Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel d’Aix-En-Provence du 4 mai 2023 qui vient aborder la problématique de l’exequatur d’une décision algérienne en plein procédure de divorce franco-algérien en France et dans laquelle la problématique de la répudiation se posait.
Quels sont les faits ?
Madame Y.H. et Monsieur M.H. se sont mariés le 30 octobre 1972 en Algérie.
De cette union, sont issus quatre enfants :
- A. né le 1er mars 1974 en Algérie,
- R. né le 28 janvier 1976 en Algérie,
- M. né le 9 juillet 1984 en France,
- Y. né le 31 mai 1990 en France.
Le mariage des époux a été dissout par jugement de divorce en date du 29 novembre 2018, rendu par le Tribunal d’Oran en Algérie, lequel a été confirmé par un arrêt de la Cour de justice d’Oran en Algérie en date du 27 février 2019.
Monsieur M.H. a sollicité, auprès des services de l’état civil du Parquet, une demande aux fins de retranscription de la décision de divorce devenue définitive.
La retranscription en France d’un jugement de divorce alégrien
Pour autant, par courrier en date du 21 octobre 2019, le service de l’état civil du Parquet du Tribunal de Nantes avait refusé sa demande de retranscription sur les registres de l’état civil français.
Par requête reçue au greffe le 3 février 2020, Monsieur M.H. avait saisi le Juge aux Affaires Familiales de Marseille aux fins d’exequatur de l’arrêt rendu par la Cour de justice d’Oran en Algérie le 27 février 2019, confirmant ainsi le jugement en date du 29 novembre 2018 rendu par le Tribunal d’Oran (juridiction algérienne).
Monsieur M.H. demande alors au Juge français de déclarer exécutoire la décision prononcée par la Cour de justice d’Oran le 27 février 2019 et confirmant le jugement du Tribunal d’Oran le 29 novembre 2018, prononçant le divorce des époux.
Il demande également d’autoriser l’apposition de la formule exécutoire de ladite décision et d’ordonner la retranscription du divorce au registre d’état civil en France.
De ses prétentions, il faisait valoir que le jugement de divorce avait été prononcé pour faute de l’épouse et qu’il ne s’agissait pas d’une décision de répudiation sans cause sérieuse.
Il précise que cette décision est intervenue à la suite d’une procédure régulière et contradictoire à laquelle son épouse était partie et représentée.
Il souligne que son épouse sollicitait également le divorce et qu’elle n’a jamais soulevé l’incompétence des juridictions algériennes au cours des différentes procédures.
Il indique que durant la procédure d’appel, elle n’a pas remis en cause la dissolution du mariage, Monsieur M.H précisant encore que l’arrêt confirmant le jugement du divorce a été rendu dans le cadre d’une procédure contradictoire et qu’il est clairement indiqué, par la Cour d’Oran, que le divorce est prononcé pour rupture de la vie commune.
Difficile interprétation de la décision algérienne, divorce ou répudiation ?
Ainsi, Monsieur M.H. considère qu’il ne s’agit donc, en aucun cas, d’une répudiation et souligne que les époux sont séparés depuis plus de douze ans et que ce divorce étant prononcé en Algérie, il était nécessaire de le retranscrire sur les registres de l’état civil.
Pour autant et par avis en date du 25 janvier 2021, le ministère public s’était opposé à la demande au regard de la teneur de l’arrêt qui confirme le jugement, lui-même étant contraire à l’ordre public français puisque s’agissant d’une répudiation.
Il est vrai que l’arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Oran pouvait être interprété de deux manières différentes.
En effet, la Cour d’Appel d’Oran, quant à elle, précisait, en tant que de besoin, que sur le fond, le Juge n’a pas cité les raisons de divorce pour les deux parties et il n’est pas fait référence des documents présentés, voire les réquisitions présentées concernant l’abandon du domicile conjugal.
L’épouse a profité de l’absence de son époux qui se trouvait à l’étranger pour quitter le domicile conjugal en emportant toutes ses affaires et une grande partie des meubles.
L’époux ne l’a jamais chassé, c’est elle qui est partie de son plein gré sans motif réel et sérieux, tout a été calculé à l’avance, vu que le jour suivant le départ de son époux, elle a tout pris.
Les faits ont été constatés par un huissier de justice, l’époux a entamé des procédures judiciaires afin de prouver la violation de ses droits.
Après enquête, la justice a fixé la date précise pour statuer sur l’affaire parce que les faits constituent un fondement légal pour le divorce et la justice ne peut les requalifier en tant que divorce sans motif réel et sérieux.
Le Juge a constaté la persistance du maintien de la demande de l’époux sur le principe du divorce mais il n’a pas évoqué l’abandon de l’épouse du domicile conjugal qui est la cause principale du divorce.
Vu qu’elle ne voulait plus vivre avec lui, le Juge n’a même pas évoqué le fait que les époux sont séparés depuis plus de treize ans et c’est un fait qui justifie la persistance de l’épouse sur le divorce et le refus de reprendre un lien conjugal qui est rompu depuis longtemps.
Conformément à la Loi algérienne, l’abandon du foyer conjugal est l’une des raisons légales majeures pour demander le divorce.
L’interprétation des articles 53 et 55 du Code de la famille algérien
En vertu de l’article 53 alinéa 3 du Code de la famille algérien, il est permis à l’épouse de demander le divorce pour refus de l’époux de partager sa couche depuis plus de quatre mois, ce que peut faire aussi l’époux, qui lui a vécu une séparation de treize ans.
L’article 55 du même Code stipule qu’en cas d’abandon du domicile par l’un des époux, le Juge accorde le divorce et le droit aux dommages et intérêts à la partie qui subit le préjudice et non pas appliquer, sans motiver, l’article 48 du même Code tel qu’il apparaît dans l’édition des jugements.
En la forme, le Juge considère la demande recevable et retient, sur le fond, que la décision de divorce prise en se basant sur l’article 47, écartait par la reprise de l’instance pour absence de réponse des parties et l’absence des arguments dans les conditions exposées et prononçait le motif réel du divorce qui est l’abandon de Madame Y.H. du foyer conjugal en janvier 2017.
De telle sorte que le Tribunal doit appliquer l’article 55 du Code de la famille algérien vu que l’abandon du foyer conjugal est le motif du divorce ainsi que la séparation de corps qui a duré depuis plus de treize ans.
L’abandon du foyer pour une période de quatre mois est une cause grave pour demander le divorce dans la Loi algérienne, tel que le rappelle l’article 55 du Code de la famille algérien.
La Cour précisant par ailleurs, ce qui peut d’ailleurs surprendre, de prendre aussi en compte les autres motifs de divorce aussi grave en les énonçant pour mauvaise conduite comme élément secondaire au motif du divorce.
Ainsi, les articles 53 et 55 du Code de la famille algérien en matière de divorce s’appliquent également au mari, toute nouvelle indemnité complémentaire doit être rejetée, compte tenu des sommes versées en excédent du montant global réclamé dans les jugements antérieurs.
Les Juges français ont considéré, aux termes de l’article 509 du Code de procédure civile, que les jugements rendus par les Tribunaux étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la Loi.
L’exéquatur en France d’un jugement algérien
Il est constant que le divorce prononcé par une juridiction étrangère est, comme toute décision relative à l’état des personnes, reconnu de plein droit sur le territoire français, sans formalité particulière, dès lors que sa régularité internationale n’est pas contestée.
La convention franco-algérienne relative à l’exéquatur
À cet égard, rappelons que la convention franco-algérienne relative à l’exéquatur et à la tradition du 27 août 1964 dispose que, pour avoir de plein droit l’autorité de la chose jugée en France, les décisions contentieuses ou gracieuses rendues par une juridiction siégeant en Algérie doivent réunir les conditions de compétences internationales de juridiction, de régularité de la situation ou de la comparution des parties du caractère exécutoire de la décision et de l’absence de contrariété de celle-ci à l’ordre public français ou à une décision rendue en France.
Aux termes de l’article 48 du Code de la famille algérien, le divorce et la dissolution du mariage, sous réserve des dispositions de l’article 49 ci-dessous, il intervient par la volonté de l’époux, par consentement mutuel des deux époux ou à la demande de l’épouse, dans la limite des cas prévus aux articles 53 et 54 de la Loi algérienne.
