Jurisprudences
Le point de vue des avocats
Président : M. Bonnal (président)
Avocat : SCP Célice, Texidor, Périer
République française au nom du peuple français
- Cour de cassation
- Chambre criminelle
- Audience publique 13 septembre 2023
- N° de pourvoi: 23-84.043
- Inédit
N° B 23-84.043 F-D
N° 01144
GM
13 SEPTEMBRE 2023
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 SEPTEMBRE 2023
M. [Z] [G] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 20 juin 2023, qui dans l'information suivie contre lui des chefs de meurtre et tentative, destruction par un moyen dangereux, en bande organisée, association de malfaiteurs, a déclaré irrecevable son appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Pauthe, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [Z] [G], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Pauthe, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mis en examen des chefs susvisés, M. [Z] [G] a été placé en détention provisoire le 16 juin 2022.
3. Par ordonnance du 22 mai 2023, le juge des libertés et de la détention a prolongé cette détention provisoire.
4. À l'issue du débat contradictoire, M. [G] a apposé sur ladite ordonnance, dans la rubrique dédiée à la notification et à côté de sa signature, la mention manuscrite « je fai apel ».
5. Par courriel adressé le 13 juin 2023 au procureur général près la cour d'appel, l'avocat de M. [G] a demandé la mise en liberté d'office de son client au motif qu'il n'avait pas été statué dans les délais prévus par la loi sur l'appel déclaré par ce dernier devant le juge des libertés et de la détention à l'issue du débat contradictoire.
6. Un acte d'appel a été établi le lendemain par le greffe du tribunal judiciaire au vu de ce courrier.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable l'appel interjeté par M. [G] contre l'ordonnance du 22 mai 2023 par laquelle le juge des libertés et de la détention a prolongé sa détention provisoire, alors « que la mention, apposée sur l'ordonnance du juge des liberté et de la détention et assortie de la signature du mis en examen et du greffier, manifestant sans équivoque l'intention de son auteur d'interjeter appel de la décision relative à la détention, constitue une déclaration d'appel régulière au sens de l'article 502 du code de procédure pénale ; que sauf pour les juges à établir la fraude résultant de la volonté pour le mis en examen de dissimuler la mention qu'il appose afin qu'elle ne soit pas perceptible par le greffier, la seule imprécision orthographique, grammaticale ou calligraphique de la formule apposée ne saurait lui conférer un caractère équivoque ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que M. [G] a apposé, au pied de l'ordonnance portant prolongation de sa détention provisoire, la mention « Je fai apel », accompagnée de sa signature et de celle du greffier ; qu'il s'ensuit que l'exposant a régulièrement interjeté appel de cette ordonnance ; qu'en retenant toutefois, pour déclarer irrecevable l'appel ainsi formé par M. [G], et par conséquent refuser d'ordonner sa remise en liberté, que « cette mention est peu lisible et compréhensible, étant rédigée avec des lettres mal formées [?] et des fautes d'orthographe », de sorte que « le greffier, à qui il ne revient pas de scruter l'ordonnance pour distinguer si, à travers l'apposition d'une mention intégrée dans un espace réservé à une signature et difficilement compréhensible, le mis en examen a pu vouloir exprimer une volonté de faire appel [?], a pu légitimement ne pas comprendre la mention manuscrite comme signifiant la volonté de faire appel », quand la mention litigieuse, même imparfaitement formulée, manifestait sans équivoque la volonté de l'exposant d'interjeter appel, la chambre de l'instruction, qui n'a pas établi que ces anomalies caractérisaient une fraude, a violé les articles 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 186, 502, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 502 du code de procédure pénale :
8. Il résulte de ce texte que la déclaration d'appel est faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée.
9. Pour déclarer irrecevable l'appel formé par M. [G], l'arrêt attaqué énonce que l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire, rendue le 22 mai 2023, a été immédiatement notifiée à la personne mise en examen par remise d'une copie intégrale et que figure dans l'espace réservé au mis en examen pour signer sous la mention « Reçu copie intégrale de l'ordonnance le 22 mai 2023 » la mention manuscrite qui, selon l'avocat de l'intéressé, doit être lue comme étant « je fai apel »,et, entre ces deux mentions, la signature non contestée de cette dernière.
10. Les juges constatent que la mention est peu lisible et peu compréhensible, étant rédigée avec des lettres mal formées et des fautes d'orthographe.
11. Ils en déduisent que le greffier a pu légitimement ne pas comprendre la mention manuscrite comme signifiant la volonté de faire appel et que la rédaction peu compréhensible de cette mention ne permet pas à la cour de constater le caractère non équivoque de la volonté de M. [G] de faire appel.
12. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé pour les motifs qui suivent.
13. Premièrement, le débat contradictoire à l'issue duquel la détention provisoire de M. [G] a été prolongée s'est tenu en présence du juge saisi, du greffier qui l'assistait et de l'intéressé.
14. Deuxièmement, pour attester de la réception d'une copie de l'ordonnance, M. [G] a apposé sa signature au pied de celle-ci, en présence du greffier, qui y a également apposé sa propre signature.
15. Enfin, en ajoutant, à côté de sa signature, la mention « je fai apel », l'intéressé a manifesté sans équivoque sa volonté de faire appel, devant ce greffier, qui devait, dès lors, en tirer les conséquences en enregistrant ce recours.
16. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
17. Dès lors que la chambre de l'instruction ne s'est pas prononcée sur l'appel formé par M. [G] le 22 mai 2023, dans le délai prescrit par l'article 194, alinéa 4, du code de procédure pénale, celui-ci doit être mis d'office en liberté ; la cassation aura donc lieu sans renvoi et l'intéressé sera remis en liberté s'il n'est détenu pour autre cause.
18. Cependant, les dispositions de l'article 803-7, alinéa 1, du code de procédure pénale permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissance des délais prévus par ce même code, dès lors qu'elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d'information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l'un des objectifs énumérés à l'article 144 du même code.
19. En l'espèce, il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que M. [G] ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi.
20. La mesure de contrôle judiciaire est indispensable afin de :
- empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que leur famille, l'une des victimes, M. [L] [M], ayant été grièvement blessée, ainsi que de nombreux témoins des faits n'ayant pas encore été entendus ;
- empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices, en ce que les faits ayant coûté la vie à [W] [U] et grièvement blessé M. [L] [M] relèvent d'une organisation à la fois complexe et structurée, que les investigations ont abouti à l'identification de plusieurs personnes qui se voient reprocher d'avoir participé à l'action criminelle en l'ayant commanditée ou en ayant participé à sa réalisation, chacune d'elles, mise en examen, contestant, à l'instar de M. [G], toute implication dans les faits ; que l'instruction se poursuit ; que d'autres investigations ou confrontations s'avèrent nécessaires ; que le commanditaire identifié en procédure est actuellement en fuite ;
- prévenir le renouvellement de l'infraction et garantir le maintien de la personne concernée à la disposition de la justice en ce que M. [G] a déjà été condamné à neuf reprises et notamment, le 19 mai 2021, à douze mois d'emprisonnement pour des faits de dégradation ou détérioration du bien d'autrui commise en réunion et violences aggravées et bénéficiait à l'époque des faits d'un aménagement de peine sous la forme d'une semi-liberté.
21. Afin d'assurer ces objectifs, M. [G] sera astreint à se soumettre aux obligations précisées au dispositif.
22. Le magistrat chargé de l'information est compétent pour l'application des articles 139 et suivants et 141-2 et suivants du code de procédure pénale.
23. Le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 20 juin 2023 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
CONSTATE que M. [G] est détenu sans titre depuis le 6 juin 2023 dans la présente procédure ;
ORDONNE la mise en liberté de M. [G] s'il n'est détenu pour autre cause ;
ORDONNE le placement sous contrôle judiciaire de M. [G] ;
DIT qu'il est soumis aux obligations suivantes :
- Ne pas sortir des limites territoriales suivantes : département de
Seine-saint-Denis ;
- Ne s'absenter de son domicile ou de sa résidence, qu'il convient de fixer [Adresse 2] à [Localité 3], chez Mme [A] [C], qu'aux conditions et pour les motifs suivants : chaque jour de 7 heures à 19 heures ;
- Se présenter, le lendemain de sa libération, avant 17 heures, et ensuite chaque jour, entre 9 heures et 17 heures, au commissariat central de police de son domicile [Adresse 1] [Localité 3] ;
- S'abstenir de recevoir ou de rencontrer, ainsi que d'entrer en relation avec MM. [T]-[S] [R], [B] [I], [P] [D], [F] [K], [H] [O], [X] [V] et [N] [J] ainsi que M. [L] [M], sa famille et celle de [W] [U] ;
- Ne pas détenir d'arme ;
DESIGNE, pour veiller au respect des obligations prévues aux rubriques ci-dessus, le commissaire central de police de [Localité 3] ;
DESIGNE le magistrat chargé de l'information aux fins d'assurer le contrôle de la présente mesure de sûreté ;
RAPPELLE qu'en application de l'article 141-2 du code de procédure pénale, toute violation de l'une quelconque des obligations ci-dessus expose la personne sous contrôle judiciaire à un placement en détention provisoire ;
DIT que le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale.
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille vingt-trois.
Dossier complet et clair