Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel de CHAMBERY le 30 mars 2023, n° RG 21/00767, qui vient aborder le cas particulier d’une SCI qui est poursuivie par un établissement bancaire, mais aussi par le fonds de titrisation.
La SCI tentant d’échapper à ses obligations en venant opposer à la banque, mais aussi au fonds commun de titrisation, des problématiques de prescription.
La SCI vient également reprocher à la banque plusieurs manquements au titre de ses obligations de conseil et de mise en garde.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, et par acte authentique en date du 17 juillet 2009, la banque avait consenti à une SCI familiale, qui souhaitait acquérir leur résidence principale, un prêt immobilier d’un montant de 304 137 € destiné à financer l’acquisition et la réalisation de travaux de remise en état du bien.
En garantie de ce prêt, la banque avait bien fait inscrire un privilège de prêteur de deniers.
Malheureusement suite à quelques impayés, la banque avait, par acte d’huissier du 12 juin 2014, fait délivrer à la SCI H. une sommation de payer la somme de 163 000 € accompagnée de l’information qu’elle entendait faire valoir la clause d’exigibilité de tout le prêt à défaut de paiement sous 8 jours.
S’en est suivie, le 11 août 2014, la signification d’un commandement de payer valant saisie immobilière pour l’intégralité du prix du prêt pour 381 908,00 € outre intérêts contractuels.
La signification de montants réclamés par la banque passé la déchéance du terme, frappée d’une vraie hémorragie de frais et intérêts divers et variés peut surprendre,
Une déchéance du terme à grand renfort de frais, intérêts et pénalités
Rappelons en effet que le prêt avait été contracté en 2009 pour 300 000 € et avait forcément fait l’objet de règlements jusqu’en 2014.
Le lecteur raisonnable ne peut que s’étonner qu’en 2014, soit 5 ans après l’obtention du crédit, alors que le débiteur a forcément réglé 2, 3 à 4 années d’échéances, la créance est désormais de 380 000 € alors que le prêt initial était de 300 000 €.
Cette hémorragie de la créance bancaire est toujours critiquable.
C’est dans ces circonstances qu’un commandement de payer valant saisie immobilière a été ensuite signifié par la banque qui a ensuite assigné SCI H. devant le Juge de l’Exécution immobilière afin d’envisager la vente immobilière du bien.
Le commandement de payer valant saisie immobilière
Pour autant, par jugement du 7 avril 2015, le Juge de l’Exécution du Tribunal de Grande Instance de CHAMBERY a débouté la SCI H. de ses demandes tendant à voir l’action de la banque prescrite.
Par arrêt en date du 24 septembre 2015, la Cour d’Appel de CAHMBERY a quant à elle infirmé le jugement en toutes ses dispositions et a dit que l’action de la banque était prescrite au titre de la prescription biennale ordonnant ainsi la mainlevée de la procédure de saisie immobilière.
Pour autant, l’affaire n’en n’est pas restée là puisque s’en est suivi un arrêt de Cour de cassation du 12 décembre 2016 qui a cassé et annulé la décision en litige lorsqu’elle a justement dit que l’action de la banque était prescrite et a renvoyé les parties devant la Cour d’Appel de GRENOBLE qui a constaté la péremption du commandement du 22 octobre 2014 aux fins de saisie immobilière.
La péremption du commandement et une nouvelle procédure judiciaire
Cela a forcément amené une nouvelle procédure judiciaire.
Cependant, et contre toute attente, la banque a fait le choix d’assigner la SCI non plus devant le juge de l’orientation mais devant le Tribunal judiciaire dans le cadre d’un contentieux au fond au paiement de la somme de 300 000 €.
De même suite, la société E., représentant le fonds commun de titrisation est intervenue volontairement à l’instance en qualité de cessionnaire de la créance détenue par la banque.
L’intervention volontaire du fonds commun de titrisation
La SCI H. s’est alors opposée aux demandes en soulevant une nouvelle fois la prescription de l’action en paiement sur le fondement de l’article L.137-2 du Code de la consommation ancien et a également formé une demande reconventionnelle en paiement d’une somme équivalente à celle qui lui est réclamée à titre de dommages et intérêts sur le fondement de la faute commise par la banque au titre de son manquement au devoir de mise en garde.
