Lors d’une foire, des consommateurs signent un bon de commande de cuisine et versent un acompte de 8 791,00 euros. Après mure réflexion, ces derniers considèrent avoir été victime d’une vente agressive et s’aperçoivent que les métrés ne sont pas compatibles avec leurs projets. Ils saisissent la justice. Exemple jurisprudentiel curieux rendu par la Cour d’appel de Colmar. 

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue par la Cour d’Appel de Colmar le 18 juillet 2022, n° 22/390 et qui vient aborder la question délicate du sort de l’acompte dans le cas d’un bon de commande de cuisine, dans le cadre d’un contentieux de cuisiniste toujours très nourri et pour lequel le droit de la consommation est venu protéger les consommateurs qui subissent parfois des conditions de vente agressives.

En effet, il n’est pas rare de voir des bons de commandes signés et des acomptes importants remis au cuisiniste après plusieurs heures de discussion longues, finalement pénibles, et pour lequel, après coup, les consommateurs, après mure réflexion souhaitent se raviser tant le travail des démarches de vente commerciale agressive a secoué lesdits clients et consommateurs.

Dans pareil cas, fort heureusement, le droit de la consommation joue son rôle et vient protéger le consommateur malmené, parfois pris à son propre piège, afin qu’il puisse avoir des voies de recours, annuler le bon de commande et, in fine, récupérer l’acompte qu’il a versé à tort.

Il n’en demeure pas moins que cette jurisprudence est intéressante, tant celle-ci est à contre-courant de bon nombre de jurisprudences favorables pour le consommateur,

En effet dans cette affaire, la Cour d’appel vient donner raison au cuisiniste sur la base d’une argumentation à mon sens critiquable, tant les effets et conséquences de cette jurisprudence sont dévastateurs et, quelque part, un peu irréfléchis.

Quels sont les faits ?

Dans le cadre d’une foire, les consorts S. ont, en mai 2017, contracté avec une société C. aux fins d’acquérir une cuisine.

Par la suite, et invoquant l’absence de métré préalable à la vente, obligatoire en vertu de l’article L.111-1 du Code de la Consommation et le fait que la cuisine présentée sur plan ne serait pas réalisable à leur domicile, ils ont, par courrier en date du 31 mai 2017, sollicité du vendeur l’annulation de leur commande et la restitution de l’acompte versée à hauteur de la somme de 8 791,00 ¤.

Par même suite, le cuisiniste a, par courrier en retour de juin 2017, répondu que le métré préalable avant l’achat d’une cuisine n’était en aucun cas une obligation en France.

Le cuisiniste n’hésite pas à répondre que les époux S. avaient été à plusieurs reprises informés qu’aucune annulation ne pouvait être acceptée après signature sur foire et qu’il était convenu, dès le lendemain de la commande, que si les dimensions de la pièce communiquées par les acheteurs, qui devait recevoir la cuisine, ne s’avéraient pas tout à fait exact des ajustements seraient apportés.

Après une mise en demeure restée vaine, les époux S. ont alors assigné le cuisiniste devant le Tribunal Judiciaire de MULHOUSE afin de voir annuler la commande litigieuse et obtenir la restitution de l’acompte perçu outre 1 500 ¤ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Pour autant, le Tribunal Judiciaire de MULHOUSE, dans sa décision du 24 novembre 2020 a apporté une réponse bien curieuse.

Cette décision est spécieuse.

 

Une cuisine devant être posée 6 ans plus tard ?

En effet, les consorts S. avaient fait valoir que les bons de commandes comportent divers aléas qui font peser une incertitude à la fois sur l’objet et sur le prix qui serait révisable en fonction des circonstances indépendantes de la volonté des parties, de la dimension de la pièce à aménager, mention incompatible avec celle de commande ferme qui figure dans son contrat.

Monsieur S. ayant réalisé que l’agencement proposé n’était pas compatible avec les mesures relevées dès son retour dans la cuisine, d’où la demande d’annulation de la commande.

Les demandeurs considéraient que le contrat recevait des paramètres de variabilités si nombreux que le contenu du contrat ne pouvait être qualifié de certain au visa de l’article 808 du Code civil.

