Dans un arrêt CE 20-5-2022 n° 446817, le Conseil d’Etat a jugé que le contrôle d’un tiers, un fournisseur par exemple, à l’issue de la vérification de comptabilité du contribuable, n’est pas pris en compte pour apprécier la durée de cette vérification.

Aux termes de l’article L 52 du Livre des procédures fiscales (LPF), sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois en ce qui concerne les entreprises industrielles et commerciales ou les contribuables se livrant à une activité non commerciale dont le chiffre d'affaires ou le montant annuel des recettes brutes n'excède pas les limites prévues au I de l'article 302 septies A du code général des impôts.

La vérification est considérée comme ayant débuté à la date à laquelle le vérificateur a commencé son contrôle sur place, et elle est considérée comme achevée à la date de la dernière intervention sur place du vérificateur, et non à la date de la proposition de rectification consécutive au contrôle (CE 28 juillet 2004 n° 248542).

Ainsi, sauf cas particuliers, la vérification de comptabilité ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois pour les contribuables dont le montant annuel hors taxes du chiffre d'affaires ou des recettes brutes n'excède pas la limite d'admission au régime simplifié d'imposition ( 818 000 ¤ pour les entreprises industrielles ou commerciales dont le commerce principal est de vendre des marchandises, objets, fournitures ou denrées à emporter ou à consommer sur place, ou de fournir le logement ; 247 000 ¤ pour les autres entreprises industrielles ou commerciales, prestataires de services et personnes exerçant une activité non commerciale).

C’est ainsi qu’a été jugée irrégulière, une vérification de comptabilité qui s’est poursuivie dans les locaux de l’administration, après l’expiration du délai de trois mois, ce qui est attesté par une proposition de rectification qui fait référence à des documents remis en mains propres postérieurement au délai (CAA Lyon, 17 novembre 2011).

Par exception à ce principe, il faut savoir tout de même que le fisc a la faculté de ne pas respecter le délai de trois mois dans certains cas, notamment pour l'instruction des observations ou des requêtes présentées par le contribuable, après l'achèvement des opérations de vérification, ou pour l'examen des mouvements des comptes bancaires utilisés à titre privé et professionnel, ou encore en cas de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité.

Le 4° du II de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales prévoit qu’en cas de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité, la vérification sur place ne peut s'étendre sur une durée supérieure à six mois.

En tous les cas, le Conseil d’Etat a jugé que la durée de la vérification peut excéder trois mois dès lors que le chiffre d'affaires d'un seul des exercices vérifiés dépasse la limite prévue (CE 7 mars 1990 n° 46361). Pour les autres entreprises, la loi n’impose pas de limite.

Dans le cas d’espèce, le Conseil d’État précise qu’il n’y a pas lieu, pour apprécier la durée de la vérification de comptabilité d’une entreprise, de tenir compte de l’exploitation, à l’issue de cette vérification, d’éléments recueillis à l’occasion de la vérification de comptabilité d’un tiers (en l’espèce un prestataire de services).

En effet, la société Trade Invest, qui exerce son activité dans le secteur de la fabrication, de la commercialisation et de la vente d'articles de mode, a obtenu, par une décision du 3 mars 2011, la restitution d'un crédit d'impôt pour dépenses de recherche d'un montant de 500 000 ¤ au titre de l'année 2010. Après une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause ce crédit d'impôt par une proposition de rectification du 21 janvier 2013 et a notifié en conséquence à la société une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2010, qu'elle a assortie d'une majoration de 80 % pour man½uvres frauduleuses.

La société Trade Invest a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2010 ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1805481 du 17 octobre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19VE04079 du 22 septembre 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Trade Invest contre ce jugement.

La société Trade Invest se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles en soutenant que la durée de vérification de comptabilité menée à son encontre avait excédé le délai de six mois prévu par le 4° du II de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales au motif que les éléments ultérieurement recueillis par l'administration dans le cadre des opérations qu'elle avait diligentées au cours de la vérification de la comptabilité d'un de ses prestataires auraient permis le recoupement d'informations contenues dans sa propre comptabilité, ce qui avait eu pour effet de prolonger la vérification dont elle avait fait l'objet.

Mais pour le Conseil d’État, il n’y a pas lieu, pour apprécier la durée de la vérification de comptabilité d’une entreprise, de tenir compte de l’exploitation, à l’issue de cette vérification, d’éléments recueillis à l’occasion de la vérification de comptabilité d’un tiers (en l’espèce un prestataire de services).

Le pourvoi de la société Trade Invest a été rejeté.

Il faut noter que cette décision infirme la jurisprudence de la Cour administrative d’appel de Nancy qui avaient jugé que les recoupements effectués chez un fournisseur constituent une prolongation de la vérification.

En effet, la Cour administrative d’appel de Nancy avait jugé que l'administration qui, ayant constaté d'importantes discordances entre les factures comptabilisées par une EURL et les paiements versés à son fournisseur, procède postérieurement à l'expiration du délai de trois mois suivant le début du contrôle de cette EURL à la vérification de la comptabilité de son fournisseur, au cours de laquelle elle opère la comparaison des factures litigieuses avec les écritures comptables de ce dernier, se livre ainsi à un examen critique des factures enregistrées par l'EURL et procède à des opérations se rattachant à la vérification de sa comptabilité, quand bien même cette intervention ne s'est pas déroulée dans ses locaux.

La Cour administrative d’appel de Nancy avait estimé que l'administration ayant, après cette comparaison, conclu au caractère fictif des factures litigieuses et notifié les rehaussements correspondants, l'EURL est fondée à soutenir avoir fait l'objet d'une vérification de comptabilité ayant excédé la durée maximale de trois mois et avoir été privée de la garantie spéciale prévue par l'article L 52 du LPF sans que l'administration, qui a elle-même indiqué avoir attendu leur réalisation pour décider de l'issue de la vérification de comptabilité de l'EURL, ne puisse se prévaloir du caractère superfétatoire des investigations en cause (CAA Nancy 2e ch. 16-11-2016 n° 15NC01155 : RJF 4/17 n° 346).

Cette solution retenue par la Cour administrative d’appel de Nancy s'imposait tout de même, d'autant que l'administration a elle-même expressément indiqué avoir attendu la réalisation des investigations opérée chez le fournisseur pour établir les redressements finalement notifiés à l'EURL.

CE 20-5-2022 n° 446817.

Arnaud Soton

Avocat Fiscaliste

Professeur de droit fiscal