C’est dans ces circonstances que la Cour d’Appel de CHAMBERY a dû se prononcer.
La question de la prescription de l’action en paiement de la banque
La SCI H. réitère en appel la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en paiement engagée contre elle sur le fondement de l’article L.218-2 du Code de la Consommation, ancien article L.137-2 et soutient à cet effet qu’elle doit être considérée comme un consommateur.
Le fonds de titrisation soutient que ce moyen a été irrecevable compte-tenu de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 octobre 2012.
C’est sur le fond que l’action n’est évidemment à l’évidence pas prescrite, la SCI H. n’étant pas un consommateur au sens de l’article L.218-2 du Code de la Consommation.
Concernant la recevabilité du moyen, il convient de rappeler que la Cour d’Appel de GRENOBLE n’a pas statué sur la prescription dès lors que le commandement de payer valant saisie immobilière avait été déclaré caduc.
L’arrêt de la Cour de cassation n’a pas pour effet de rendre le moyen recevable puisqu’elle a renvoyé l’affaire devant la Cour d’Appel de GRENOBLE pour qu’il soit statué sur ce point.
Il convient donc d’examiner la fin de non-recevoir soulevée par la SCI H.
C’est par des motifs pertinents que la Cour retient qu’au visa des articles L.110-4 du Code du Commerce, L.137-2 devenu L.218-2 du Code de la Consommation et des articles 2243 et 2244 du Code Civil que le prêt du 17 juillet 2009 a été consentit à une SCI H., personne morale et non à ses associés, personnes physiques de telle sorte que ladite SCI ne peut donc être considérée comme un consommateur au sens de l’article L.218-2.
Le délai de prescription applicable est le délai quinquennal de l’article L.110-4 du Code du Commerce ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation dans maintes jurisprudences et notamment dans celle rendue le 12 octobre 2016.
Une prescription à 5 ans pour poursuivre une SCI
Le délai de prescription qui a commencé à courir au premier incident de paiement non régularisé, soit le 5 avril 2011, a été interrompu par le commandement de payer valant saisie immobilière délivré par le prêteur le 11 août 2014, effet interruptif qui n’a pas été anéanti par la caducité ultérieurement prononcée par l’arrêt de la Cour de Grenoble du 24 octobre 2018.
Le délai de prescription a encore été interrompu par la signification le 29 septembre 2014 et l’opposition au paiement des loyers par le locataire de la SCI H.
Ainsi, au jour de l’acte introductif d’instance, le 3 juillet 2017, l’action du créancier n’était donc pas prescrite.
Une telle définition exclut par principe les personnes morales.
L’article L.218-2 du Code de la Consommation instaure une prescription biennale de l’action des professionnels pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, lesquelles sont donc nécessairement des personnes physiques.
Il sera ainsi rappelé que l’opération financée par le prêt litigieux sera rattachée à l’objet social de la SCI H. de sorte que, quand bien même nous soyons en présence d’une SCI familiale, elle ne peut se prétendre consommateur et bénéficier des dispositions protectrices du Code de la Consommation, de telle sorte que la SCI H. est déboutée sur ce point.
Concernant l’obligation de conseil et de mise en garde
Sur le devoir de mise en garde, la SCI H. a également formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts contre le prêteur sur le fondement de la violation de devoir de mise en garde.
Cette demande a été déclarée irrecevable comme étant prescrite par le premier Juge.
En effet, la SCI H. réitère le moyen en le présentant comme une simple défense au fond visant au rejet des prétentions adverses, de sorte qu’aucune prescription ne sera encourue.
La SCI ne sollicite plus la condamnation de l’intimée au paiement de dommages et intérêts sur le fondement du manquement de devoir de mise en garde.
Le fonds commun de titrisation quant à lui ne réitère pas la fin de non-recevoir tiré de la prescription compte-tenu de la nouvelle présentation de moyens qui sera donc examinée au fonds sans qu’il soit nécessaire d’examiner la prescription.
Il est de jurisprudence constante que le banquier dispensateur de crédit est tenu à l’égard de l’emprunteur non averti d’une obligation de mise en garde lors de la conclusion du contrat.
