La clause de tontine aussi appelée « clause d’accroissement » de « réversion », de « condition de survie » ou pacte tontinier, permet de régler le sort de la propriété d'un bien au décès des divers contractants qui en sont parties et, parfois même, d'en attribuer la jouissance viagère à l'un d'eux, qu’importe que ce dernier soit un héritier ou non. Le recours à la tontine peut se faire à l’occasion de l’achat d’un bien immeuble ou pour autre bien.

Cette technique est souvent utilisée lors de l'achat d'un bien immobilier par des conjoints ayant opté pour un régime de séparation de biens ou par des partenaires vivant en concubinage ou en union civile. En effet, elle permet d’anticiper les conséquences de la succession pour le partenaire survivant.

À titre d’information, il existe deux types de tontines. Il convient de distinguer la tontine immobilière de la tontine financière. Nous nous pencherons à travers cet article, exclusivement sur l’étude de la tontine immobilière.

La tontine immobilière présente de nombreux avantages (I) à condition de respecter certaines conditions (II). Cependant, il peut arriver que cette clause soit requalifiée (III) ou qu'elle perde son efficacité en cas de séparation conjugale (IV), ce qui entraîne diverses conséquences.

I. Les avantages du pacte tontinier

Avantage n°1 = Le bien ne tombe pas dans la masse successorale

Ainsi, cette clause garantit au survivant signataire la propriété de la totalité du bien, comme s’il en avait toujours été le seul propriétaire. Les héritiers du de cujus ne pourront prétendre à aucun droit sur ledit bien. Cette opération a pour objectif de sécuriser la situation du conjoint survivant.

🔎 Précision.

En raison du fondement juridique inhérent au mécanisme du pacte tontinier, il semble inenvisageable de restreindre celui-ci à la seule jouissance de l'usufruit du bien, étant donné que la nue-propriété est acquise conjointement par les coacquéreurs. En effet, le pacte tontinier ne confère pas au survivant un droit exclusif sur une fraction de l'héritage du défunt préalablement décédé, mais octroie à chaque acquéreur la pleine propriété du bien acquis à compter de sa date d'acquisition, sous la condition suspensive du décès de son cocontractant.

Avantage n°2 = L’exonération du paiement des droits de succession dans certains cas

L’avantage principal de la tontine réside dans son régime fiscal. Les biens immobiliers acquis par un pacte tontinier ne sont pas soumis à l’impôt sur la fortune immobilière. Il faut toutefois noter que la partie survivante de la tontine n’est pas exemptée de droit de succession.

Pour limiter l'évasion fiscale résultant du recours aux pactes tontiniers, qui constituait un moyen d'éluder le paiement des droits de succession, l'article 69 de la loi de finances pour 1980 (L. n° 80-30, 18 janv. 1980), codifié à l'article 754 A du CGI, a assujetti par principe aux droits de mutation à titre gratuit les biens recueillis en vertu d'une clause de tontine insérée dans un contrat d'acquisition en commun.

Selon les dispositions de l’article 754 A du Code général des Impôts « Les biens recueillis en vertu d'une clause insérée dans un contrat d'acquisition en commun selon laquelle la part du ou des premiers décédés reviendra aux survivants de telle sorte que le dernier vivant sera considéré comme seul propriétaire de la totalité des biens sont, au point de vue fiscal, réputés transmis à titre gratuit à chacun des bénéficiaires de l'accroissement.

Cette disposition ne s'applique pas à l'habitation principale commune à deux acquéreurs lorsque celle-ci a une valeur globale inférieure à 76 000 €, sauf si le bénéficiaire opte pour l'application des droits de mutation par décès. »

L’acquéreur survivant devra donc payer des droits de mutation à titre gratuit, calculés sur le degré de parenté qu’il entretient avec le défunt et la valeur de la part qu’il recueille. Ces droits sont gratuits entre époux et partenaires pacsés cependant ils s’élèvent à 60 % entre concubins.

