Dans un arrêt du 30 juin 2021 (Cass. soc., 30 juin 2021, n°19-18.533 FS-B, F. c/ Sté BT France), la Chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que le juge saisi d’une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail doit examiner l’ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté.

En l’espèce, la demanderesse invoquait des manquements de son employeur survenus trois ans plus tôt. La Cour d’appel avait alors déclaré la demande de résiliation judiciaire prescrite au motif que les faits allégués étaient trop anciens. La Cour de cassation casse cet arrêt et apporte une précision inédite quant à l’indifférence relative à l’ancienneté des griefs invoqués.

 

Qu’est ce qu’une demande de résiliation judiciaire et quelles sont ses conditions de mise en ½uvre ?

En application de l’article 1217 du Code civil, la résiliation judiciaire peut être demandée par le salarié en cas d’inexécution par son employeur, d’une obligation découlant du contrat de travail. Cette demande sera formée devant le juge prud’homal afin que soit prononcée la rupture du contrat de travail.

Néanmoins, la résiliation judiciaire n’étant pas une prise d’acte, sa mise en ½uvre suppose une poursuite du contrat de travail, jusqu’à la décision des juges du fond. Le contrat de travail qui serait rompu par le salarié, mettant fin de son propre fait aux relations contractuelles, s’interprète comme une résiliation unilatérale rendant irrecevable l’action en résiliation judiciaire. Ce principe connait toutefois des exceptions.

De plus, pour que la résiliation judiciaire soit prononcée aux torts de l’employeur, les manquements reprochés par le salarié doivent être suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. Cette rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 20 janvier 1998, n° 95-43.350 PF :  RJS 3/98 n° 286) ou d’un licenciement nul. Dans le cas contraire, le demandeur est débouté et le contrat de travail se poursuit. L’employeur ne peut pas invoquer l’action en justice introduite par son salarié pour le licencier.

 

L’indifférence quant à la recevabilité de la demande de résiliation judiciaire mais l’influence sur le degré de gravité du manquement et sur la prescription d’autres demandes

L’arrêt du 30 juin 2021 apporte de nouvelles précisions concernant l’ancienneté des faits allégués par le salarié à l’appui du manquement de son employeur. Les juges du fond saisis d’une demande de résiliation judiciaire, doivent prendre en compte la totalité des griefs invoqués par le salarié. L’ancienneté de ceux-ci n’ont aucune incidence sur leur recevabilité. Ainsi, tous les griefs sont examinés, sans exception.

Cependant, l’ancienneté des faits allégués peut avoir une incidence sur le degré de gravité des manquements. Elle a également un effet sur la recevabilité des demandes, autres que la résiliation judiciaire.

Premièrement, la jurisprudence constante de la Chambre sociale de la Cour de cassation considère que le juge a la possibilité de prendre en compte l’ancienneté des griefs pour déterminer le critère de gravité des faits, empêchant la poursuite de l’exécution du contrat de travail (Cass. soc., 26 mars 2014, n°12-35.040 ; Cass. soc., 9 décembre 2015, n°14-25.148). De ce fait, des manquements anciens de l’employeur peuvent être considérés par le juge comme n’ayant pas fait obstacle à l’exécution du contrat de travail, et ainsi ne justifiant pas la résiliation judiciaire.

Deuxièmement, la décision de la Cour de cassation ne concerne que les griefs invoqués lors d’une demande de résiliation judiciaire. Ce qui signifie que toutes les autres demandes subséquentes ne sont pas soumises aux mêmes conditions de recevabilité, elles connaissent leur propre régime de prescription. À titre d’exemple, si une demande de résiliation judiciaire est considérée recevable, il n’est pas obligatoire qu’une demande de dommages et intérêts introduite dans la même instance, pour les mêmes faits, donne lieu à recevabilité.

Par conséquent, même si les griefs ne sont pas soumis à la prescription lors d’une demande de résiliation judiciaire, le salarié aura tout intérêt à agir et à invoquer les griefs qu’il reproche à son employeur le plus tôt possible, au risque de se voir débouter de sa demande de résiliation judiciaire pour défaut de gravité suffisante mais également de ses autres demandes, pouvant être soumises à la prescription.