En matière prud'homale, la preuve est libre : c'est ce que vient de nouveau de rappeler la Cour de cassation à l'occasion d'un contentieux de harcèlement, rappelant à ce sujet que si l'enquête interne est un outil indispensable pour l'employeur en cas de licenciement d'un salarié pour des faits de harcèlement, elle n'est soumise à aucun formalisme.
Dans cette affaire, un salarié embauché en 1990 conseiller de clientèle et devenu par la suite directeur de caisse bancaire, avait été licencié en 2015 pour faute grave en raison de faits de de harcèlement sexuel et de harcèlement moral qui lui étaient reprochés. Le salarié contestait son licenciement et dans un arrêt du 11 décembre 2020, la Cour d’appel de Rennes l’avait jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamnant l’employeur à payer diverses sommes au salarié.
L’employeur s’était notamment appuyé sur l’enquête interne réalisée par son inspection générale le 26 janvier 2015 suite à dénonciation par deux salariées de la banque. Le compte-rendu rapportait qu’une salariée décrivait « des propos récurrents à connotation sexuelle », des propos « graveleux et déplacés sur son physique, sa tenue vestimentaire ou celles de collègues, sur les seins de sa femme ». Une autre salariée dénonçait une pression quotidienne et des reproches permanents de la part du directeur mis en cause, qui lui avait notamment « avoué être contre sa titularisation » lors de son entretien annuel d’appréciation en 2013. La salariée évoquait également une réflexion du directeur sur son décolleté. Le rapport relevait que le salarié licencié avait admis la matérialité des faits fautifs.
La Cour d’appel de Rennes avait écarté des débats le rapport d’enquête interne versé par l’employeur, aux motifs :
- Qu’il ne précisait pas la durée de l’interrogatoire du directeur ;
- Que seules les salariées qui se sont plaintes de son comportement avaient été entendues ;
- Que ces salariées n’avaient pas été auditionnées séparément ;
- Que tous les salariés témoins des faits ou intéressées par les faits dénoncés n’avaient pas été entendus ;
- Que le compte-rendu n’était pas signé ;
- Que le CHSCT n’avait pas été informé, ni saisi du dossier.
La Cour d’appel avait jugé que ces carences conféraient à l’enquête interne à charge un caractère déloyal, qui ne permettait pas d’établir la matérialité des faits dénoncés et de présumer d’un harcèlement sexuel ou d’un harcèlement moral.
Analyse non partagée par la Cour de cassation. Saisie sur pourvoi de l’employeur, elle réaffirme d’abord qu’en matière prud’homale la preuve est libre et qu’à l’occasion d’un litige consécutif au licenciement d’un salarié à raison de faits de harcèlement sexuel ou moral, l’employeur peut produire un rapport d’enquête interne pour justifier la faute imputée au salarié licencié. Dès lors que l’employeur n’a pas mené d’investigation illicite, il appartient au juge du fond d’apprécier la valeur probante dudit rapport d’enquête interne « au regard, le cas échéant, des autres éléments de preuve produits par les parties ».
En l’espèce, la Cour de cassation souligne que la Cour d’appel a relevé que le rapport interne faisait bien ressortir des faits de nature à caractériser un harcèlement sexuel ou harcèlement moral de la part du directeur licencié, sans pour autant relever quelque investigation illicite commise par l’employeur comme étant de nature à mettre en cause la validité de ladite enquête.
La Cour de cassation relève ensuite que le fait que l’enquête soit lacunaire (absence de mention de la durée de l’interrogatoire, absence d’audition séparée des plaignantes, absence d’audition d’autres salariés, absence de signature du compte rendu, absence d’information ou de saisine du CHSCT, etc.) ne permettait pas pour autant au juge du fond d’écarter ce rapport d’enquête interne des débats.
La Cour de cassation relève enfin que les juges du fond ont écarté ce rapport sans pour autant examiner d’autres éléments de preuve produits par l’employeur, comme les comptes-rendus d’entretiens avec les salariés entendus dans le cadre de l’enquête et les attestations de salariés.
Pour la Cour de cassation, les défauts de l’enquête interne relevés par les juges du fond n’autorisaient pas pour autant ces derniers à écarter ce document des débats. Et, en tout état de cause, les juges du fond auraient également dû examiner les comptes-rendus d’entretiens et attestations de salariés, qui venaient combler les lacunes observées dans le rapport d’enquête.
L’arrêt d’appel du 11 décembre 2020 est cassé et l’affaire renvoyée devant la Cour d’appel d’Angers.
Cet arrêt du 29 juin 2022 publié au bulletin donne l’occasion de rappeler aux employeurs l’importance qu’il convient d’accorder à la phase de l’enquête interne, lorsqu’ils sont confrontés à un dossier de harcèlement. En la matière, un tel recours à une enquête interne n’est ni prévu ni encadré par le Code du travail. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation qui en a fixé les contours au fil du temps, en imposant à l’employeur le devoir de mener cette enquête interne de manière sérieuse, loyale, impartiale, sans parti pris d’office et de la manière la plus exhaustive possible.
Il a en effet été jugé que, dès lors que face à l'importance du conflit opposant le salarié à son responsable hiérarchique, en dépit des signalements de la médecine du travail, du CHSCT (compétent à l’époque) et des syndicats, l'employeur n'a entrepris aucune enquête sérieuse et laissé la situation se dégrader, ce dernier avait manqué à son obligation de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité du salarié victime de harcèlement (Cass. Soc. 09/07/2014, n° 13-16797).
Lorsque des faits de harcèlement moral sont dénoncés, il appartient à l’employeur de mener une enquête impartiale, mais elle peut être conduite à l’insu du salarié mis en cause sans que ceci ne constitue un mode de preuve déloyal (Cass. Soc. 17/03/2021, n° 18-25597). Par ailleurs, l’employeur peut choisir de n’entendre qu’une partie des collaborateurs potentiellement victimes du salarié auquel il est reproché des faits de harcèlement ; l’exigence d’impartialité et d’exhaustivité de l’enquête n’étant pas nécessairement remise en cause (Cass. Soc. 08/01/2020, n° 18-20151).
L’employeur peut confier la conduite d’une telle enquête interne à divers interlocuteurs, sous réserve d’impartialité. Il peut s’agir du DRH, quand bien même les représentants du personnel n’auraient pas été associés à la conduite de ladite enquête (Cass. Soc. 01/06/2022, n° 20-22.058). Il peut même s’agir de son propre cabinet comptable : un salarié ne peut reprocher à son employeur d'avoir fait appel à lui pour enquêter sur le harcèlement moral qu'il a dénoncé, dès lors qu'aucun élément ne permet de remettre en cause l'impartialité de la personne ayant enquêté sur les faits de harcèlement qui n'ont pas été établis (CA Bourges 06/05/2011, n° 10-1128).
En revanche, il a été jugé qu’en confiant l’enquête à un responsable local de l’entreprise, précisément dénoncé par le salarié comme étant l'auteur principal du harcèlement, l'employeur n'avait pas pris la pleine mesure de la situation dans laquelle le salarié se trouvait et avait manqué envers lui à une obligation essentielle du contrat de travail (CA Paris 05/07/2012, n° 10-08296, ch. 6-11).
(Cass. Soc. 29 juin 2022, n° 21-11437 – « Crédit mutuel Arkéa c./ D. »)
Cette lettre de refus est bien