L’article 53 du Code de la famille algérien dispose qu’il est permis à l’épouse de demander le divorce pour les causes ci-après :
- Pour défaut de paiement de la pension alimentaire prononcée par jugement, à moins que l’épouse ait connu l’indigence de son époux au moment du mariage, sous réserve de l’article 78, 79 et 80 de la présente Loi ;
- Pour infirmité empêchant la réalisation du but visé par le mariage ;
- Pour refus de l’époux de partager la couche de l’épouse pendant plus de quatre mois ;
- Pour condamnation du mari pour une infraction de nature à déshonorer la famille et rendre impossible la vie en commun et la reprise de la vie conjugale ;
- Pour absence de plus d’un an, sans excuse valable et sans pension d’entretien ;
- Pour violation des dispositions de l’article 8 ci-dessus ;
- Pour toute faute immorale gravement répréhensible établie ;
- Pour désaccord persistant entre les époux ;
- Pour violation des clauses stipulées dans le contrat de mariage ;
- Pour tout préjudice légalement constaté
En l’espèce, les Juges français considèrent qu’il apparaît que les deux ordonnances de non-conciliation ont été rendues le 19 juillet 2007 et le 14 mars 2012 par le Juge aux Affaires familiales de Marseille, en France, lesquelles ont, toutes deux, été frappées de caducité, faute d’avoir été suivies d’un acte introductif d’instance en divorce dans les trente mois.
A la lecture de l’ensemble des articles du Code de la famille algérien, qui sont repris par le jugement du Tribunal d’Oran, aucun d’eux ne fait une référence à un divorce pour faute de l’épouse.
Il convient de relever que la traduction du jugement de divorce d’Oran versée aux débats, indique que le Tribunal prononce la dissolution de la relation conjugale par la voie de divorce et par la volonté exclusive, sans aucune autre précision.
Ce qui constitue justement la difficulté.
Or, selon l’article précité du Code de la famille algérien, seule la volonté exclusive de l’époux peut permettre le prononcé du divorce.
Si Madame Y.H. était présente et assistée d’un conseil durant la procédure de divorce intervenue devant le Tribunal d’Oran, il apparaît à la lecture du jugement rendu le 29 novembre 2018, qu’elle a soulevé l’incompétence des juridictions algériennes à titre principale, ne sollicitant la dissolution de la relation conjugale qu’à titre subsidiaire, expliquant, en effet, que le couple vivait en France depuis 1976 et que Monsieur M.H. avait engagé des procédures judiciaires devant les juridictions françaises, lesquelles ont donné lieu à des ordonnances de non-conciliation, décisions encore en cours d’application à titre provisoire.
Bien plus, il ressortait du mémoire en défense produit par Madame Y.H., suite à la requête en appel déposée par Monsieur M.H. de la décision rendue le 29 novembre 2018 par le Tribunal d’Oran en Algérie, qu’elle maintenait le fait que le couple et leurs enfants avaient leur vie en France depuis la naissance de R., leur second enfant né en 1976, considérant que Monsieur M.H. avait essayé de détourner la Loi en ayant recours à la justice algérienne, faisant de fausses déclarations en attestant être installé en Algérie alors qu’il vivait en France.
Il ressort de la requête introductif d’instance devant le Juge aux Affaires familiales d’Oran déposée par Monsieur M.H. du jugement rendu par le Tribunal d’Oran, reprenant les termes de cette requête ainsi que de la requête initiale d’appel de Monsieur M.H., que ce dernier expliquait lui-même avoir voulu poursuivre des études supérieures en France, avoir alors décidé de prendre sa famille en France, les enfants ayant grandi sous la garde de leurs parents jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de la majorité.
Les époux vivaient dans une tranquillité complète jusqu’au 26 décembre 2006 où l’épouse a quitté le domicile conjugal, en France à Marseille.
L’analyse par le juge français de la validité de la procédure algérienne
Pourtant, le Juge français s’interrogeait quant à la validité de la procédure de divorce en Algérie et considère que l’ensemble des éléments évoqués dans la procédure permet d’établir que Madame Y.H. n’a pas acquiescé à la procédure de divorce en Algérie, même si elle y a bien participé et qu’elle a effectivement demandé la confirmation du jugement de divorce sur le point contesté en appel par Monsieur M.H., lequel ne portait pas sur le prononcé du divorce mais uniquement à titre subsidiaire, souvent en premier lieu l’irrecevabilité de l’appel en raison, notamment, de l’incompétence des juridictions algériennes.
