Dans un arrêt inédit, la Cour de cassation a statué la première fois sur le sort de la commission, lorsque deux agences font visiter le même bien au même acquéreur et sont en désaccord sur le montant de leur commission (Civ. 3e, 11 mai 2022, n° 21-15.943).

Le marché de la vente immobilière étant très tendu, il n'est pas rare de voir des agences opter pour le système d'inter-agence.

Ce principe consiste pour deux agences à coopérer ou travailler de concert, afin de faciliter la signature de ventes immobilières.

Bien entendu, ce principe nécessite de partager les commissions. Généralement, le partage s'effectue de moitié entre les parties, sauf exception.

Pour éviter tout malentendu, le partenariat se formalise par la signature d'une délégation de mandat, qui indique de manière détaillée les hypothèses de partage des commissions.

Cependant, il peut arriver un désaccord entre les parties, lorsque l'une des agences considère avoir fourni davantage d'efforts que l'autre, auquel cas le partage des commissions devient litigieux.

A notre connaissance, il n'existait pas de jurisprudence sur le départage de commissions entre deux agences en concurrence. Aussi, la Cour de cassation s'est prononcée pour la première fois sur cette question.

 

I. Rappel des faits

Le 27 octobre 2014, un couple de propriétaires confie un mandat de vente simple portant sur la vente de leur maison d'habitation, au Cabinet Immobilier Diffusion (la société CID) au prix de 499 000¤. Il est également prévu que la rémunération du mandataire, en cas de réalisation de la vente, sera de 20 000 euros TTC.

Le 5 mars 2015, l'agence fait visiter la maison à un couple.

Ce même jour, les propriétaires confie la vente de leur maison à une autre agence, l'agence ORPI, au même prix, avec la même commission.

Le 18 mars 2015, cette seconde agence fait également visiter cette même maison au même couple quelques jours plus tard.

Par deux e-mails du 20 mars 2015, les acquéreurs formulent une offre d'achat au prix de 499 000 euros aux deux agences immobilières, que ces deux dernières adressent aux vendeurs par lettre recommandée avec accusé de réception.

ORPI établit un compromis de vente , comprenant une clause intitulée "Négociation" prévoyant que la rémunération convenue et due par le vendeur à hauteur de 19 960 euros, sera versée à concurrence de 14 960 euros pour l'agence ORPI et de 5 000 euros pour l'agence CID.

Cette dernière conteste cette répartition, sollicitant un partage égalitaire.

La vente est finalisée devant le notaire, qui consigne le montant de la commission de 19.960 euros.

Aussi, revendiquant chacune le paiement des commissions, sans partage, les agences immobilières assignent les vendeurs en paiement.

 

II. Décision de la cour d'Appel

Après analyse des pièces du dossier (bons de visite, bons de recherche, mandats de vente, offres matérialisées par les e-mails des acheteurs en date du 20 mars 2015 et compromis de vente), les juges d'appel considèrent que les deux agences immobilières ont participé à la vente dans la même proportion de travail.

En effet, selon la Cour d'appel, rien ne démontre que l'activité de l'une des agences a été plus essentielle et déterminante que celle l'autre, si bien que la commission doit être partagée par moitié.

Insatisfaite, l'agence ORPI se pourvoit en cassation.

 

III. Décision de la cour de Cassation

La Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme l'arrêt d'appel en trois points.

D'une part, le bien avait été visité une première fois par le couple d’acquéreurs par l'intermédiaire de l’agence titulaire du premier mandat simple et, le jour même de cette visite, la seconde agence avait obtenu un mandat non exclusif par les vendeurs.

D'autre part, le couple d'acquéreurs avait formulé une offre au prix adressée à chacune des deux agences.

Enfin, le bien a été vendu aux termes d'une promesse unilatérale de vente et d'un acte définitif rédigés tous deux par le notaire chargé de la vente.

De fait, le compromis de vente n'a pas été conclu par l'entremise d'une seule agence, mais des deux.

C'est pourquoi la Cour de cassation confirme la décision des juges d’appel ayant déduit que la commission devait être partagée par moitié entre les deux agences, étant donné qu'elles ont participé à la vente en parfaite égalité.

La solution aurait été certainement différente, si les juges avaient pu identifier l'agence dont l’intervention avait été déterminante pour la conclusion de la vente. Dans ce cas, il n'y aurait pas eu de partage égalitaire, mais un partage au prorata de l'activité des agences.


Me Grégory ROULAND
Avocat au Barreau de Paris et Docteur en droit