Jurisprudences
Le point de vue des avocats
Président : Mme Capitaine (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy
République française au nom du peuple français
- Cour de cassation
- Chambre sociale
- Audience publique 13 avril 2023
- N° de pourvoi: 21-10.897
- Inédit
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 avril 2023
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 444 F-D
Pourvoi n° D 21-10.897
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [I].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 10 décembre 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 AVRIL 2023
M. [L] [I], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 21-10.897 contre l'arrêt rendu le 5 septembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 7), dans le litige l'opposant à la société Aldi marché [Localité 2], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lacquemant, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [I], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Aldi marché [Localité 2], après débats en l'audience publique du 14 mars 2023 où étaient présentes Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lacquemant, conseiller rapporteur, Mme Salomon, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 septembre 2019), M. [I], engagé en qualité d'assistant magasin à compter du 29 mars 2010, par la société Aldi marché [Localité 2], exerçait en dernier lieu en qualité de responsable de magasin dans l'établissement du Blanc-Mesnil.
2. Le 23 janvier 2014, l'employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement et lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire.
3. Le même jour le médecin du travail a délivré un avis d'inaptitude temporaire du salarié pour danger immédiat dans cet établissement.
4. Par lettre du 3 mars 2014, le salarié a été licencié pour faute grave.
5. Contestant son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur les quatrième et cinquième moyens
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire le licenciement pour faute grave fondé et de le débouter de ses demandes tendant à voir prononcer la nullité du licenciement et en paiement d'une indemnité en réparation du préjudice subi ainsi qu'un rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, alors « que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif sauf mauvaise foi laquelle ne peut se déduire de la circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis mais seulement de la connaissance par le salarié de leur fausseté ; que le salarié soutenait qu'il avait été licencié pour avoir relaté des faits de harcèlement moral ; qu'en retenant, pour rejeter ses demandes présentées au titre de la nullité de son licenciement, que le harcèlement allégué n'était pas établi sans rechercher si, ainsi qu'il était soutenu devant elle, le salarié avait été licencié pour avoir relaté des faits de harcèlement moral et, le cas échéant, s'il avait agi de mauvaise foi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1152-2 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, et l'article L. 1152-3 du même code :
8. Selon le premier de ces textes, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
9. Aux termes du second, toute rupture de contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
10. Pour débouter le salarié de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du licenciement et de ses demandes subséquentes, l'arrêt retient qu'il se déduit des pièces produites que l'employeur justifie d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement de sorte qu'aucun harcèlement moral ne peut être retenu.
11. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le salarié avait été licencié pour avoir relaté des faits de harcèlement moral, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
12. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire le licenciement pour faute grave fondé et de le débouter de ses demandes tendant à voir dire que son licenciement a été prononcé en méconnaissance des dispositions applicables en cas d'inaptitude ayant une origine professionnelle et en paiement d'une indemnité spéciale de licenciement, d'une indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, d'une indemnité en application de l'article L. 1226-15 du code du travail ainsi que d'un rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, alors « que les règles protégeant les salariés inaptes en conséquence d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'employeur avait connaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude à la date du licenciement et ce quel que soit le moment où l'inaptitude a été constatée ou invoquée ; qu'en se fondant sur la circonstance que l'inaptitude du salarié avait été constatée après l'engagement de la procédure de licenciement pour considérer que celui-ci ne pouvait solliciter le bénéfice des règles applicables aux victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier sa décision et violé les articles L. 1226-10, L. 1226-12, L. 1226-14 et L. 1226-15 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1226-2 et L.1226-10 du code du travail dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
13. Selon le premier de ces textes, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.
14. Selon le second, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
15. Il en résulte que ces dispositions d'ordre public font obstacle à ce que l'employeur prononce un licenciement pour un motif autre que l'inaptitude peu important que l'employeur ait engagé antérieurement une procédure de licenciement pour une autre cause.
16. Pour dire le licenciement pour faute grave fondé et débouter le salarié de ses demandes indemnitaires et salariales, l'arrêt retient que le salarié ne peut valablement invoquer l'avis d'inaptitude du 23 janvier 2014 dans la mesure où l'employeur justifie lui avoir notifié le même jour à 9 heures 18 sa mise à pied à titre conservatoire, soit antérieurement à l'examen réalisé par le médecin du travail.
17. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le salarié, déclaré inapte, avait été licencié pour un motif autre que l'inaptitude, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
18. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt relatives au bien fondé du licenciement et aux demandes indemnitaires et salariales subséquentes, entraîne la cassation du chef de dispositif relatif à la remise, sous astreinte, d'une attestation Pôle emploi conforme et d'un bulletin de paie faisant mention des condamnations, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
19. La cassation des dispositions de l'arrêt relatives au bien fondé du licenciement et aux demandes indemnitaires et salariales subséquentes, n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement ce qu'il déboute M. [I] de ses demandes de nullité du licenciement, dit fondé le licenciement pour faute grave et déboute M. [I] de ses demandes en paiement de diverses sommes à titre d'indemnité en réparation du préjudice subi en raison de la nullité du licenciement, à titre d'indemnité spéciale de licenciement, à titre d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, à titre d'indemnité due en application de l'article L. 1226-15 du code du travail, à titre de rappels de salaires pour la période de mise à pied à titre conservatoire et congés payés afférents, et en ce qu'il ordonne à la société Aldi marché [Localité 2] de remettre à M. [I] sous astreinte une attestation Pôle emploi conforme et un bulletin de paie faisant mention des condamnations, l'arrêt rendu le 5 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Aldi marché [Localité 2] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Aldi marché [Localité 2] et la condamne à payer à la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.
Dossier complet et clair