Les relations d’affaires entre professionnels ont vocation à durer dans le temps. Le principe veut que l’on puisse rompre librement ces relations ; pour cause, l’évolution de la relation, du marché ou de la direction de l’entreprise le justifie bien souvent. En revanche, il arrive que la relation puisse prendre fin brusquement, ce qui a pour conséquence de placer les parties dans une situation conflictuelle faisant parfois émerger de lourdes conséquences pécuniaires et morales.

L’article L442-1 du Code de commerce qui, depuis une ordonnance du 24 avril 2019, reprend, peu ou prou, les dispositions de l’ancien article L442-6 du même Code, lequel prohibait, sous peine d’engager la responsabilité de son auteur, un certain nombre de pratiques commerciales déloyales.

Au nombre de ces pratiques, la rupture brutale des relations commerciales s’illustre tout particulièrement, tant le contentieux en la matière est foisonnant. Cette pratique est, en effet, responsable de plus de 300 jugements au fond par an. Conçue à l’origine comme un remède contre le déréférencement abusif des distributeurs sur leurs fournisseurs, le texte semble aujourd’hui avoir une portée plus large.

Ainsi, l’article L442-1, II, du Code de commerce énonce désormais que « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels ».

Le texte ne vise pas la simple rupture des relations commerciales établies qui ne saurait être fautive en soi. Pour que la rupture de la relation engage la responsabilité de son auteur et ouvre droit à réparation, celle-ci doit être brutale, c’est-à-dire en l’absence de préavis. La violence de l’acte n’est donc pas en soit causé par l’injure du temps, mais par un comportement brutal du cocontractant.

 

A qui s’applique ce texte ?

D’abord, la lettre de l’article L442-1 du Code de commerce vise les relations commerciales au sens juridique du terme. Dès lors, le texte ne vise pas à s’appliquer pour les professions exclues de la commercialité, notamment du fait de la loi ou des règles déontologiques propres à chaque corps de métier. Un médecin, par exemple, ne pourra pas bénéficier des dispositions du présent article en cas de conflit avec sa clinique. De même, est exclu du champ d’application de l’article, les relations entre professionnels et consommateurs et les relations entre consommateurs.

En revanche, est considéré comme une relation commerciale les activités de production, de distribution et de fourniture de services de manière générale. En ce sens, les juges considèrent que l’article L442-1 du Code de commerce s’applique aussi bien aux relations industrielles qu’aux activités commerciales. À titre d’illustration, peuvent être pris en considération les contrats de transports, les relations entre un annonceur et une agence de publicité, entre un courtier d'assurances et un assureur ou encore les relations de sous-traitance.

 

Quand peut-on considérer que la relation commerciale est « établie » ?

D’abord, la relation doit présenter un caractère direct et personnel. C’est-à-dire que les cocontractants doivent avoir entretenu réellement et effectivement la relation. L’ensemble des échanges commerciaux doivent avoir été conclus directement entre les parties. Cet aspect personnel de la relation exclu l’hypothèse d’un changement à la tête de l’entreprise. Par exemple, en cas de cession de fonds de commerce, le repreneur, anciennement locataire-gérant, n’aura pas à subir le poids de la relation entre son prédécesseur et ses différents partenaires commerciaux.  Il en va de même pour une société dont l’appréciation de la relation commerciale établie doit se faire indépendamment du groupe auquel elle appartient.

Ensuite, la relation commerciale établie peut avoir pour base un contrat, écrit ou non. Dans cette hypothèse, la jurisprudence se montre indifférente quant à la durée du contrat ; qu’il soit à durée indéterminée, déterminée, à terme ou non renouvelable. D’autre part, la relation commerciale peut être extracontractuelle, en effet, le texte vise à s’appliquer même pour une relation informelle ou une relation issue d’échange ponctuel.

De plus, une condition de temporalité s’impose. La relation commerciale doit notamment pouvoir s’inscrire dans le temps, pour une certaine durée, qu’il conviendra d’analyser au cas par cas. Par exemple, les juges ont déjà consacré l’absence de relation commerciale établie pour une relation qui avait duré seulement quelque mois entre un distributeur et son fournisseur. Même si le texte n’exige pas que la relation soit permanente et continue, elle doit, néanmoins, être régulière, significative et stable.

Enfin, il va de soi que le caractère établi de la relation écarte de son champ les relations originellement conflictuelles et précaires. Il faut, en effet, que les parties puissent croire en la pérennité de leur relation pour l’avenir. Tel n’est pas le cas lorsque les parties manifestent leur volonté de se désengager de la relation à la suite nombreuses divergences

 

Quels sont les comportements visés par le texte ?

Par rupture brutale, l’article L442-1 du Code de commerce vise un comportement de mauvaise foi, c'est-à-dire sans raison légitime, de manière unilatérale et brusque. On peut identifier plusieurs comportements menant à une rupture ; celle-ci pouvant être partielle ou totale. En outre, la rupture peut revêtir différentes formes, elle peut être simple comme une notification du cocontractant de sa volonté de résoudre le contrat ou une inexécution, totale ou partielle, des obligations contractuelles, ou bien elle peut être un peu plus subtile, comme une modification du contrat ou des conditions générales de ventes par exemple.

 

Quid de la modification du contrat ?

Il n’est pas rare de voir dans la pratique des clauses qui permettent à une partie de modifier le contrat par simple notification. Les cas de modification peuvent parfois même dépasser le cadre contractuel et ressortir du comportement des parties.

Sur ce point, l’article L442-1 du Code de commerce prévoit l’hypothèse de la rupture partielle, on peut donc considérer qu’une modification du contrat peut être perçue comme une rupture brutale. Toutefois, il est clair que l’article ne joue pas lorsque la modification du contrat est intervenue d’un commun accord des parties, par exemple, par le jeu d’une clause. Il en va de même pour une proposition de modification des conditions contractuelles, dès lors quelle a été négociée.

 

Attention !

L’ensemble des comportement évoqués ci-dessus ne sont pas en soit sanctionnable. Ce qui l’est, en revanche, c’est la brutalité de leur exécution, c’est-à-dire lorsque l’auteur de la rupture ne respecte pas un préavis suffisant. La rupture est brutale lorsqu’elle est imprévisible, soudaine et violente. Autrement dit, cette rupture brutale est caractérisée lorsque celui qui l’a subi a pu croire en la continuité de la relation.

 

Quelle doit être la durée du préavis ?

Le délai du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture. La durée du préavis doit permettre à la partie victime de la rupture de réorienter son activité et de trouver, éventuellement, de nouveaux partenaires

Pour établir cette durée, les juges prennent généralement en compte deux éléments : l’ancienneté de la relation et la part du chiffre d’affaires réalisé par la victime avec l’auteur de la rupture (dans certains cas exceptionnels, les juges prennent aussi en considération l’état de dépendance économique de la victime). Par exemple, un préavis de quatre mois a été jugé suffisant alors que les relations d'affaires avaient duré plus de treize ans.

De plus, même lorsque les parties ont stipulé un préavis au contrat, le juge peut ne pas en tenir compte si ce délai ne correspond pas à la durée de la relation commerciale et des autres circonstances y afférant. Ainsi, par exemple, le respect du préavis contractuel n'est pas suffisant pour exonérer le concédant du manquement de brusque rupture, même si le contrat prévoyait un délai d’un an.

Attention cependant, depuis l’ordonnance du 24 avril 2019, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis écrit de dix-huit mois.

 

Quel est le point de départ de la durée du préavis ?

Celui-ci court à compter du jour où l’une des parties informe son partenaire de sa volonté de ne pas poursuivre les relations commerciales. Par exemple, à partir du jour de l’envoi de la lettre recommandée.

 

Quels sont les préjudices indemnisables ?

Une rupture brutale des relations commerciales établies, dès lors qu’elle est fautive, engage la responsabilité délictuelle de son auteur pour le préjudice subi par la victime. Ici, il faut distinguer deux préjudices, celui issu de la brutalité de la rupture et celui issu de la rupture elle-même. Et sur ce point, seul le préjudice issu de la brutalité de rupture est indemnisable.

Ce préjudice sera évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire et sans tenir compte des circonstances postérieures à la rupture. Mais encore, en l’absence de préavis, la réparation du préjudice peut s’étendre aux conséquences dommageables de cette absence telles que le gain manqué et la perte éprouvée. A titre d’exemple, sont indemnisés : les frais de déplacement et de formation de salariés occasionnés par la recherche de nouveaux fournisseurs ; la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance de préavis, c’est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxes (HT) et les coûts HT ; le coût des amortissements non encore amortis, engendré spécifiquement pour les besoins de la relation; le coût éventuel de restructuration ou de désinvestissement consécutif à la rupture; le chiffre d’affaires susceptible d’être réalisé en l’absence de la rupture.

Cependant, si le préjudice qu’à subit la victime est dû, en tout ou partie, à sa faute, le juge peut réduire le montant des dommages et intérêts.
 

Quand cours le délai de prescription de l’action en responsabilité ?

Le délai de prescription de l’action en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établie est de cinq ans à compter de la notification de la rupture. Le dommage se réalise, en effet, au jour où la victime a connaissance de la rupture et donc de l’absence de préavis ou de préavis suffisant.

 

Peut-on s’exonérer en tout ou partie de cette responsabilité ?

L’auteur d’une rupture brutale des relations commerciales établies peut écarter sa responsabilité dans trois hypothèses.

D’abord, le cas de la force majeure qui, dès lors qu’elle est extérieure, imprévisible et irrésistible peut excuser la rupture.

Ensuite, la rupture brutale peut trouver une justification en présence d’une faute lourde de la victime ; faute qui se manifeste par une inexécution suffisamment grave de ses obligations. Dans ce cas-là, l’auteur de la rupture pourra soit refuser d’exécuter ses obligations soit notifier son intention de résoudre le contrat. Par exemple, est considéré comme suffisamment grave, des retards fréquents de livraisons ainsi qu’un refus de livraison d’un fournisseur en réponse à un retard de paiement de son partenaire commercial. A l’inverse, le fait de ne pas être à jour des paiements ne constitue pas, compte tenu des circonstances propres à chaque cas, une faute grave autorisant une rupture sans préavis.

Enfin, depuis l’ordonnance du 24 avril 2019, la responsabilité de l’auteur de la rupture sera écartée dès lors qu’il aura respecté un préavis de dix-huit mois minimum.

 

Dans la complexité mouvante du monde des affaires, la rupture des relations commerciales est une réalité courante. Ce type de rupture peut engendrer des conséquences significatives, tant sur le plan financier que moral.

Ainsi, que vous soyez la partie qui envisage de mettre fin à une relation commerciale ou celle qui reçoit une notification de rupture, il est important de prendre du recul et de consulter un avocat qui pourra analyser la situation avec précision et définir la meilleure stratégie à adopter.

 

Cabinet Daniel Barrionuevo

Par MAIZIERES Benjamin (Juriste spécialisé en Droit des affaires)