Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue par la Cour d’appel d’Aix en Provence le 09 novembre 2023 N°2023/714 et qui vient aborder le mariage délicat entre commodat et liquidation judiciaire. L’article 1875 du Code Civil donne à ce type de convention la définition suivante : « le prêt à usage ou commodat est un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi ».

Quels sont les faits ?

Dans cette affaire et suivant acte authentique en date du 02 juin 2010 la SCCV J, représentée par son représentant légal Monsieur F, avait acquis la propriété d’un bien sur une commune de la Côte d’Azur.

Ce projet consistait à un projet immobilier avec un certain nombre d’appartements.

L’ensemble des appartements ont été vendus à l’exception du dernier, un litige est né avec l’établissement bancaire, de telle sorte que le dernier appartement n’a pas été vendu et a été occupé par les parents du dirigeant à travers la mise en place d’un commodat.

L’établissement bancaire n’a pas manqué d’envisager une action contre la SCCV J et a donc enclenché une procédure de saisie immobilière, qui n’a été interrompue que par les faits de l’arrêt des poursuites individuelles suite au placement de la SCCV en procédure collective.

L’arrêt des poursuites individuelles pour stopper la saisie immobilière

C’est ainsi que par jugement en date du 29 septembre 2017 la SCCV J se place sous la protection de la chambre des procédures collectives du Tribunal judiciaire et vient se placer en redressement judiciaire, qui sera par la suite converti le 18 janvier 2019 en liquidation judiciaire.

Le mandataire liquidateur est désigné et ce dernier envisage la réalisation de l’actif de la SCCV J, ce fameux appartement, et ce en l’état d’un passif déclaré s’élevant à la « modique » somme de 679 680.00 euros.

La réalisation des actifs de la liquidation judiciaire par le mandataire

C’est dans ces circonstances et suivant ordonnance contradictoire du 08 novembre 2019, que le Juge commissaire avait autorisé le mandataire liquidateur à procéder à la vente de gré à gré des droits et biens immobiliers du bien au profit des époux A au prix de 470 000.00 euros, commissions d’agence incluses.

Cependant, la vente n’a pas pu être finalisée au motif pris, bien que cela soit encore largement discutable, de ce que le bien était occupé par les parents de Monsieur F.

Un commodat empêchant la vente amiable du bien immobilier

C’est dans ces circonstances que par acte d’huissier en date du 28 octobre 2021, dénoncé à la préfecture, le mandataire liquidateur a fait assigner Monsieur F ainsi que ses parents devant le Juge du contentieux de la protection du Tribunal de proximité en référé aux fins de voir constater que les consorts F sont habitants sans droit ni titre et les condamner in solidum au paiement d’une indemnité provisionnelle de la somme de 15 000.00 euros au titre des indemnités d’occupation courants du 01er septembre 2020 au 01er juin 2021.

C’est dans ces circonstances que par ordonnance réputée contradictoire en date du 07 juillet 2022, le Juge des référés du Tribunal de proximité a rejeté les demandes de sursis, constaté que les consorts F sont occupants sans droit ni titre, ordonné leur expulsion ainsi que tout occupant de leur chef dans un délai de six mois à compter de la signification de la présente ordonnance, disant qu’à défaut de libération volontaire, il pourrait être procédé à leur expulsion avec le concours de la force publique.

Commodat ou indemnité d’occupation ?

Condamnant ces derniers à une indemnité d’occupation de 1 000.00 euros par mois à compter du mois de février 2021 et ce jusqu’à libération effective des lieux.

C’est dans ces circonstances que les consorts F ont interjeté appel de cette décision, l’appel portant sur toutes ces dispositions.

En premier lieu, la haute juridiction souligne l’intervention de Monsieur M comme étant l’acquéreur du bien qui a entre-temps était réalisé par voie d’enchères publiques.

L’intervention volontaire de l’adjudicataire

En effet, la Cour rappelle en tant que de besoin qu’aux termes de l’article 66 du Code de procédure civile, constitue une intervention volontaire la demande dont l’objet est de rendre un tiers parti au procès engagé envers les parties originaires.

L’article 322 du même code dispose que l’intervention volontaire est principale lorsqu’elle élève une prétention au profit de celui qui l’a forme, elle n’est recevable que si son auteur a le droit d’agir relativement à cette prétention.

En l’espèce, suite au jugement d’adjudication du Tribunal judiciaire le 02 décembre 2022, Monsieur M est devenu propriétaire du bien, objet du présent litige.

Dès lors, plusieurs questions se posaient devant la Cour.

