Certains peuvent avoir un doute sur la licéité de la clause, notamment au regard du montant de la contrepartie financière qui peut se révéler dérisoire. Certains doutent de leur capacité financière à verser cette dernière. D'autres estiment enfin qu'elle ne parait plus nécessaire au regard des enjeux financiers entrainés - le bénéfice coût de la clause et risque de concurrence. Ces différentes raisons amènent les employeurs à lever ce type de clause au moment du départ du salarié. La difficulté reste de savoir à partir de quel moment il est envisageable de la lever, enjeu soulevé dans le présent arrêt.
À titre liminaire, les principales difficultés en jurisprudence se sont cristallisées sur la suppression unilatérale de la clause de non-concurrence et non sur leur remise en cause par accord mutuel de l'employeur et du salarié. Afin d'éviter le consentement des salariés, les patriciens ont intégré des facultés de renonciation unilatérale par l'employeur. Le salarié ayant accepté ce principe au moment de la signature de la clause - comme tout mode de rupture unilatérale contractuelle - l'employeur devrait disposer d'une liberté individuelle de décider du moment pour la lever.
Compte tenu des enjeux pour l'ex-salarié, laisser une liberté totale pour l'employeur dans le choix de lever la clause constitue autant une atteinte à sa liberté de travailler qu'une condition potestative prohibée (C. civ., art. 1304-2 : « Est nulle l'obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur » : l'employeur étant débiteur de la contrepartie financière). C'est la raison pour laquelle, d'une part, certaines conventions collectives de branche encadrent le délai pendant lequel la renonciation est possible. À titre d'exemple, la Convention collective de la métallurgie des ingénieurs et des cadres précise, dans son article 28, que « l'employeur [...] peut se décharger de l'indemnité prévue [...] mais sous condition de prévenir l'intéressé par écrit dans les 8 jours de la notification de la rupture du contrat ». L'article 3.21 de la Convention collective des cabinets ou entreprises d'expertises en automobiles prévoit que cette faculté doit être exercée dans « un délai d'un mois à compter du jour où il a connaissance de la rupture du contrat ». D'autre part, en l'absence de dispositions conventionnelles, les parties choisissent souvent dans la clause de fixer le délai de renonciation par l'employeur.
Malheureusement, certaines rédactions peuvent parfois soulever des ambiguïtés sur plusieurs points, notamment sur la durée du délai pour renoncer, mais surtout son point de départ. Dans ce dernier cas, est-ce la date de rupture du contrat ; est-ce la fin du préavis - quand il y a - ou est-ce le départ effectif du salarié qui marquent la fin de la faculté de renonciation ? De manière constante, la jurisprudence considère que la levée doit intervenir « au plus tard à la date du départ effectif du salarié de l'entreprise » (Cass. soc., 13 mars 2013, no 11-21.150, JSL no 343, 14 mai 2013, obs. A. Boucheret, « Dénonciation tardive d'une clause de non-concurrence »). Le présent arrêt (Cass. soc., 26 janv. 2022, pourvoi no 20-15.755, arrêt no 112 FS-B) en est une application avec la spécificité que la question de la levée de la clause de non-concurrence s'inscrivait dans le cadre d'une rupture conventionnelle.
En l'espèce, les juges du fond avaient accordé le paiement d'une partie de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence entre la date de la rupture de la convention (le 5 mai 2015) et la date de renonciation par l'employeur de l'exécution de la clause (le 11 septembre 2015).
En décidant ainsi, la Cour de cassation juge que la cour d'appel a violé l'article L. 1237-13 du Code du travail et l'article 1134 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Elle retient que la date de rupture fixée par les parties dans la convention de rupture étant le 5 mai 2015, il en résultait que la renonciation par l'employeur au bénéfice de la clause de non-concurrence intervenue le 11 septembre 2015 était tardive.
Par ailleurs, elle rappelle que la contrepartie financière de l'obligation de non-concurrence ayant la nature d'une indemnité compensatrice de salaires, elle ouvre droit à des congés payés. En décidant du contraire au motif que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, certes calculée sur la base du salaire, est payable postérieurement à la rupture du contrat de travail, la cour d'appel a violé les articles L. 3141-1, L. 3141-22 et L. 3141-26 du Code du travail.
I. Non-respect des délais
A- Renonciation anticipée
La clause de non-concurrence, dont la validité est subordonnée à l’existence d’une contrepartie financière, est stipulée dans l’intérêt de chacune des parties au contrat de travail, de sorte que l’employeur ne peut, sauf stipulation contraire, renoncer unilatéralement à cette clause au cours de l’exécution de cette convention.
En l’espèce, la clause de non-concurrence donnait à l’entreprise la possibilité de lever l’interdiction de concurrence au plus tard dans les huit jours suivant la notification de rupture du contrat de travail. L’employeur avait libéré le salarié de son obligation de non-concurrence par lettre du 7 avril et l’avait licencié le 28 juin suivant. La cour d’appel avait validé cette renonciation à la clause. A tort selon la Cour de cassation pour laquelle le délai courait à compter de la rupture du contrat de travail.
Le fait que l’employeur ait manifesté, lors de l’entretien préalable au licenciement, son intention de libérer le salarié de sa clause de non-concurrence est inopérant dans la mesure où cette renonciation n’a pas été confirmée, par écrit, à l’intéressé, dans le délai prescrit par la convention collective (en l’espèce, dans les 8 jours suivant la notification de la rupture du contrat de travail).
En l’état d’une lettre d’engagement prévoyant que l’employeur pouvait libérer le salarié de la clause de non-concurrence à condition de l’en avertir par écrit dans le délai d’un mois suivant sa démission, la société ne saurait se prévaloir d’une libération faite verbalement lors d’un entretien antérieur au départ de l’intéressé.
En effet, la renonciation alléguée, à un droit qui n’était pas encore né, n’avait pas été confirmé par écrit dans le délai imparti et ne pouvait produire effet.
Sur la validité de la renonciation anticipée à l’application d’une clause de non-concurrence en vertu de l’accord national interprofessionnel des VRP, voir TB-I-34000 s.
B- Renonciation tardive
Une cour d’appel ne saurait débouter un salarié de sa demande de condamnation à l’indemnité compensatrice de non-concurrence alors qu’il résulte des dispositions de la convention collective que l’employeur ne peut décharger le salarié de son obligation de non-concurrence postérieurement à la rupture du contrat de travail et alors que l’employeur avait notifié la libération de l’obligation de non-concurrence plusieurs jours après la notification du licenciement.
Selon l’article 32 de l’annexe IV de la convention collective nationale de l’industrie textile, « l’employeur peut toujours libérer l’intéressé de la clause de non-concurrence inscrite dans son contrat et se décharger en contrepartie de l’indemnité prévue à condition de l’en avertir par écrit, au moment de la notification de la rupture, en cas de licenciement ».
La rupture d’un contrat de travail se situe à la date où l’employeur a manifesté sa volonté d’y mettre fin.
Dès lors que l’employeur pouvait, en application du contrat de travail, renoncer à la clause de non-concurrence à condition d’en informer le salarié au plus tard à la date de la rupture du contrat, la cour d’appel, qui a exactement fixé cette rupture à la date de remise en main propre de la lettre notifiant à l’intéressé la rupture de sa période d’essai, peu important que l’employeur ait différé sa prise d’effet, en a déduit à bon droit que la renonciation au bénéfice de la clause après cette date était tardive.
Dès lors que le contrat de travail stipulait que l’employeur pouvait délier le salarié de la clause de non-concurrence par lettre recommandée dans le mois suivant la notification de la rupture du contrat de travail, la cour d’appel a exactement décidé que la dénonciation, intervenue par lettre recommandée plus d’un mois après la remise de la lettre de rupture du contrat, avait été tardive, même si le préavis n’était pas expiré.
Le délai prévu pour la dénonciation d’une clause de non-concurrence est un délai de rigueur. En cas de dénonciation tardive, l’employeur reste redevable de la totalité de la contrepartie pécuniaire de la clause et ne saurait limiter l’indemnité à la fraction correspondant au retard.
Si la dispense tardive de l’obligation de non-concurrence ne décharge pas l’employeur de son obligation d’en verser au salarié la contrepartie pécuniaire, celle-ci n’est due que pour la période pendant laquelle il a respecté la clause.
Le salarié n’a pas à justifier d’un préjudice pour prétendre en cas de renonciation tardive à la clause de non-concurrence au versement de l’indemnité compensatrice.
III. Caractère non équivoque
A- Renonciation expresse
La renonciation de l’employeur doit être expresse et ne saurait être déduite des circonstances entourant la rupture. En effet, la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut résulter que d’actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer. Ainsi, l’indemnité compensatrice de l’obligation de non-concurrence doit être versée au salarié dès lors que l’employeur n’a pas renoncé expressément à la clause dans le délai imparti par la convention collective.
L’employeur prétendait que la clause de non-concurrence étant dépourvue d’intérêt pour l’entreprise (dans la première espèce, il avait négocié l’embauche du salarié par une entreprise non concurrente, dans la seconde espèce le salarié avait été mis à la retraite), il y avait implicitement renoncé.
L’autorisation donnée « à titre exceptionnel » par l’employeur à son ancien salarié de représenter une entreprise concurrente ne vaut pas renonciation au bénéfice de la clause pour les autres entreprises exerçant la même activité.
La renonciation ne résulte pas du non-versement de l’indemnité de non-concurrence, équivoque dans la mesure où l’intéressé ne l’a pas réclamée, même pendant la période au cours de laquelle il n’était pas encore au service d’une société concurrente.
La lettre de licenciement stipulant que, au terme d’un préavis de 3 mois, les parties seront réciproquement libérées « de tout engagement » n’implique pas une volonté claire et non équivoque de l’employeur de renoncer à se prévaloir d’une clause de non-concurrence.
L’employeur ne saurait faire grief à la cour d’appel de le condamner au paiement d’une indemnité de non-concurrence, dès lors que la formule « libre de tout engagement » apposée sur une lettre adressée au salarié ne caractérise pas une volonté claire et non équivoque de sa part à renoncer à se prévaloir de la clause de non-concurrence.
La mention « libre de tout engagement » figurant dans le certificat de travail est insuffisante pour établir que l’employeur a entendu libérer le salarié de son obligation de non-concurrence : voir NA-III-1480 s.
S’agissant de la portée d’une transaction sur les obligations résultant de la clause de non-concurrence, voir NA-III-17600 s.
Une formulation générale dans l’accord de rupture ne vaut pas renonciation.
B- Renonciation dans la lettre de licenciement
La renonciation de l’employeur à la clause de non-concurrence dans la lettre de rupture permet à la salariée de connaître immédiatement l’étendue de sa liberté de travailler et répond ainsi à la finalité de la clause autorisant l’employeur à libérer le salarié de son obligation.
L’employeur délie valablement le salarié de l’obligation de non-concurrence dans la lettre de licenciement envoyée en recommandé dès lors que le contrat de travail ne lui fait pas obligation de renoncer à la clause de non-concurrence par une lettre distincte de la lettre de licenciement.
En l’espèce, le contrat de travail prévoyait que l’employeur pouvait renoncer à la clause de non-concurrence par une lettre recommandée envoyée dans les 15 jours suivant la notification du licenciement.
Ayant relevé qu’en raison de la nullité du licenciement, l’employeur ne pouvait se prévaloir des termes de la lettre de licenciement informant le salarié qu’il était libéré de la clause de non-concurrence et qu’à la suite de la rupture ultérieure du contrat de travail de son fait, il n’avait pas libéré le salarié de cette clause, la cour d’appel a légalement justifié sa décision de le condamner à payer une somme à titre de contrepartie financière de cette clause.
La renonciation de l’employeur à se prévaloir de la clause de non-concurrence prévue dans un contrat de travail doit résulter d’une manifestation de volonté claire et non équivoque.
La seule mention dans le plan de sauvegarde de l’emploi de l’intention de l’employeur de lever systématiquement l’obligation de non-concurrence des salariés licenciés ne constitue pas, à l’égard de ces derniers, une telle manifestation claire et non équivoque.
Le plan de sauvegarde de l’emploi prévoyant notamment que la clause de non-concurrence serait systématiquement levée afin de faciliter la recherche d’emploi des salariés licenciés, le chef d’entreprise estimait que cette intention inconditionnelle exprimée devant les représentants du personnel se suffisait à elle-même, sans qu’il ait à la réitérer individuellement. Mais la Cour de cassation lui impose de porter sa décision clairement à la connaissance de chacun des salariés pour qu’il n’existe aucune équivoque sur ses intentions.
Faute de l’avoir notifié individuellement aux salariés intéressés, l’employeur ne peut se prévaloir à leur encontre de son engagement pris dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi de renoncer à faire application des clauses de non-concurrence insérées dans les contrats de travail des salariés licenciés.
Sources :
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