fonds d'origine ignorée, l'infraction était consommée à cette date et ne pouvait être considérée comme se continuant sur la période de prévention (2012-2015) par la simple détention de ce bien précédemment acquis ; en déclarant justifié le dépassement de la saisine par le fait que le prévenu « continuait à disposer de ce bien sur le temps de la prévention, ce qui suppose qu'il justifie de son origine licite, quand bien même cette acquisition serait antérieure à la période de la prévention, ou que selon le tribunal, il s'agit d'une infraction continue dont les effets se prolongent dans le temps par la réitération de la volonté coupable jusqu'au jour où son auteur se sépare du bien d'origine frauduleuse », la cour d'appel a violé l'article 321-6 du code pénal ;

3°/ que l'article 321-6 du code pénal n'édictant aucune présomption de responsabilité mais créant un délit spécifique, dont il appartient à l'accusation de rapporter la preuve, les juges du fond ne peuvent condamner un prévenu pour non-justification de ressources au sens dudit article, sans relever les éléments constitutifs de l'infraction d'origine, laquelle doit nécessairement être antérieure aux faits de non-justification de ressources et être punie au moins cinq ans d'emprisonnement ; qu'en se bornant en l'espèce à reprocher à M. [N] de ne pas justifier de l'origine d'un bien immobilier acquis en 2010, tout en ayant entretenu des relations avec [O] [B] et [Z] [R] sans s'expliquer sur l'infraction qu'auraient commise ces derniers, la cour d'appel a violé les articles 321-6 et suivants du code pénal, ensemble 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que le délit de non-justification de ressources, délit de conséquence, suppose que l'infraction originaire commise par la ou les personnes avec laquelle ou lesquelles le prévenu est en relation habituelle, soit antérieure par rapport au train de vie ou à la détention du bien dont le prévenu ne peut justifier ; qu'en l'espèce, en retenant le délit de non-justification de ressources eu égard à un bien immobilier acquis en 2010 au demeurant non visé à la prévention et antérieure à la période de la prévention, sans justifier de la commission d'un crime ou d'un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement qui soit antérieur à l'acquisition de ce bien immobilier, la cour d'appel a derechef violé les articles susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 321-6 du code pénal et 388 du code de procédure pénale :

6. Le premier de ces textes réprime le fait de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie ou de ne pouvoir justifier de l'origine d'un bien détenu, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes qui, soit se livrent à la commission de crimes ou de délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect, soit sont les victimes d'une de ces infractions.

7. Selon le second, la juridiction correctionnelle ne peut statuer que sur les faits dont elle est saisie par l'acte de poursuite.

8. Pour déclarer le prévenu coupable du délit de non-justification de ressources, la cour d'appel énonce qu'il résulte de la procédure que M. [N] a été amené à s'expliquer sur les conditions d'acquisition, en 2010, de la maison qu'il a occupée pendant la période visée pendant la prévention, et que l'étude de ses ressources ne permet pas d'expliquer comment il a pu rembourser le prêt qui a financé cet achat. Elle ajoute qu'il a entretenu des relations suivies avec M. [Z] [R] et M. [O] [B], en connaissant leur ancrage dans la délinquance.

9. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

10. En effet, d'une part, elle ne pouvait retenir l'existence de relations habituelles avec MM. [R] et [B], sans préciser la nature des infractions qu'ils avaient pu commettre, et alors qu'il était reproché au prévenu d'avoir été en relation avec des personnes différentes.

11. D'autre part, elle ne pouvait retenir l'omission de justifier du financement du bien immobilier de [Localité 1], alors que la prévention ne fait état que de l'usage de produits de luxe ou courants.

12. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 25 novembre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mars deux mille vingt-trois.

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du mercredi 15 mars 2023


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