La qualité à agir du mandataire liquidateur

Concernant la qualité à agir du mandataire liquidateur, il convient de rappeler que, suivant l’article 31 du Code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet des prétentions sous réserves des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé.

Il résulte ainsi de l’article 32 du même Code qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.

L’article 122 du Code de procédure civile prévoyant par ailleurs que, constitue une fin de non-recevoir tout moyen quittant à faire déclarer l’adversaire irrecevable dans sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d’agir tel le défaut de qualité.

Or, en l’espèce, par jugement du Tribunal judiciaire en date du 19 janvier 2019, Maître P, mandataire judiciaire, a bien été nommé es-qualité de mandataire liquidateur de la société SCCV J, de telle sorte que ce dernier a bien qualité à agir et a bien vocation à procéder à la réalisation des actifs pour désintéresser l’ensemble des créanciers de la procédure collective.

Les pouvoirs du juge des référés face au commodat

Quant à l’existence du commodat revendiqué par les parents F ainsi que le dirigeant F, la Cour d’appel rappelle qu’aux termes de l’article 835.1 du Code de procédure civile, le Président du Tribunal judiciaire ou le Juge du contentieux de la protection dans les limites de ses compétences peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

L’article 544 du Code civil disposant quant à lui que la propriété, le droit de jouir est de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

La Cour vise encore l’article 545 du même Code disposant que nul ne peut être contraint de céder sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique moyennant une juste et préalable indemnité.

La Cour souligne ainsi, en application des dispositions de ces textes, que le droit de propriété revêt un caractère absolu, de sorte que toute occupation sans droit ni titre du bien d’autrui constitue un trouble manifestement illicite.

Ainsi, le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle.

Commodat et trouble manifestement illicite

Pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit être constitué à la date où le Juge de Première Instance a statué avec l’évidence requise en référé, l’article 9 du même Code ajoutant qu’il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Or, sur la question du commodat, la Cour souligne que les consorts F, qui invoquent l’existence d’un commodat conclu avec la SCCV J, dont ils bénéficieraient et qui serait constitutif d’une contestation sérieuse entrainant l’incompétence du Juge des référés.

Cependant, ces derniers ne versent aucune pièce au soutien de leurs prétentions et ne démontrent pas l’existence d’un commodat bien que cela puisse encore être discuté dans la mesure où un commodat peut être oral, de telle sorte que leur occupation acquise depuis de nombreuses années n’était pas quant à elle remise en question.

La Cour soulignant surtout que depuis le 02 décembre 2022, le bien immobilier n’est plus la propriété de la SCCV J mais a été attribué à Monsieur M, intervenant volontaire à la cause, lequel était adjudicataire.

Ce dernier sollicitant ainsi, par le biais de son intervention volontaire, la même chose, à savoir, le départ des consorts F.

La Cour soulignant ainsi que les consorts F ne peuvent justifier d’aucun titre leur permettant de résider dans le bien en question et sont donc par conséquent sans droit ni titre.

C’est donc à bon droit, pour la Cour d’appel, que le premier Juge a considéré qu’il existait un trouble manifestement illicite au moment où il a statué, trouble consistant à une occupation par les consorts F du bien immobilier sans justifier d’un titre et la Cour confirme la décision de Première Instance au motif pris de ce qu’elle constate également le caractère illicite de leur occupation et de leur expulsion, ceci d’autant plus qu’entre-temps le bien a été adjugé et que désormais il n’est plus question de la liquidation judiciaire de la SCCV J mais bel et bien de la propriété du bien appartenant à Monsieur M, adjudicataire du bien en question.

Commodat non valable = expulsion

C’est dans ces circonstances que la Cour considère qu’il y a matière à envisager l’expulsion mais également de fixer une indemnité d’occupation.

Sur les délais d’expulsion, la Cour rappelle qu’aux termes des dispositions combinées des articles L613-1 du Code de la construction et de l’habitation, L412-3, L412-4, L412-6 à L412-8 du Code des procédures civiles d’exécutions, le Juge peut accorder des délais aux occupants des locaux d’habitation dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement à chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales.

Pour la fixation de ces délais, le Juge doit notamment tenir compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vu de ce relogement.

La durée de ces délais ne pouvant être inférieure à un mois ni supérieure à trois ans.

Or, la Cour souligne qu’en l’espèce les consorts F ont déjà bénéficiés, depuis que la décision de Première Instance a été rendue, d’un délai de plus de quinze mois correspondant au déroulé de la procédure d’appel, de telle sorte que par ailleurs le bien ayant été vendu par adjudication, le nouveau propriétaire Monsieur M attend de pouvoir prendre possession de son bien, de telle sorte que ce dernier a subi immanquablement un préjudice financier.

