Jurisprudences
Le point de vue des avocats
Président : Mme Teiller (président)
Avocat : SARL Ortscheidt, SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier
République française au nom du peuple français
- Cour de cassation
- Chambre civile 3
- Audience publique 6 avril 2023
- N° de pourvoi: 21-19.851
- Inédit
CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 avril 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 259 F-D
Pourvoi n° M 21-19.851
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 AVRIL 2023
La société des Auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), société civile à capital variable, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 21-19.851 contre l'arrêt rendu le 7 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 3), dans le litige l'opposant à La Maison de poésie, fondation reconnue d'utilité publique, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jariel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société des Auteurs et compositeurs dramatiques, de la SARL Ortscheidt, avocat de La Maison de poésie, après débats en l'audience publique du 28 février 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jariel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Andrich, conseiller, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 mai 2021) et les productions, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (la SACD) a acquis, de la fondation Maison de poésie (la fondation), un ensemble immobilier, par un acte des 7 avril et 30 juin 1932 stipulant, d'une part, que n'était pas comprise dans la vente la jouissance ou l'occupation, par la fondation, des locaux où elle était installée dans l'immeuble, d'autre part, qu'au cas où la société le jugerait nécessaire, elle pourrait demander la mise à sa disposition des locaux occupés par la fondation, à charge pour elle d'édifier dans la propriété une construction de même importance que la fondation occupera gratuitement et pendant toute son existence.
2. Ayant été assignée en constatation de l'expiration de son droit et en expulsion, la fondation a libéré les lieux le 7 octobre 2011 en exécution d'un arrêt du 10 février 2011 qui a été cassé en toutes ses dispositions (3e Civ., 31 octobre 2012, pourvoi n° 11-16.304, Bull. 2012, III, n° 159).
3. Par un arrêt du 18 septembre 2014, rendu sur renvoi après cassation et désormais irrévocable (3e Civ., 8 septembre 2016, pourvoi n° 14-26.953, Bull. 2016, III, n° 105), la restitution des locaux a été ordonnée, la fondation ayant été reconnue titulaire, pour la durée de son existence, d'un droit réel lui conférant une jouissance spéciale, distinct du droit d'usage et d'habitation régi par le code civil.
4. La SACD ayant été condamnée, en référé, à libérer les lieux et à payer une indemnité d'occupation provisionnelle, la fondation l'a assignée au fond en indemnisation des préjudices matériels et moraux occasionnés par l'occupation persistante des locaux litigieux et en suppression des restrictions à l'exercice de son droit de jouissance, telle l'interdiction de donner en location les locaux concernés.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La SACD fait grief à l'arrêt de la condamner à indemniser le préjudice de jouissance et le préjudice moral de la fondation, alors « qu'en retenant que la SACD n'a pas exécuté l'arrêt du 18 septembre 2014 ordonnant la restitution des locaux à la Maison de Poésie, puisque précisément elle a mis des obstacles au plein exercice du droit de jouissance ou d'occupation dont la Maison de Poésie doit pouvoir jouir et user librement et que ces obstacles ne sauraient être considérés comme de pure convenance sans préciser quels étaient ces obstacles caractérisant l'atteinte portée au droit de la Maison de Poésie, autrement que par le constat général que la SACD ne peut se satisfaire de permettre l'accès à la Fondation aux conditions d'accès qu'elle impose (horaires, jours, modalités d'accès?), la cour d'appel, qui n'a pas précisément caractérisé les atteintes portées par la SACD aux droits de la Maison de Poésie, a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Par une décision motivée, la cour d'appel a constaté qu'en l'absence d'accord entre les parties sur les modalités d'accès aux locaux litigieux, la SACD avait fixé des limitations tenant aux jours et horaires d'ouverture, ainsi qu'au nombre d'occupants admis et installé un dispositif d'entrée par badges.
7. Elle a pu en déduire qu'en imposant de telles restrictions, la SACD avait manqué à ses obligations contractuelles et ainsi porté atteinte au libre exercice du droit d'occupation et de jouissance dont la fondation est titulaire.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. La SACD fait grief à l'arrêt de juger que la fondation peut occuper elle-même les locaux ou donner à bail les droits qu'elle détient sur ceux-ci, alors :
« 1°/ que le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce la cour d'appel a retenu que la clause de la convention du 30 juin 1932, aux termes de laquelle n'est toutefois pas comprise dans la présente vente et en est au contraire formellement exclue la jouissance ou l'occupation par la Maison de la Poésie et par elle seule des locaux où elle est installée actuellement et qui dépendent dudit immeuble, impliquait que la Maison de Poésie pouvait donc en percevoir les fruits, à savoir les loyers, et pouvait donc procéder à une location en raison de l'alternative prévue par la clause entre une jouissance ou une occupation des locaux par la Maison de Poésie ; que la cour d'appel, qui a ainsi donné à la clause un sens et une portée qui aurait été la sienne en l'absence de la précision que la jouissance ou l'occupation des locaux devaient être faites par la Maison de Poésie et par elle seule et a ainsi fait abstraction de cette précision a dénaturé ladite clause en violation du principe précité ;
2°/ qu'en retenant qu'il est d'ailleurs loisible de considérer que le testateur [N] [D] n'a pas spécialement voulu interdire à la Maison de Poésie de poursuivre ses buts en utilisant les fruits de la location du bien attribué si au fil du temps cette façon de promouvoir la poésie lui apparaissait plus fructueuse et que la seule condition a pu être pour lui que ces revenus aillent à la Maison de Poésie et à elle seule dans la réalisation de ses fins, la cour d'appel, qui s'est ainsi fondée sur des motifs hypothétiques, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en statuant ainsi sans rechercher, comme l'y invitait les conclusions de la SACD, si la stipulation ainsi faite d'un droit de jouissance ou d'occupation par la seule Maison de Poésie ne résultait pas de la volonté du testateur [N] [D] de consacrer à la poésie l'hôtel particulier de la [Adresse 3] qu'il a légué à la fondation constituée en exécution de ses dispositions testamentaires, ce qui excluait que la Fondation Maison de Poésie puisse louer les locaux objet du droit sui generis ainsi convenu pour elle seule, la cour d'appel a encore violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. Par une interprétation nécessaire et exclusive de dénaturation, la cour d'appel a souverainement retenu que la convention, en prévoyant un droit de jouissance ou d'occupation par la Maison de poésie et par elle seule, offrait une alternative à la fondation qui avait la possibilité soit d'occuper elle-même les locaux soit d'en jouir en en percevant les fruits que constituent les loyers, la condition d'exclusivité imposant, dans l'hypothèse d'une location, que les revenus soient destinés à la seule fondation pour la réalisation de ses fins.
11. Elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Société des auteurs et compositeurs dramatiques aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques et la condamne à payer à la fondation Maison de poésie la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six avril deux mille vingt-trois.
Dossier complet et clair