A l’inverse, le cuisiniste, quant à lui, traduit la mention « commande faite » comme la manifestation de la volonté des clients de s’engager dans la relation contractuelle, ce qui n’exclut nullement la possibilité de réviser le prix dans les conditions mentionnées au contrat.

Le cuisiniste rappelle que le devis descriptif extrêmement détaillé a été établit sur la base des indications fournies par Monsieur S. de sorte que le contrat est, selon lui, valablement formulé au regard de l’article 682 du Code civil.

Le cuisiniste faisant également observer que les demandeurs ne justifient pas de l’incompatibilité de la pièce avec des aménagements proposés, celle-ci étant supposée résulter des métriques que l’entreprise n’a pu vérifier du fait de l’opposition des clients.

Il n’est pas contesté que le devis a été établi sur les indications de Monsieur S., hors les dimensions de sa cuisine ne sauraient avoir changé entre le moment où il les a produites sur le stand et à son retour à domicile il aurait procédé à de nouvelles mesures.

 

Des dimensions de cuisines mal prises en compte

Le descriptif des éléments apposés étant extrêmement détaillé (dimension, couleur de chacun des éléments) ainsi que celui du mobilier électroménager, les conditions générales du contrat font partie inhérente du bon de commande signé sous la mention « le signataire accepte la présente commande et déclare avoir pris connaissance des conditions en général de vente des modalités et en accepte les termes sans exception ni réserves ».

Ces conditions générales stipulant que le client reconnaissait qu’il a, préalablement à la signature du bon de commande, fourni au cuisiniste, pour lui permettre l’établissement du devis, les informations lui permettant la compréhension de ses besoins et de goûts, à commencer par les renseignements relatifs à la configuration.

Le client reconnaissant ainsi avoir été informé et avoir pris connaissance des spécifications techniques des produits et de la nature des services et assume la responsabilité de ses choix en fonction de ses capacités de ses besoins.

Il reconnait avoir ainsi reçu toutes informations nécessaires à cet égard.

Ainsi, le Juge de première instance considère alors que le cuisiniste a satisfait aux obligations qui découlent tant de l’article 847 devenu 1231-1 du Code civil que de l’article L.111-1 du Code de la consommation.


Un prix de prestation de pose de cuisine déterminé dans le bon de commande

Dès lors, il apparait, pour le Juge du fond, que le prix de la prestation est déterminé sur le bon de commande, il est donc déterminable en cas de modification limitativement énumérée aux conditions générales de sorte qu’il n’y a pas en l’état d’incertitude de nature à vicier l’offre et l’acceptation du contrat conclu le 21 mai 2017 au sens des articles 1113 et suivants du Code civil.

Dans la mesure où les consorts S ne justifient pas d’un manquement suffisamment grave de la part du cuisiniste pour justifier la résolution du contrat le tribunal a souverainement retenu que les demandeurs ne justifient même pas de l’inadéquation des prestations convenues puisque le cuisiniste n’a pas été en mesure de vérifier les métrés contestés.

Ce qui peut sembler paradoxal….

Très curieusement, le tribunal a donné acte au cuisiniste de ce qu’il reste disposé à exécuter la prestation convenue et à livrer les éléments commandés.

Ainsi, le tribunal a décidé que dans la mesure où de 8 791,00 ¤ a été définie comme un acompte, les consorts S. ne peuvent s’y soustraire et devront, en cas d’annulation, indemniser la société à hauteur de 26 655,00 ¤ convenus après déduction de l’acompte de 8 791,00 ¤ car ils ne disposent à aucun titre de la faculté de se rétracter.

C’est dans ces conditions que le Tribunal Judiciaire de MULHOUSE a rejeté la demande d’annulation du contrat conclu le 21 mai 2017 entre les consorts S. et la société C. à rejeté la demande de remboursement de l’acompte de 8 791,00 ¤ formé par les consorts S, a donné acte à la société C. de son engagement à réaliser les prestations convenues et à fournir les éléments commandés en exécution du contrat, disant qu’en cas d’empêchement du fait de Monsieur et Madame S. ceux-ci seront condamnés à payer au cuisiniste la somme de 17 864,00 ¤ correspondant au solde de la commande outre 750 ¤ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Naturellement les consorts S ont frappé d’appel cette décision. 