La banque étant tenue de justifier avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l’emprunteur et du risque d’endettement né de l’octroi des prêts.
Toutefois, le prêteur n’a pas d’obligation de mise en garde qu’en cas de crédit excessif même si le prêt est consenti à un emprunteur non averti.
La responsabilité de la banque en cas de crédit excessif
Il appartient dès lors à l’emprunteur, qui invoque un manquement au devoir de mise en garde de la banque d’apporter la preuve de l’inadaptation du crédit octroyé au capacités de remboursement de l’emprunteur au jour où il a été souscrit ou du risque d’endettement excessif.
La SCI H. soutient, pour sa part, que le montage qui prévoyait un revenu locatif mensuel de 2 570 € était illusoire, les locataires ayant cessé de régler leur loyer peu de temps après la signature des baux.
Toutefois, le montant des échéances mensuelles du prêt était de 2 000 € pour des revenus locatifs prévisionnels alors fixés selon l’appelante à 2 570 €,
Des incidents de paiement du locataire empêchant le paiement du prêt par la SCI
La Cour considère que la banque ne peut être tenue responsable du défaut de paiement des locataires choisis par la SCI H., celle-ci ne démontrant d’ailleurs aucunement que le loyer locatif prévisionnel aurait été surévalué.
Au demeurant, la SCI H. a remboursé le prêt pendant les deux premières années sans difficultés.
En l’espèce, le fond commun de titrisation soutient que la SCI H. n’était pas créancière d’un quelconque devoir de mise en garde dès lors que le crédit consentit était proportionné à l’opération puisque la SCI H. faisait l’acquisition d’un studio, d’un local commercial et de deux appartements destinés à être mis en location et dont les loyers étaient suffisants pour couvrir le remboursement de l’emprunt.
Le fonds commun de titrisation assujetti à l’obligation de mise en garde ?
En outre, la Cour reproche à la SCI de ne produire aucun élément relatif à sa situation financière, ne justifie pas des baux qu’elle a consenti, ni des prétendus impayés de ses locataires, de sorte que le caractère excessif du crédit n’est pas établi au regard des revenus qui pouvaient être raisonnablement escomptés de l’opération.
Le fait qu’au jour du procès-verbal descriptif de l’huissier établi le 22 octobre 2014 pour les besoins de la procédure de saisie immobilière, seuls 3 lots avaient été loués pour un total de loyer hors charges de 1 089,00 € étaient insuffisants pour établir qu’au jour de l’octroi du crédit il existait un risque d’endettement excessif.
De revenus locatifs insuffisants pour faire face aux échéances ?
Par ailleurs, il est indifférent que les associés de la SCI H. n’aient pas disposés de revenus suffisants pour faire face au remboursement de l’emprunt puisque les biens acquis par la SCI H. devaient fournir à celle-ci les revenus nécessaires au remboursement du prêt.
Le placement en liquidation judiciaire ultérieur de Monsieur B., un des associés de la SCI, est également indifférent puisque l’appréciation de l’existence du devoir de mise en garde est faite au jour de l’octroi des concours bancaires, de telle sorte qu’il résulte de ce qui précède pour la Cour d’Appel de CHAMBERY que la SCI H. ne démontre pas que la banque était tenue d’un devoir de mise en garde à son égard, aucun risque d’endettement excessif n’étant établi au jour de la souscription du crédit.
Sur l’absence de retrait litigieux
On ne peut que s’étonner de cette bataille judiciaire faite par la SCI H. qui s’est entêtée à croire à une prescription biennale alors que la réforme du Code de la Consommation a été extrêmement claire et qu’effectivement, dans la mesure où les SCI personnes morales pas nature sont désormais écartée du Code de la Consommation, la prescription biennale ne peut plus être revendiquée par ces dernières et ces derniers sont immanquablement assujettis à une prescription quinquennale de 5 ans, délai pour lequel la banque a immanquablement pris soin de faire des actes interruptifs de prescriptions.
Dès lors, il est assez curieux pour la SCI F. de venir s’entêter à solliciter une acquisition d’une prescription biennale alors que la législation en la matière a clairement évolué pour une prescription quinquennale qui n’est absolument plus remise en question de quelque manière que ce soit à ce jour.
Qu’il en est également de même concernant l’application qui aurait pu être faite de l’obligation de conseil et de mise en garde, étant précisé d’ailleurs que là encore la SCI s’est entêtée à soutenir une argumentation qui, à mon sens, était fragile et risquait de la mettre à défaut.
Pour autant, la vraie question qui se pose, quand on reprend la lecture des faits, est l’apparition du fonds commun de titrisation.
En effet, nous avons bien vu dans l’historique présenté que nous sommes en présence d’un acte authentique qui a été conclu en 2009 que la banque a effectivement enclenché une première procédure de saisie immobilière en 2014 et finalement en 2017, alors que la Cour d’Appel de Grenoble est effectivement déclaré constater la péremption du commandement de payer, la banque a, par acte du 3 juillet 2017, assigné la SCI H. en paiement devant le Tribunal de Grande Instance de CHAMBERY enclenchant ainsi une procédure au fond.
Une cession de créance en pleine procédure judiciaire
C’est dans ces circonstances alors que la SCI était défenderesse à la procédure, que le fonds commun de titrisation est intervenu volontairement à l’instance en qualité de cessionnaire de la créance, sans que pour autant à aucun moment donné la SCI H. envisage de quelque manière que ce soit une demande en retrait litigieux, ce qui aurait permis d’obtenir le prix de vente de la créance en question entre la banque et le fonds commun de titrisation qui était immanquablement très inférieur à la somme de 300 000 € et qui aurait permis à la SCI en question de faire une action en retrait litigieux, c’est-à-dire de racheter une créance au prix de cession entre cédant et cessionnaire, ce qui aurait été beaucoup plus intéressant.
D’ailleurs, la Cour souligne qu’en rejetant à la fois l’argumentation relative à la problématique de prescription et à la fois à la problématique liée au devoir de mise en garde que celle-ci n’a jamais formalisé de demande quelle qu’elle soit à l’encontre du fonds commun de titrisation alors qu’à mon sens l’enjeu procédural se situait-là.
Nous pouvons notamment retenir une phrase de l’arrêt de la Cour qui indique qu’il convient de rappeler que la créance de la banque a été cédée au fonds commun de titrisation le 29 avril 2019, ce qui n’est pas contesté par la SCI H.
A mon sens, l’enjeu de la procédure se joue ici et ce qui est regrettable c’est que la SCI n’a pas jugée utile d’envisager une action en retrait litigieux alors que l’ensemble des critères lié à l’action en retrait litigieux me semble pourtant caractérisé.
Erreur stratégique et juridique de la SCI ?
Erreur stratégique, erreur juridique qui immanquablement met la SCI à défaut en ce qu’elle a bataillé pendant près de 9 ans sur une illusion de prescription biennale qui est perdue depuis longtemps alors que le seul moyen juridique pertinent était d’envisager une action en retrait litigieux qu’elle n’a pas envisagée.
Cela rappelle que les axes de défense d’un débiteur, fusse-t-il une SCI familiale, face à un établissement bancaire et un fonds de titrisation sont nombreux.
Il convient de ne pas négliger les moyens de contestation propres au fonds commun de titrisation, notamment en ce qu’il permet lorsque l’on est défendeur à une procédure d’envisager une action en retrait litigieux qui était pourtant clairement envisageable dans ce dossier,
A mon sens, la SCI et son conseil n’ont pas su mettre en avant cette approche juridique et judiciaire, et ont effectivement été défaillants dans ce raisonnement juridique qui aurait pourtant été à mon sens salvateur.
Comme à chacun sait les cessions de créances se font à vil prix, bien souvent sur la base de portefeuilles très important cédés à bas prix par la banque qui voit ces créances sorties de leur propre comptabilité interne et racheté sur des fonds de titrisation qui achètent ces créances une « poignée de figues » pour pouvoir ensuite récupérer l’intégralité de la créance.
Ce n’est pas pour rien que le législateur a prévu une action en retrait litigieux, pour permettre justement au débiteur de s’en sortir à bon compte, ce qui n’a pas été exploité par la SCI H. dans cette affaire ce qui est bien regrettable.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit
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