Un dirigeant d’une société en difficulté engage un contentieux en responsabilité. Entre-temps la société fait faillite et un mandataire liquidateur est désigné. A hauteur de cour d’appel l’adversaire considère que dans la mesure ou le mandataire liquidateur n’est pas intervenu en première instance, celui-ci serait irrecevable à intervenir à hauteur de Cour, et ne ferait que formuler des demandes nouvelles, irrecevables par nature. Qu’en est-il ? 

Il convient de s’intéresser à une ordonnance qui a été rendue par la Cour d’Appel d’Aix en Provence, le 12 janvier 2023, numéro RG 22/00663 et qui vient aborder la problématique de l’intervention du mandataire liquidateur à hauteur de Cour d’Appel alors que le procès qui avait initialement engagée aux fins de recouvrement de créances avait été enclenché par le débiteur lui-même, qui était alors in boni.

 

Quels sont les faits ?

Dans cette affaire, effectivement, les parties étaient liés par un bail commercial conclu le 5 janvier 2013 et portant sur des locaux situés dans le Var.

Par acte du 18 octobre 2016, la société, locataire dudit bail, avait assigné le bail devant le Tribunal de Grande Instance afin de voir prononcer la résiliation du bail à hauteur du bailleur ainsi que sa condamnation à l’indemnisation des préjudices subis, notamment au titre du manquement à l’obligation de délivrance de l’attractivité commerciale dudit local qui était intégré dans une galerie.

Le bailleur avait conclu à l’irrecevabilité des demandes adverses d’indemnisation à titre subsidiaire, à leur rejet et, à titre conventionnel, la condamnation du locataire au paiement de la somme de 100 182,09 euros au titre du solde locatif en mai 2019, ainsi qu’à des dommages et intérêts.

Entre-temps, et par jugement du Tribunal de Commerce en date du 13 mai 2019, la société locataire commerciale avait fait l’objet d’un jugement de liquidation judiciaire et la SCP P. avait été désignée en qualité de mandataire liquidateur.

Ladite société P., ès qualité de mandataire liquidateur, avait été attrait dans la procédure au travers une assignation en intervention forcée, mais n’avait effectivement pas constitué avocat.

C’est dans ces circonstances que, post-liquidation judiciaire et par jugement du 23 novembre 2021, le Tribunal de Grande Instance avait débouté la société en liquidation judiciaire de ses demandes et avait fixé la créance du bailleur à la somme de 100 182,09 euros au titre des loyers et charges dus, outre 3 000 euros au titre de l’article 700.

C’est dans ces circonstances, qu’à hauteur de Cour d’Appel, le bailleur avait pris des conclusions afin de considérer que l’intervention du mandataire liquidateur à hauteur de Cour, en reprenant pour lui les demandes du débiteur, désormais liquidé, constituait des demandes nouvelles.

L’intervention du liquidateur et les demandes nouvelles ? 

Ainsi, le bailleur soulignait l’irrecevabilité des demandes du mandataire liquidateur à l’encontre du bailleur au motif pris qu’il apparaissait, aux termes de la décisions entreprises, que bien que cité régulièrement devant le Tribunal de Grande Instance, le mandataire liquidateur de la société en liquidation judiciaire n’avait pas constitué avocat et n’avait pas non plus comparu devant ce tribunal, ne faisant valoir aucune prétention à l’encontre du bailleur.

Pourtant, il convient de rappeler que, selon l’article L.141-9, alinéa 1er du Code du Commerce :

« Le vendeur qui a stipulé lors de la vente que, faute de paiement dans le terme convenu, la vente serait résolue de plein droit, ou qui en a obtenu de l'acquéreur la résolution à l'amiable, doit notifier aux créanciers inscrits, aux domiciles déclarés dans leurs inscriptions, la résolution encourue ou consentie, qui ne deviendra définitive qu'un mois après la notification ainsi faite ».

Ainsi, le bailleur considérait qu’en application des dispositions de l’article L.141-9, alinéa 1er du Code du Commerce, à compter du jugement en liquidation judiciaire qui était en date du 13 mai 2019, le débiteur était dessaisi de l’administration de ses biens, les droits et actions étant alors exercés, pendant toute la durée de liquidation, par le mandataire liquidateur.

Selon lui, il appartenait donc au mandataire liquidateur de formuler ses demandes dans le cadre de la procédure devant les premiers Juges.

Par conséquent, et selon le bailleur, les prétentions que le mandataire liquidateur formulait, dans le cadre de la procédure d’appel à l’encontre du bailleur, étaient des prétentions nouvelles et devaient donc être déclarées irrecevables en application de l’article 564 du Code de Procédure Civile, rappelant également qu’il avait déjà été jugé que la demande faite en première instance par l’un des demandeurs et reprise par l’autre en appel est nouvelle et donc irrecevable (Cour de Cassation, 2ème Chambre Civile, 18 janvier 2007, n°04-10.230).

Pourtant, il convenait de rappeler que l’action opposant le locataire en liquidation judiciaire au bailleur était bien une action soumise au dessaisissement, la preuve étant d’ailleurs établie par la déclaration d’appel qui avait été régularisée, non pas par l’ancien dirigeant de la société mais bel et bien par le mandataire liquidateur.

De telle sorte qu’il ne s’agissait pas d’un droit propre du débiteur ainsi qu’il était couramment jugé que l’action en recouvrement d’une créance ne constituait jamais un droit propre (Cour de Cassation, Chambre Commerciale, 18 septembre 2012, n°11-17.546).

Le mandataire judiciaire, quant à lui, rappelait que, si celle-ci a bien été initiée par le dirigeant de la société en liquidation judiciaire, lequel conserve ses droits propres dans le cadre des opérations liquidatives, de telle sorte qu’il a bien manifesté, en première instance.

La société n’ayant pas disparue, initialement représentée par son dirigeant in boni en son temps puis représentée par le mandataire liquidateur par la suite.

De telle sorte que la société pouvait maintenir ses mêmes prétentions à hauteur de Cour, celle-ci étant toujours la même personne morale, seulement représentée par, désormais, non plus le dirigeant de la société, mais bel est bien le mandataire liquidateur.

La seule différence, c’est que, de par le fait de la liquidation judiciaire, la société en liquidation judiciaire est représentée, non plus par le dirigeant en exercice, mais par le mandataire liquidateur qui se substitue au dirigeant et ce, de par le dessaisissement qui découle des effets même de ladite liquidation judiciaire.

Ainsi, à hauteur de Cour, les demandes de la société en liquidation judiciaire sont les mêmes que celles exprimées en première instance.

Elles sont juste, désormais, exprimées par le mandataire liquidateur, de par les effets du dessaisissement, de telle sorte que, dans la mesure où les demandes de la société en liquidation judiciaire, prise cette fois-ci en la personne de son mandataire liquidateur, demeurent strictement idem et sont, dès lors, parfaitement recevables, ce que retient la Cour d’Appel.

En effet, la Cour d’Appel rappelle que, si en vertu des dispositions de l’article L.141-9 du Code du Commerce, le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de cette date de dessaisissement par le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens, les droits et actions du débiteurs concernant son patrimoine étant exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

Cette règle ne permet pas de remettre en cause les actions exercées antérieurement à la procédure collective par le représentant de la personne morale.

En l’espèce, l’assignation avait bien été délivrée en octobre 2016 par la société, valablement représentée, à l’époque, par son représentant légal, le jugement du Tribunal de Commerce prononçant la liquidation judiciaire n’a été prononcé que le 13 mai 2019, date à compter de laquelle le mandataire liquidateur a obtenu, en raison de sa désignation ès qualité de mandataire liquidateur, la capacité de pouvoir représenter ladite société.

Cette désignation n’imposant nullement au mandataire liquidateur de réitérer la demande valablement formulée par la société en liquidation judiciaire, elle-même, alors représentée par le dirigeant dans son assignation introductive d’instance en octobre 2017.

Il s’en suit que les demandes formulées en première instance par la société, désormais en liquidation judiciaire, représentée par son représentant légal et réitérées en cause d’appel par la même société, cette fois-ci représentée par le mandataire liquidateur, ne constituent pas des demandes nouvelles en cause d’appel au sens de l’article 564 du Code de Procédure Civile et demeurent parfaitement recevables.

Ainsi, si une société émet des demandes judiciaires en première instance alors qu’elle passe en liquidation judiciaire, que le mandataire liquidateur ne se constitue pas nécessairement et que, dans le même temps, suite à ce jugement, c’est le mandataire liquidateur qui fait appel et qui se constitue, ces éléments ne peuvent être constitutifs des demandes nouvelles.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE

Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit