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Jurisprudences

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Le point de vue des avocats

Président : Mme Monge (conseiller doyen faisant fonction de président)

Avocat : SCP Claire Leduc et Solange Vigand

République française au nom du peuple français

  • Cour de cassation
  • Chambre sociale
  • Audience publique 13 septembre 2023
  • N° de pourvoi: 21-25.408
  • Inédit
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

HP



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 septembre 2023




Cassation partielle


Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 874 F-D

Pourvoi n° B 21-25.408

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [L].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 14 octobre 2021.


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 SEPTEMBRE 2023

Mme [W] [J] [L], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 21-25.408 contre l'arrêt rendu le 27 octobre 2020 par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (chambre sociale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Fromagerie de Takamaka, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société [Y], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], représentée par M. [R] [Y] prise en qualité de qualité de mandataire judiciaire et commissaire à l'exécution au plan de la société Fromagerie de Takamaka,

3°/ à l'UNEDIC délégation régionale AGS, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Techer, conseiller référendaire, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mme [L], après débats en l'audience publique du 21 juin 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Techer, conseiller référendaire rapporteur, M. Rouchayrole, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 27 octobre 2020), Mme [L] a été engagée en qualité d'aide fromagère, le 18 septembre 1995, par M. [F] [B]. Le contrat de travail a été transféré à la société Fromagerie de Takamaka (la société) au mois de décembre 2000.

2. La salariée a saisi la juridiction prud'homale le 22 septembre 2014 à l'effet d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail et le paiement de sommes au titre de l'exécution et de la rupture dudit contrat.

3. Elle a pris acte de la rupture de son contrat le 1er décembre 2014.

4. Le 26 juillet 2017, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société et la société [Y] a été désignée en qualité de mandataire.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, réunis

Enoncé des moyens

5. Par son premier moyen, la salariée fait grief à l'arrêt de limiter sa créance
au titre de la prime d'ancienneté à une certaine somme, alors :

« 1°/ que la saisine de la juridiction prud'homale interrompt la prescription de toutes les actions concernant l'exécution du même contrat de travail peu important la date à laquelle certaines demandes sont présentées au cours de l'instance ; qu'en l'espèce, pour débouter la salariée de sa demande tendant au paiement de la prime d'ancienneté pour une période antérieure aux trois années de rappel allouées en première instance, la cour d'appel a énoncé que la salariée avait formulé pour la première fois des demandes afférentes aux primes d'ancienneté par conclusions déposées le 13 février 2015, qu'elle avait alors connaissance des dispositions conventionnelles applicables à cette prime, qu'elle avait présenté de nouvelles demandes par ses conclusions du 9 septembre 2019 pour la période antérieure au trois années de rappel allouées en première instance et qu'en considération des conclusions du 13 février 2015, ces demandes étaient atteintes par la prescription triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail ; qu'en statuant ainsi, quand la prescription avait été interrompue par la saisine du conseil de prud'hommes le 22 septembre 2014 peu important la date à laquelle les demandes avaient été présentées en cours d'instance, la cour d'appel a violé l'article L.3245-1 du code du travail ;

2°/ que la prescription triennale de l'action en paiement des salaires issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 s'applique aux prescriptions en cours à compter de la date de la promulgation de cette loi sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure qui était de cinq ans ; qu'en l'espèce, en limitant le rappel de prime d'ancienneté à celle due pour les années 2012 à 2014, motifs pris que la demande en paiement de cette prime pour les années antérieures serait atteinte par la prescription triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail, quand il résultait de ses propres constatations que la salariée avait saisi le conseil de prud'hommes le 22 septembre 2014 de sorte que la prescription quinquennale, réduite à trois ans par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, applicable à l'action engagée le 22 septembre 2014, pour les demandes de primes exigibles postérieurement au 22 septembre 2009 n'était pas acquise à la date de la saisine de la juridiction prud'homale, la cour d'appel a violé l'article L. 3245-1 du code du travail et l'article 21 V de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. »

6. Par son deuxième moyen, elle fait grief à l'arrêt de limiter sa créance à titre de prime de treizième mois à une certaine somme, alors :

« 1°/ que la saisine de la juridiction prud'homale interrompt la prescription de toutes les actions concernant l'exécution du même contrat de travail peu important la date à laquelle certaines demandes sont présentées au cours de l'instance ; qu'en l'espèce, pour débouter la salariée de sa demande tendant au paiement de la prime de treizième mois pour la période antérieure au trois années de rappel allouées en première instance, soit pour la période antérieure à l'année 2012, la cour d'appel a énoncé que la salariée avait formulé pour la première fois des demandes afférentes aux primes d'ancienneté par conclusions déposées le 13 février 2015, qu'elle avait alors connaissance des dispositions conventionnelles applicables à cette prime, qu'elle a présenté de nouvelles demandes par ses conclusions du 9 septembre 2019 pour la période antérieure au trois années de rappel allouées en première instance et qu'en considération des conclusions du 13 février 2015, ces demandes étaient atteintes par la prescription triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail ; qu'en statuant ainsi, quand la prescription avait été interrompue par la saisine du conseil de prud'hommes le 22 septembre 2014 peu important la date laquelle les demandes avaient été présentées en cours d'instance, la cour d'appel a violé l'article L. 3245-1 du code du travail ;

2°/ que la prescription triennale de l'action en paiement des salaires issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 s'applique aux prescriptions en cours à compter de la date de la promulgation de cette loi sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure qui était de cinq ans ; qu'en déboutant la salariée de sa demande en paiement d'un rappel de prime de treizième mois pour la période antérieure à l'année 2012, motifs pris que la demande en paiement de cette prime afférente à cette période serait atteinte par la prescription triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail, quand il résultait de ses propres constatations que la salariée avait saisi le conseil de prud'hommes le 22 septembre 2014 de sorte que la prescription quinquennale, réduite à trois ans par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, applicable à l'action engagée le 22 septembre 2014, pour les créances nées à compter du 22 septembre 2009 n'était pas acquise à la date de la saisine de la juridiction prud'homale, la cour d'appel a violé l'article L. 3245-1 du code du travail et l'article 21 V de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2241 du code civil, R. 1452-6 du code du travail, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, L. 3245-1 du code du travail et 21 V de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 :

7. Selon le premier de ces textes, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

8. Aux termes du deuxième, toutes les demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, l'objet d'une seule instance. Cette règle n'est pas applicable lorsque le fondement des prétentions est né ou révélé postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes.

9. Il en résulte que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, au cours d'une même instance, concernent l'exécution du même contrat de travail.
10. Aux termes du troisième, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

11. Selon le dernier, les dispositions du nouvel article L. 3245-1 du code du travail s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans.

12. Pour débouter la salariée de ses demandes de rappel de primes d'ancienneté et de treizième mois pour la période antérieure à l'année 2012, l'arrêt constate que l'intéressée a formulé pour la première fois ses demandes afférentes aux primes d'ancienneté et de treizième mois par ses conclusions déposées le 13 février 2015. Il relève que la salariée avait connaissance des articles 25 et 26 de la convention collective du 22 janvier 1985 relatifs à ces primes, dont elle soutenait l'applicabilité. Il ajoute que l'intéressée a présenté de nouvelles demandes par ses conclusions du 9 septembre 2019 pour la période antérieure aux trois années de rappel, plus les indemnités de congés payés en découlant, qu'elle avait demandées et obtenues en première instance. Il retient qu'en considération des conclusions du 13 février 2015, ces demandes en paiement sont atteintes par la prescription triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail.

13. En statuant ainsi, alors, d'une part, que la prescription avait été interrompue par la saisine du conseil de prud'hommes, le 22 septembre 2014, même si les demandes pour la période antérieure à l'année 2012 avaient été présentées en cours d'instance, d'autre part, qu'à cette date, la prescription de trois ans issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 était applicable aux créances salariales non prescrites à la date de promulgation de la loi, sans que la durée totale de prescription ne puisse excéder cinq ans, de sorte que les demandes en paiement des créances salariales exigibles postérieurement au 22 septembre 2009 n'étaient pas prescrites, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

14. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour privation des congés, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, pour débouter la salariée de sa demande relative à des dommages et intérêts pour privation des congés, la cour d'appel a énoncé que la salariée ne faisait référence dans ses conclusions à aucune pièce de nature à étayer ses affirmations d'un fractionnement des congés par demi-journée ; qu'en statuant ainsi, quand la salariée se référait expressément dans ses écritures d'appel à ses bulletins de paie et en particulier à son bulletin de paie du mois de juillet 2014 mentionnant la prise de congés par demi-journée pour justifier de la pratique de l'employeur consistant à lui imposer, lorsqu'il n'avait pas de travail à lui fournir, la prise de congés de très courte durée, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ces conclusions en violation du principe précité. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

15. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions des parties.

16. Pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour privation des congés, l'arrêt retient que l'intéressée ne fait référence dans ses conclusions à aucune pièce de nature à étayer ses affirmations d'un fractionnement des congés par demi-journée.

17. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, la salariée faisait valoir qu'il résultait des bulletins de salaire que l'employeur lui avait imposé des congés et que ces congés étaient fractionnés même en demi-journées, la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige, a violé le texte susvisé.

Et sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

18. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier l'étendue ; qu'en déboutant, en l'espèce, la salariée de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, motifs pris que l'effectif salarial de l'entreprise étant inférieur à onze, la salariée était en droit de percevoir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à concurrence du préjudice subi mais qu'elle ne caractérisait ni ne justifiait de ce préjudice, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-5 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. »


Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1235-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

19. Il résulte de ce texte que la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier l'étendue.

20. Pour débouter la salariée de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt, après avoir relevé que l'effectif salarial de l'employeur est inférieur à onze, retient que l'intéressée sollicite une somme sans caractériser son préjudice, si ce n'est l'absence de revenu durant six mois, ce dont elle ne justifie pas. Il ajoute que la cour n'a pas le pouvoir de suppléer la carence de la salariée qui ne caractérise pas son préjudice.

21. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

22. La cassation prononcée en faveur de la salariée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure qui ne sont pas critiqués.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite la fixation de la créance de Mme [L] au passif de la société Fromagerie de Takamaka aux sommes de 6 576,65 euros bruts au titre de la prime d'ancienneté et 3 849,67 euros bruts pour le rappel de prime de treizième mois, et en ce qu'il rejette les demandes d'indemnité pour privation des congés et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 27 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion autrement composée ;

Condamne la société Fromagerie de Takamaka aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Fromagerie de Takamaka à payer à la SCP Claire Leduc et Solange Vigand la somme de 3 000 euros ;





Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille vingt-trois.

Décision attaquée : Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion du mercredi 13 septembre 2023


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