Pour autant, la décision de la Cour est tout aussi curieuse. 

En effet, à hauteur de Cour la décision rendue est tout aussi spécieuse puisqu’elle laisse à penser que dans la mesure où le contrat ne peut être annulé, non seulement l’acompte est conservé mais bien plus, le cuisiniste est en mesure de finaliser la commande et donc de livrer la cuisine en question.


La livraison de la cuisine conformément au bon de commande 6 ans plus tard

Ceci est d’autant plus spécieux qu’il n’échappera pas à la juridiction de céans que le jugement de première instance a été rendu quant à lui le 24 novembre 2020, soit déjà plus de 3 ans et demi après la signature du bon de commande en question.

Il est bien évident que les consorts S. ne sont pas restés pendant 6 ans sans cuisine.

Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que le jugement ordonne l’exécution provisoire en toutes ses dispositions, et donne acte au cuisiniste de son engagement à réaliser les prestations convenues et à fournir les éléments commandés en exécution du contrat, ce qui n’a pas été fait puisque l’appel a été interjeté.

Or, dans le cadre de son arrêt rendu en juillet 2022, la Cour vient reprendre cette argumentation.


La nullité de la commande pour pratique commerciale agressive

Concernant la demande en nullité du contrat pour pratique commerciale agressive, la Cour d’appel rappelle que les appelants invoquent les dispositions de l’article L.222-11 à 15 du Code de la consommation en leur temps codifiés aux articles L.121-6 ; L.121-7 et L.132-10 du même Code selon lesquelles le contrat conclut à la suite d’une pratique commerciale agressive est nulle et de nul effet, 

Etant précisé que sont également réputées agressives les pratiques commerciales qui ont pour objet de donner l’impression que le consommateur a déjà gagné ou gagnera en accomplissant tel acte à un prix ou un autre avantage équivalent alors qu’en fait, soit il n’existe pas de prix ou autre avantage équivalent, soit l’accomplissement d’une action en rapport avec la demande du prix ou autre avantage équivalent est subordonné à l’obligation pour le consommateur de verser de l’argent ou de supporter un coût.

A ce titre, les appelants faisaient valoir qu’ils n’ont signé le contrat qu’à la suite d’une argumentation commerciale très insistante et consistant à les persuader d’avoir fait une bonne affaire, alors que celle-ci avait une condition, à savoir la signature séance tenante du bon de commande et l’argent versé rubis sur ongle pour pouvoir bénéficier des réductions obtenues lors de la démonstration commerciale.

Or, le point 8 de l’article L.121-7 devenu L.122-11 du Code de la consommation ne s’applique pas à la négociation d’un contrat de conception ou de fabrication ou de livraison d’une cuisine, la notion de prime ou d’avantage au sens de ces dispositions ne s’entendant pas d’un rabais consenti sur le montant d’un marché de vente de travaux.

Ce qui est quand même une interprétation bien particulière de la Cour d’Appel de COLMAR.

La Cour retenant qu’en tout état de cause, les appelants qui se sont présentés spontanément au stand du cuisiniste ne rapporte aucunement la preuve que la négociation commerciale dont ils ont bénéficié en définitive par l’obtention d’un rabais sur le prix aurait été particulièrement agressive et que des pratiques commerciales agressives les auraient déterminés à contracter, altérant ainsi de manière significative leur liberté de choix, de telle sorte que la nullité du contrat ne saurait en conséquence être prononcée de ce chef.

 

Nullité du bon de commande pour défaut d’information au droit de rétractation

Sur la demande de nullité du contrat pour défaut d’information relative au droit de rétractation, la Cour retient que la mention « le consommateur ne bénéficie pas d’un droit de rétractation pour un achat effectué dans une foire ou dans un salon » figure effectivement sur le bon de commande unique signé par les consorts S. et pourtant, même si la Cour souligne que force est de constater que cette mention très apparente ne figure toutefois pas en tête du bon de commande et n’est pas encadrée.

Il n’en demeure pas moins que la Cour retient que le Code de la consommation ne sanctionne pas de nullité mais par une simple amende administrative le manquement à l’obligation d’information relative à l’absence du délai de rétractation, de telle sorte qu’il n’y a pas lieu d’annuler le bon de commande, selon elle, de ce chef-là.