Par conséquent, outre le fait que la décision de divorce rendue par le Tribunal d’Oran le 29 novembre 2018 était bien une décision de répudiation contraire au principe d’égalité des époux lors de la dissolution du mariage reconnu par la Loi française et par l’article 5 du Protocole du 22 novembre 1984 n°7, additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que la France s’est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction et donc, à un public international, réservé par l’article 1er d) de la convention franco-algérienne du 27 août 1964, dès lors que les époux étaient domiciliés sur le territoire français, il apparaissait que, contrairement, à ce qu’indique Monsieur M.H., Madame Y.H. a bien soulevé, à l’occasion de cette procédure de divorce, l’incompétence des juridictions algériennes, ne sollicitant le divorce qu’à titre subsidiaire et réitérant en cause et appel ses arguments relatifs à l’incompétence des juridictions algériennes.
De telle sorte que le Juge français au fond en première instance, considère, en conséquence, qu’il ne serait être donné effet en France au jugement de divorce ainsi prononcé par le Tribunal d’Oran, dépourvu de toute autorité de la chose jugée sur le territoire français, de telle sorte que la requête aux fins d’exequatur est rejetée.
Le rejet de la procédure d’exéquatur
C’est ainsi qu’à hauteur de Cour d’Appel, la question se posait de savoir, si oui ou non, il y avait matière à exequatur de ce jugement de répudiation en France.
La Cour d’Appel rappelle que, selon l’article 3 de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964 relative à l’exequatur et à l’extradition, l’exequatur est accordé à la demande de toute partie intéressée par l’autorité compétente d’après la Loi de l’État où il est requis.
La procédure de la demande en exequatur est alors régie par la Loi de l’État dans lequel l’exécution est demandée.
Il convient, en conséquence, d’appliquer les règles procédurales françaises en vertu des règles de droit commun auxquelles renvoie cette Convention.
Selon les dispositions de l’article R.212-8 2ème du Code de l’organisation judiciaire et l’article 54 du Code de procédure civile, l’exéquatur est une procédure formalisée devant le Tribunal judiciaire du lieu du domicile du défendeur, du créancier ou du lieu où sera exécutée la mesure d’exécution selon les règles de la procédure contentieuse, l’instance étant introduite par voie d’assignation par requête conjointe.
En l’espèce, le Tribunal judiciaire a statué selon la requête présentée par Monsieur M.H., hors la présence de Madame Y.H. qui n’a pas été appelée à la procédure, et sans que le ministère public ait été attrait à la procédure en tant que partie principale, le caractère contentieux de la procédure d’exéquatur dans un jugement de divorce incitant à l’assignation de l’épouse.
Le principe du contradictoire consacré par l’article 15 et 16 du Code de procédure civile n’a pas été respecté de sorte que le jugement doit être traduit.
Le non-respect du principe du contradictoire empêchant l’exequatur
Ainsi l’article 568 du Code de procédure civile, prescrit que, lorsque la Cour d’Appel infirme ou annule un jugement qui a ordonné une mesure d’instruction ou qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l’instance, elle peut évoquer les points non-jugés si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive.
Ainsi, la Cour souligne que Madame Y.H. s’est vu signifier la déclaration d’appel et les conclusions de l’appelant à hauteur de Cour, bien que n’étant pas partie à la procédure de première instance.
Elle n’a pas été rendue destinataire des actes qui lui ont été signifiés à une adresse en Algérie.
Elle n’a pas été en mesure d’intervenir volontairement de sorte que la procédure ne peut être régularisée.
Dans ces conditions, la Cour ne peut évoquer et statuer sur la demande soumise au Tribunal judiciaire.
Par voie de conséquence, la Cour annule le jugement et dit n’y avoir lieu à vocation du litige et clos ainsi le débat.
De telle sorte que l’exéquatur est impossible concernant cette décision de justice rendue par les autorités judiciaires algériennes et s’analysant plus en une décision de répudiation que d’une décision de divorce.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit
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