Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour de cassation ce 08 février 2024 et qui vient aborder la problématique du prononcé de la déchéance du terme par l’établissement bancaire alors que le débiteur a déjà saisi le Juge d’Instance afin d’obtenir la suspension judiciaire des échéances du prêt.
Des difficultés de paiement en présence d’un échéancier de 20 ans et plus
En effet, il n’est malheureusement pas rare qu’au jour où l’emprunteur est en train de contracter un prêt immobilier le conseiller bancaire prend soin de lui indiquer qu’il serait à même de l’aider en toute circonstance dans le cadre du déroulement de ce prêt qui dure parfois de 20, 25, 30 ans.
Cependant, en pratique, lorsque les difficultés arrivent quelques années plus tard qu’il s’agisse d’un divorce, d’un licenciement ou de toutes autres péripéties que peut nous réserver la vie qui n’est pas un long fleuve tranquille, il est assez fréquent que l’établissement bancaire, qui avait promis en son temps « monde et merveilles » et une capacité d’adaptation suivant les difficultés rencontrées, viennent finalement refuser de suspendre le déroulement du crédit de quelque manière que ce soit.
Dans certain cas, certains établissements bancaires s’y refusent tout simplement, d’autres établissements bancaires dans certaines circonstances croient bon octroyer un délai très court de trois à six mois maximum, générateur bien souvent d’intérêts intercalaires importants, avec une période trop courte et qui ne permet pas à l’emprunteur de réajuster sa situation financière conjoncturellement difficile.
Fort heureusement, le législateur a pris soin de mettre en place une possibilité judiciaire afin de saisir le Juge et d’obtenir la suspension judiciaire des échéances d’un prêt pouvant aller jusqu’à deux ans et cette suspension judiciaire des échéances du prêt pouvant également être accompagnée d’un gel des intérêts pendant une période de deux ans, ce qui n’est pas rien.
L’hypothèse d’une suspension des échéances du prêt décidée par le juge
La pratique de ce contentieux spécifique amène à plusieurs réflexions puisque, initialement, lorsque l’emprunteur contracte un prêt immobilier pour des sommes parfois très importantes et sur une durée de 20 à 30 ans, ce dernier se retrouve en relation étroite avec l’établissement bancaire qui devient son principal partenaire financier, partenaire financier qui, en cas de difficulté, se retrouve bien souvent à ne pas prendre en considération ces difficultés et à exiger « mordicus » l’exécution du crédit et le juste paiement des échéances à temps, dans les délais.
De telle sorte que les relations vont se tendre entre l’emprunteur qui rencontre des difficultés et son établissement bancaire qui va, comme de rien, faire la sourde oreille à une éventuelle mesure d’accompagnement de ces difficultés.
Dès lors, si l’emprunteur peut être rassuré en se disant qu’il peut effectivement saisir le Juge judiciaire pour obtenir la suspension judiciaire des échéances du crédit, il se retrouve alors au contradictoire de l’établissement bancaire qui sort de son rôle de partenaire peut devenir celui de l’adversaire.
En effet, il n’est pas rare de constater en principe que l’établissement bancaire va alors conclure et s’opposer mordicus à cette suspension judiciaire des échéances allant parfois jusqu’à prononcer la déchéance du terme en pleine procédure ou même lorsque le jugement est rendu.
Ce qui est le cas en l’espèce.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, Monsieur E avait souscrit en juillet 2007 un crédit immobilier auprès d’une banque.
Difficultés financières faisant, et par ordonnance du 04 février 2014 sur requête du débiteur, le Juge du Tribunal d’Instance a suspendu l’exécution de ses obligations pour vingt-quatre mois en application de l’article L 314-20 du Code de la consommation, les sommes dues ne produisant pas d’intérêt pendant ce délai.
Une suspension judiciaire sur 24 mois avec gel des intérêts
Pour autant, alors que le débiteur avait obtenu vingt-quatre mois à partir du 04 février 2014, la banque a cru bon, le 24 août 2015, à peine un an et demi après, de prononcer la déchéance du terme.
Et, dans la même foulée, en novembre et décembre 2015, les huissiers de justice de l’établissement bancaire ont procédés à des actes d’exécutions sur les biens du débiteur.
Une déchéance du terme prononcée par la banque malgré la décision du juge
C’est dans ces circonstances que le débiteur a assigné la banque ainsi que l’huissier de justice devant le Tribunal de Grande Instance qui, par jugement du 09 mars 2018, a dit que l’ordonnance du 04 février 2014, qui suspendait l’exécution des obligations bancaires pendant vingt-quatre mois, était exécutoire et opposable à la banque.
De telle sorte que la déchéance du terme avait été prononcée abusivement le 24 août 2015 mais qu’elle était cependant valable au 08 février 2016.
Condamnant ainsi le débiteur au paiement d’une somme au titre du capital restant dû et des intérêts.
Condamnant par ailleurs la banque ainsi que les huissiers de justice au paiement de dommages et intérêts au profit de l’emprunteur en difficulté, en raison des actes d’exécution sur son véhicule.
Des dommages et intérêts octroyés pour déchéance du terme abusive
À hauteur de Cour de cassation, la banque faisait griefs à la Cour d’appel de lui avoir déclaré opposable l’ordonnance exécutoire du Juge du Tribunal d’Instance en date du 04 février 2014, de dire qu’elle avait abusivement prononcé la déchéance du terme du prêt immobilier par lettre recommandé avec avis de réception en date du 24 août 2015, de dire que la déchéance du terme avait été irrégulièrement prononcée et de le débouter de sa demande en paiement au titre du solde du prêt immobilier consenti à Monsieur E.
La banque faisait également grief à la Cour d’appel de la condamner à payer à Monsieur E la somme de 30 000.00 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral avec intérêts à compter de la date de sa décision.
La banque considérait dans son pourvoi que nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée.
A bien y comprendre, il en résulterait ainsi que la décision accordant un délai de grâce à un consommateur n’était pas opposable au créancier concerné lorsque celui-ci n’a, par omission ou par faute, pas été mis en cause par le demandeur.
Une telle décision ne pouvant être rendue qu’à l’issue d’une procédure contradictoire.
La banque considérant qu’en jugeant néanmoins que l’ordonnance du 04 février 2014 octroyant un délai de grâce à Monsieur E était opposable à la banque et que cette dernière avait commis une faute en prononçant la déchéance du terme du prêt accordé à Monsieur E bien qu’il résulté de ses propres constatations que la banque n’avait pas été mise en cause dans le cadre de cette procédure, qu’il ne pouvait s’inscrire que dans un cadre contradictoire.
De telle sorte que la Cour d’appel aurait violée l’article 14 du Code de procédure civile.
La banque soutenant encore que lorsqu’il y a recours à la procédure sur requête pour obtention de l’ordonnance de grâce prévu par l’article L 313-12, devenu L 341-20, du Code de la consommation, le consommateur est, en tout hypothèse, tenu de respecter les dispositions des articles 493 et suivants du Code de procédure civile, déterminant les conditions dans lesquelles une ordonnance sur requête est susceptible d’acquérir un caractère exécutoire.
Assignation aux fins de suspension des échéances ou simple requête ?
Selon la banque, il résulte de l’article 495 alinéa 3 du Code de procédure civile qu’une ordonnance sur requête n’est pas exécutoire lorsque son bénéficiaire s’abstient de laisser à la disposition de la partie adverse une copie de sa requête dans des conditions la privant de la faculté d’exercer ses droits et d’apprécier l’opportunité d’exercer une voie de recours.
Ainsi, pour la banque, en se bornant à dire que la banque avait commis une faute en n’exécutant pas l’ordonnance de suspension du 04 février 2014, la Cour d’appel aurait privé sa décision de base légale en affirmant que la minute de cette ordonnance avait prétendument été reçue par la banque dans son courrier du 19 août 2014 sans rechercher, comme elle y avait été invitée si Monsieur n’avait pas omis de laisser à la banque une copie de ladite requête.
Ainsi, la Cour de cassation apporte des réponses précieuses et ce au visa de l’article L 313-12 du Code de la consommation, lequel article édicte :
« L'exécution des obligations du débiteur peut être, notamment en cas de licenciement, suspendue par ordonnance du juge d'instance dans les conditions prévues aux articles 1244-1 à 1244-3 du code civil. L'ordonnance peut décider que, durant le délai de grâce, les sommes dues ne produiront point intérêt.
En outre, le juge peut déterminer dans son ordonnance les modalités de paiement des sommes qui seront exigibles au terme du délai de suspension, sans que le dernier versement puisse excéder de plus de deux ans le terme initialement prévu pour le remboursement du prêt ; il peut cependant surseoir à statuer sur ces modalités jusqu'au terme du délai de suspension. »
Ainsi, la haute juridiction rappelle qu’en vertus de l’article L 341-20 du même code :
« Les dispositions des articles L. 341-1 à L. 341-9 et L. 341-12 à L. 341-18 s'appliquent aux opérations de crédit consenties sous la forme d'un dépassement défini au 11° de l'article L. 311-1. »
Ainsi, la Cour de cassation rappelle qu’en vertu de l’article L 313-12 du Code de la consommation, l’exécution, désormais devenu article L 341-20, des obligations du débiteur peut être notamment en cas de licenciement suspendu par ordonnance du Juge d’Instance dans les conditions prévues aux articles 1244-1 à 1244-3 du Code civil.
La Cour précisant encore que l’ordonnance peut décider que durant le délai de grâce les sommes dues ne produiront point d’intérêt.
Ce point n’est pas négligeable.
En outre, le Juge peut déterminer dans son ordonnance les modalités de paiement des sommes qui seront exigibles aux termes du délai de suspension ou sursoir à statuer sur ces modalités jusqu’aux termes du délai de suspension.
Pour autant, aux termes de l’articles 14 du Code de procédure civile, nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée.
Il résulte par ailleurs de l’article 493 du Code de procédure civile que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.
Ainsi, la Cour retient, fort de ce rappel procédural, que dans les cas prévus à l’article L 313-12 du Code de la consommation, le Juge du Tribunal d’Instance est susceptible d’être saisi par voie de requête afin de suspendre les obligations du débiteur dans les conditions prévues aux articles 1244-1 et suivants du Code de civil.
De telle sorte que la Cour en a justement déduit, sans violer le principe de la contradiction, que ce Juge n’avait pas à être nécessairement saisi par voie d’assignation.
Une saisine du juge par assignation ou par voie de requête
Ce qui est en soi rassurant bien que, dans son second moyen, la Cour précise encore qu’aux termes de l’article 495 du dernier alinéa du Code de procédure civile, copie de la requête et de l’ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée.
Ce qui sous tendrait une signification ?
Pour retenir que l’ordonnance était exécutoire et opposable à la banque, l’arrêt relève qu’elle n’a pas contesté l’ordonnance sur requête du 04 février 2014 dont le caractère exécutoire résultait de la simple délivrance de la minute et que celle-ci avait été bien reçue par lettre recommandée avec avis de réception le 19 août 2014.
Pour autant, en se déterminant ainsi sans rechercher comme elle y était invitée, si la banque avait été destinataire de la copie de la requête sans laquelle l’ordonnance ne lui était pas opposable, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale.
Cette jurisprudence est extrêmement intéressante puisqu’elle rappelle que, dans ce partenariat existant entre l’emprunteur et l’établissement bancaire qui a financé le bien immobilier de ce dernier, cette relation de partenariat peut vite devenir une relation de contradiction et d’opposition en cas de difficultés économiques empêchant l’emprunteur de régler ses échéances de prêt normalement.
Dans pareil cas, le partenaire privilégié qui était l’établissement bancaire devient du coup le principal adversaire de l’emprunteur en difficulté.
Pour autant, ce dernier a la possibilité, comme le lui offre l’article L 341-20, de saisir le Juge d’Instance et de proximité afin d’obtenir la suspension judiciaire des échéances du prêt, cependant, il est impératif, comme le rappelle cette jurisprudence, que cette procédure soit faite au contradictoire de l’établissement bancaire.
Dès lors, de deux choses l’une.
Soit, le débiteur décide de saisir par voie de requête et à ce moment-là il a tout intérêt à procéder à la signification par voie d’huissier de l’ordonnance du Juge d’Instance rendant sa décision de suspension judiciaire des échéances.
Une ordonnance sur pied de requête à signifier
À défaut, il ne serait être que bon de conseiller à l’emprunteur en difficultés d’assigner l’établissement bancaire aux fins d'obtenir devant le Juge de proximité une décision consacrant la suspension judiciaire des échéances du prêt au contradictoire de l’établissement bancaire.
Ce qui règlerait bien des difficultés.
Bien que, en pratique encore, les difficultés demeurent aussi en cas d’assignation, puisque bien souvent la procédure devant le Tribunal de proximité peut durer un certain temps, temps immanquablement chronophage pour le débiteur en difficultés financières et exposant ce dernier à une déchéance du terme prononcée par la banque.
Une assignation avec un débat contradictoire à une audience éloignée
Or, le problème est que, si l’emprunteur en difficulté se retrouve à ne plus pouvoir payer les échéances de son crédit et qu’il lance une procédure aux fins de suspension judiciaire des échéances du prêt par voie d’assignation, cela mènera à un débat contradictoire qui peut s’engluer dans une procédure avec plusieurs renvois et qui peut durer entre six mois et un an.
Dans cette perspective, il est bien évident que la banque serait à même de prononcer la déchéance du terme avant même que le Juge puisse s’exprimer.
Ce qui fait que, finalement, la requête reste une bonne opportunité à la seule et unique condition que celle-ci peut être signifiée par voie d’huissiers à l’encontre de l’établissement bancaire.
La suspension judiciaire des échéances, procédure ignorée mais efficace
Toujours est-il que la suspension judiciaire des échéances demeure une procédure assez peu connue, absolument pas revendiquée ou proposée par les établissements bancaires car finalement cette procédure est leur pire ennemie et il appartient à l’emprunteur en difficultés de trouver des solutions alternatives, au besoin en optant pour cette procédure, afin d’éviter de se retrouver exposé à une déchéance du terme qui serait malheureuse et très lourde de conséquence.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit
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