Ce dernier ne pouvant user et jouir de son bien en tant que tel.

De telle sorte que toute demande de délai est alors rejetée par la Cour.

Bien plus, concernant l’indemnité d’occupation, la Cour précise qu’aux termes de l’article 835 du Code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable le Président du Tribunal judiciaire ou le Juge du contentieux de la protection, dans la limite de sa compétence, peut accorder une provision aux créanciers ou ordonner l’exécution d’une obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

L’absence de contestation sérieuse implique l’évidence de la solution qu’appelle le point contesté.

Ainsi, la Cour souligne qu’il appartient au demandeur d’établir l’existence de l’obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu’en son montant.

Laquelle n’a d’autre limite que le montant non plus sérieusement contestable que la créance indiquée.

C’est enfin au moment où la Cour statue qu’elle soit apprécier l’existence d’une contestation sérieuse, le litige n’étant pas figé par les positions initiales ou antérieures des parties dans l’articulation du moyen.

En l’espèce, la Cour considère qu’il produit un procès-verbal descriptif délivré par huissier de justice le 05 septembre 2022 dans le cadre de la vente forcée du bien.

Faute de commodat, fixation de l’indemnité d’occupation

Si le bien est décrit comme de haut standing, confirmé par des photographies, aucune estimation de valeur locative n’est produite.

De telle sorte que l’indemnité sera fixée à 1 000.00 euros et la décision du premier Juge sera donc confirmée sur ce point.

De même, dans la mesure où il n’est pas fait droit à la demande de condamnation de Monsieur F, dirigeant de la SCCV J, au paiement de ladite indemnité, ce dernier n’étant pas partie à la procédure civile et les conclusions du mandataire liquidateur tout comme de Monsieur M, adjudicataire, ne lui ont pas été signifiés, il y a lieu de considérer que seuls les parents de Monsieur F ont vocation à faire face à cette indemnité d’occupation.

Une indemnité d’occupation rétroactive

Par ailleurs, concernant le point de départ de cette indemnité d’occupation et dans la mesure où les consorts F reconnaissent dans leurs écritures d’appel occuper le bien depuis le 29 septembre 2017, date d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, il convient pour la Cour d’infirmer la décision du premier Juge sur ce point et de fixer l’indemnité d’occupation à la somme provisionnelle de 1 000.00 euros à compter du 29 septembre 2017 et de condamner les consorts F in solidum à son paiement.

Et, dans la mesure où le bien a été adjugé entre-temps, puisque celui-ci a été vendu le 02 septembre 2022, il y a lieu pour la Cour de condamner in solidum les consorts F à payer ladite indemnité à Monsieur M à compter de cette date et ce jusqu’à libération définitive des lieux matérialisée par une remise des clefs.

Cette jurisprudence est intéressante parce qu’elle vient aborder la capacité que peut avoir un dirigeant, propriétaire d’un bien à travers sa SCCV, et qui est occupé non par lui mais par les membres de sa famille, de résister quant à la réalisation des actifs et de camper sur ses positions en considérant notamment que le bien est occupé sans contrat de bail mais par le truchement d’un commodat, ce qui est en soit parfaitement possible.

Bien que, dans le cadre d’une liquidation judiciaire alors que le mandataire liquidateur tente de réaliser les actifs, ce commodat constitue alors un trouble manifestement illicite bien qu’il n’est pas démontré que sur l’idée même du commodat le mandataire liquidateur ait cru bon prendre acte et solliciter la résiliation de ce commodat avec un délai de prévenance pour faire partir ces derniers.

Liquidation judiciaire et commodat font-ils bon ménage ?

Toujours est-il que cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle vient allier les spécificités propres au commodat avec les impératifs de la liquidation judiciaire et de réalisation des actifs qui font que ce commodat ne semble pas être un obstacle aux opérations de réalisation des actifs en cas de liquidation judiciaire et que bien plus, dans l’hypothèse où les prétendus bénéficiaires du commodat entendent résister et se refuser à quitter les lieux, ils seraient alors assujetti à une indemnité d’occupation pouvant indiquer alors la valeur locative du bien et ce dès l’ouverture de la procédure collective et ce jusqu’à un départ effectif du bien qu’importe que celui-ci est été vendu aux enchères publiques entre-temps, l’indemnité d’occupation sera alors au bénéfice de l’adjudicataire suite à la vente du bien aux enchères publiques.

Que dire de plus… ?

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE

Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit