La preuve d’une faute commise par le salarié se heurte parfois à des considérations tenant au respect de la vie privée. La loyauté de la preuve commande en particulier l’éviction de toute forme de stratagème clandestin. Il est, dans ce contexte, aujourd’hui jugé en jurisprudence que le droit à la preuve « peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi » (Soc. 10 nov. 2021, n° 20-12.263).

Indépendamment de ce dernier assouplissement apporté par la chambre sociale, la première question pourra être celle de la définition de la preuve considérée licite. Sur ce terrain, l’information préalable du salarié apparait la condition essentielle identifiée jusqu’alors. Peut-on par exemple valablement licencier disciplinairement un salarié après avoir surveiller l’activité de ses salariés au moyen d’un dispositif de contrôle par « client mystère » ? C’est en substance à cette dernière question que l’arrêt rendu le 6 septembre 2023 par la chambre sociale de la Cour de cassation apporte des éléments de réponse.

Un licenciement pour faute disciplinaire suite au passage du « client mystère »

En l’espèce, une personne engagée en qualité d’employé de restaurant libre-service s’est vu licenciée pour faute disciplinaire à la suite du constat d’une défaillance constatée via un dispositif de contrôle de type « client mystère ». Était en effet en cause le non-respect de procédures d’encaissement mises en place dans l’entreprise. L’employeur disposait d’une fiche d’intervention d’une société mandatée pour effectuer ce type de contrôle, de l’un desquels il est résulté qu’aucun ticket de caisse n’avait été remis après l’encaissement de la somme demandée. L’intéressé, contestant notamment la licéité du mode de preuve utilisé, va saisir les juridictions prud’homales pour contester le licenciement subséquent.

Les juges du fond déboutèrent le salarié de ses demandes, de sorte que celui forma un pourvoi en cassation.

La chambre sociale de la Cour de cassation, saisie de la question va valider le raisonnement de la cour d’appel et rejeter le pourvoi.

L'employeur avait bien informé les salariés des passages du « client mystère »

Si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été porté préalablement à leur connaissance ainsi qu’à celle de leurs représentants.

En l’espèce, les juges du fond avaient bien constaté que le salarié avait été préalablement informé de la mise en œuvre au sein de l’entreprise d’un dispositif dit du « client mystère » permettant l’évaluation professionnelle et le contrôle de l’activité des salariés.

Partant, il devait s’en déduire la licéité des éléments de preuve issus de l’intervention d’un client mystère, produits par l’employeur pour établir la matérialité des faits invoqués à l’appui du licenciement disciplinaire.

C’est qu’en effet l’article L. 1222-3 du code du travail prévoit que pour surveiller l’activité de ses salariés un employeur doit expressément informer, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en œuvre à leur égard.

En l’espèce, l’employeur avait en particulier fourni un compte rendu de réunion du comité d’entreprise faisant état de la visite de « clients mystères » avec mention du nombre de leurs passages, ainsi qu’une note d’information aux salariés sur ce dispositif qui porte la mention « pour affichage … » et expliquant tant son fonctionnement que son objectif.

La Cour de Cassation a déjà eu l’occasion de préciser qu’un dispositif de contrôle des salariés peut servir à prouver une faute pourvu que l’employeur les en ait préalablement informés :

  • en matière de recours à des détectives privés (Soc. 23 nov. 2005, n° 03-41.401),
  • ou encore dans le cadre de l’usage de la géolocalisation des salariés (Soc. 3 nov. 2011, n° 10-18.036),
  • et récemment confirmé avec l’usage de la vidéosurveillance (Soc. 10 nov. 2021, n° 20-12.263 P).

Elle a en outre souligné que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut surveiller l’activité de ses salariés en produisant des éléments portant atteinte à leur vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

La solution apparait respectueuse des droits du salarié tout en ménageant à l’employeur une certaine latitude probatoire afin de pouvoir mettre en exergue des manquements parfois difficiles à établir. Elle permet en effet à l’employeur de faire jouer l’aléa du contrôle. Ainsi n’est-il pas exigé que le salarié sache précisément quand il va faire l’objet d’un contrôle, mais seulement qu’il est susceptible d’en subir un, ainsi que, le cas échéant, ses éventuelles modalités.