À ce principe, il existe toutefois une exception. Ainsi, quand le bien constitue la résidence principale des acquéreurs au moment du décès et que sa valeur est inférieure à 76 000 €. Dans de telles circonstances elle est toutefois assujettie à des droits de mutation à titre onéreux dont le taux maximum est de 5,81 %.

💡Explications.

Le pacte tontinier juridiquement assimilé à un contrat conclu à titre onéreux. Selon cette qualification, les parts transmises au survivant devraient logiquement être soumises aux droits de mutation à titre onéreux, et non aux droits de succession (droits de mutation à titre gratuit).

Cependant fiscalement elle revêt une qualification différente. Afin d’éviter les fraudes et autres abus, l'administration a soumis la tontine aux règles fiscales des successions.

II. Les conditions de validité de la clause de tontine

Pour la valider et en admettre l'irrévocabilité entre époux et entre concubins, la Cour de cassation a parfois qualifié cette tontine de contrat aléatoire (Civ. 1re, 3 févr. 1959). Un contrat est aléatoire lorsque ses effets dépendent « d'un événement incertain ».

Ainsi, pour être valable, la clause de tontine doit respecter certaines conditions. La première étant que tous les acquéreurs doivent financer le bien de manière équivalente tandis que la deuxième condition repose sur l’espérance de vie. Celle-ci doit être similaire pour chacun des acquéreurs. Enfin ce pacte devra se fonder sur l’existence d’un aléa et non sur un évènement prévisible.

1. Le financement du bien

La validité du pacte tontinier est subordonnée à la participation égalitaire des acquéreurs. Un déséquilibre significatif des apports lors de l’achat peut donc conduire à la requalification de cette opération en donation déguisée. En revanche, ce principe supporte des exceptions.  Ainsi, une différence dans le montant de la participation peut se justifier si un contrat antérieur lie les parties (le remboursement d'un prêt par exemple) ou si le plus jeune des acquéreurs supporte la charge la plus importante du prix, en raison de son espérance de vie plus longue. (CA Montpellier, 3 mai 2012, n° 11/00002).

Cependant, le déséquilibre dans le financement doit être expliqué clairement, de manière précise et circonstanciée.

2. L’espérance de vie des acquéreurs

En plus de l’obligation de financement à parts égales, les acquéreurs doivent avoir une espérance de vie similaire.  En revanche il convient de nuancer cette exigence. La différence d'âge entre les intéressés n’altère pas nécessairement la clause du caractère aléatoire exigé pour sa validité (Cass. 1re civ., 11 janv. 1983, n° 81-16.307). Les juges ont donc déjà pu estimer que la différence d'âge n'était pas de nature à faire reconnaître une absence d'aléa.

En revanche, il a été jugé que la différence d'âge de 15 ans qui aurait pu ne pas être significative, en elle-même, était accompagnée d'une disparité dans les chances de survie des intéressés, en raison de leur état de santé respectif ce qui entraînait la nullité de la clause de tontine. Au contraire la jurisprudence a aussi pu estimer qu’une différence d’âge de 18 ans n’excluait pas l’aléa.

Il faut donc retenir que si l'un des acquéreurs avait connaissance de l’état de santé de son partenaire (dont l'issue ne peut être que fatale), le caractère aléatoire ne sera pas retenu.

Ces conditions ont vocation à limiter les abus qui pourraient être commis sous l’égide d’un pacte tontinier. En effet, il serait alors facile pour des grands-parents de procéder à un achat en tontine avec leurs petits-enfants, afin que ces derniers deviennent propriétaires du bien au terme de la tontine.

3.  L’existence d’un aléa

La validité du pacte tontinier repose sur l’existence d’un élément aléatoire.

Chacun des acquéreurs doit contribuer financièrement de manière équitable à l'opération, sans déséquilibrer les probabilités de survie des parties impliquées. Si ces conditions ne sont pas remplies, l'opération peut être requalifiée en tant que libéralité, avec toutes les implications juridiques qui en découlent, telles que la réduction ou le rapport à la succession du prédécédé. Ainsi une clause de tontine dépourvue d'aléa est assimilée à une donation déguisée. Dans cette situation, l’opération vise à dissimuler une donation afin d'éviter les réglementations fiscales en matière de succession (Comité de l'abus de droit fiscal (CADF), avis sur l'affaire n° 2021-08, 6 mai 2021).

Pour l'administration fiscale, lorsqu'un contribuable réalise un acte ayant un caractère fictif ou pris uniquement dans le but d'éluder ou d'atténuer l'impôt, il commet un abus de droit.

En revanche, si l'acte est valable, il est à l'abri d'une contestation ultérieure fondée sur l'atteinte à la réserve des héritiers.

III. La requalification du pacte tontinier

1. Les conséquences de la requalification

Lorsque la clause de tontine figurant dans l'acte d'achat d'un bien immobilier est en réalité une donation déguisée faite par le défunt en faveur de sa partenaire, cette donation doit être soumise au rapport dans les limites et selon les modalités prévues à l'article 758-6 du Code civil (Cass. 1re civ., 12 janv. 2022, n° 20-12.232).

Dans la situation examinée, à la suite du décès du défunt le 27 juin 2013, sa conjointe survivante et ses deux enfants nés d'un mariage précédent sont appelés à lui succéder. Préalablement, par le biais d'un acte daté du 2 mai 2013 contenant une disposition de pacte tontinier, le défunt avait acquis un appartement en compagnie de son épouse. Toutefois, des complications se manifestent lors des démarches de partage de la succession.

L'arrêt d'appel (CA Colmar, 19 déc. 2019) ordonne le rapport à la succession de la donation déguisée au profit de l'épouse, constituée par le pacte tontinier compris dans l'acte d'achat de l'appartement.

La Cour de cassation approuve la cour d'appel. Selon l'article 758-6 du Code civil, les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s'imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l'article 1094-1.

Aussi, il résulte de la combinaison des articles 758-5 et 758-6 du Code civil que le conjoint survivant est tenu à un rapport spécial en moins prenant des libéralités reçues par lui du défunt dans les conditions définies à l'article 758-6. La cour d'appel ayant retenu que le pacte tontinier compris dans l'acte d'achat de l'appartement constituait une donation déguisée du défunt en faveur de son épouse, il s'ensuit que cette donation est soumise au rapport dans les limites et selon les modalités prévues à l'article 758-6 du Code civil.

2. Notion d’abus de droit

Jusqu'au 1er janvier 2021, uniquement les actes fictifs ou ceux conçus dans le seul but d'échapper ou de réduire les charges fiscales pouvaient être soumis à des poursuites dans le cadre d'une procédure pour abus de droit (conformément à l'article L. 64 du Livre des procédures fiscales). Depuis le 1er janvier 2021, pour les actes réalisés à partir du 1er janvier 2020, la notion d'abus de droit englobe également les actes principalement motivés par des considérations fiscales (conformément à l'article L. 64 A du Livre des procédures fiscales).

Mutation à titre gratuit. On parle de « mutation à titre gratuit » quand la propriété d’un bien immobilier est transférée sans aucune contrepartie financière. Seule la volonté du propriétaire s'exprime, le bénéficiaire n'a aucun rôle actif et ne fait que recevoir la mutation.
Un transfert de propriété est dit « à titre gratuit » lorsqu’il s’agit d’une donation, d’une succession, d’un partage de communauté conjugale, ou encore d’un apport de biens à un trust.

La notion de « mutation à titre gratuit » est fréquemment utilisée en droit de la propriété et de la famille. Ce mécanisme permet notamment d'échapper à l'impôt sur les plus-values immobilières.

IV. Conséquence de la séparation des époux

En cas de séparation du couple, il incombe uniquement à celui qui occupe le bien ainsi acquis de fournir une compensation à son ancien partenaire, étant donné que la jouissance exclusive du bien demeure "pendente conditione" en attendant le partage (Civ. 1re, 9 nov. 2011, no 10-21.710).

 

SOURCES :