Avant/Après : quelles sont les nouvelles règles pour l'acquisition de congés payés durant l'arrêt maladie ?

Le salarié a droit à un congé de 2 jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur."

Article L3141-3 du Code du travail

En droit français, chaque salarié a droit chaque année à un congé payé à la charge de l'employeur (1), à savoir 2,5 jours par mois de travail effectif chez le même employeur, sans pouvoir excéder 30 jours (donc 5 semaines) (2).

En conséquence, le salarié doit travailler effectivement pour acquérir ces jours de congés payés.

Néanmoins, certaines périodes durant lesquelles le salarié ne travaille pas sont assimilées à du travail effectif et permettent malgré tout au salarié d'acquérir des congés payés (les périodes de congés payés, les contreparties obligatoires sous forme de repos comme les RTT, les jours fériés chômés, les périodes de congé de maternité et d'accueil de l'enfant, l'arrêt de travail pour maladie professionnelle/accident du travail, etc.) (3).

A contrario, certaines périodes ne sont pas considérées comme du travail effectif, et le salarié n'acquiert donc pas de jours de congé payé à cette occasion.

Jusqu'à présent, s'il était victime d'un accident ou d'une maladie dont l'origine n'est pas professionnelle, l'arrêt de travail du salarié n'était pas considéré comme du travail effectif (hors dispositions conventionnelles plus favorables) et ne permettait donc pas l'acquisition de jours de congés payés.

Mais, le 13 septembre 2023, la Cour de cassation a écarté les dispositions du droit français pour appliquer celui de l'Union européenne, en considérant que le salarié en arrêt maladie doit acquérir des congés payés, de la même manière qu'un salarié en arrêt pour maladie d'origine professionnelle (4)

D'autres points ont également fait l'objet de précisions par la Cour de cassation. Dans un communiqué de presse du 13 septembre 2023, la Cour de cassation les résume de la façon suivante (5)

  • les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle ;  
  • en cas d’accident du travail, le calcul des droits à congé payé ne sera plus limité à la première année de l’arrêt de travail ;
  • le délai de prescription du droit à congé payé ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile.
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Quelles sont les conséquences de cette nouvelle jurisprudence pour les employeurs ? 

2 milliards d'euros par an Coût des décisions selon Patrick Martin (MEDEF)

Selon les déclarations du nouveau président du MEDEF, Patrick Martin, au journal Les Echos, ces nouvelles positions pourraient représenter un coût total de 2 milliards d'euros par an.

 

L'ensemble de ces décisions combinées peut effectivement représenter un coût financier important pour les entreprises, essentiellement pour les arrêts maladie longue durée puisque les petits arrêts n'ont généralement pas d'incidence sur l'acquisition de congés payés.

En effet, si le salarié dispose normalement de 3 ans pour réclamer ses indemnités de congés payés (6), la Cour de cassation précise que ce délai ne commence à courir que lorsque l'employeur justifie avoir accompli les mesures nécessaires que pour le salarié exerce effectivement ses droits. Ainsi, le rappel des indemnités pourrait courir au-delà des 3 dernières années si le juge considère qu'un employeur n'a pas accompli ces obligations.

Pour le reste, les employeurs doivent se conformer aux décisions de la Cour de cassation - avec effet rétroactif - et permettre à leurs salariés d'acquérir des congés payés, même pendant les arrêts de travail qui n'étaient pas, jusqu'alors, considérés comme du temps de travail effectif.

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Comment ont réagit les employeurs et les syndicats après les décisions de la Cour de cassation ?

Prescription, caractère rétroactif... La colère des organisations patronales 

"C'est franchement inadmissible et profondément choquant."

François Asselin, président de la CPME

La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) a exprimé son inquiétude et sa colère. Selon elle, "il est injuste qu'un salarié absent pendant une longue période bénéficie d'autant de congés qu'un salarié présent à son poste", mais également qu'un salarié qui ne travaille pas puisse cumuler des congés payés (7)

De ce fait, elle a appelé les entreprises à signer sa pétition "PETITION CPME - Non aux congés payés pendant les arrêts-maladies", dont l'objectif est de s'opposer à ces décisions jurisprudentielles et demander au Gouvernement d'agir sur la question (7). Cette pétition avait, en novembre 2023, recueilli déjà près de 25.000 signatures (8).

L'un des arguments qui a été mis en avant par la confédération est le poids financier d'une telle mesure, rappelant que l'employeur devrait ainsi payer les congés payés du salarié en arrêt maladie, mais également, le cas échéant, du salarié le remplaçant sur le même poste. Elle a proposé, par exemple, d'intégrer dans les périodes d'arrêts de travail un "congé indemnisé valant repos et convalescence", correspondant à 10 % de la durée de l'arrêt de travail.

L'acquisition de CP pendant l'arrêt de travail (accident ou maladie non professionnels) : une victoire selon les syndicats 

La CGT a vu quant à elle dans ces nouveaux arrêts, une victoire pour les droits des salariés. Elle a, à cet effet, rédigé des modèles de courrier pour les salariés souhaitant réclamer une régularisation de leurs droits à congés, et pour que les syndicats puissent demander aux employeurs de rendre ces nouveaux droits effectifs en entreprise. Le postulat du syndicat est le suivant : les arrêts maladie, de par leur nature, ne peuvent pas être considérés comme des temps de repos (9)

De son côté, la CFDT a salué également ces décisions. De la même manière que la CGT, elle a considéré que "la finalité du droit au congé est de permettre aux travailleurs de se reposer et de bénéficier d'une période de détente et de loisir. Ce qui est loin d'être le cas lorsque les salariés sont en arrêt maladie".

Elle a recommandé aux représentants du personnel de se rapprocher de l'employeur afin de faire face à cette nouvelle situation via le dialogue social (10).

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Après les arrêts de la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel s'est prononcé !

Suite aux arrêts de la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel a été saisi en fin d'année 2023 dans le cadre des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). 

Il lui était demandé de répondre aux questions suivantes (11) :

  • le Code du travail porte-t-il atteinte au droit à la santé et au repos dans la mesure où il ne permet pas au salarié malade ou accidenté (origine non professionnelle) d'acquérir de congés payés et dans la mesure où il limite l'acquisition de congés payés par les salariés en arrêt pour maladie professionnelle à une durée ininterrompue d'un an ? ;
  • le Code du travail porte-t-il atteinte au principe d'égalité par la distinction qu'il crée entre le salarié en arrêt maladie pour origine professionnelle et le salarié en arrêt pour maladie d'origine non professionnelle ?

Le Conseil disposait de 3 mois pour rendre une décision. Il s'est prononcé le 8 février 2024.

À ce titre, le Conseil constitutionnel a refusé de juger inconstitutionnelles les dispositions du Code du travail. Il a estimé que celles-ci ne portent ni atteinte au droit à la santé et au repos, ni atteinte au principe d'égalité (12).

Toutefois, la décision du Conseil constitutionnel n'a pas remis en cause la portée des arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023. En effet, si les dispositions du Code du travail sont conformes à la Constitution, elles ne le sont au regard du Droit européen.

Le Gouvernement a saisi le Conseil d'Etat pour avoir son avis avant de légiférer

Dans le cadre du Projet de loi d’adaptation au droit de l’UE, le Gouvernement a déposé ce vendredi 15 mars 2024, un amendement qui sera examiné le 18 mars 2024 à l’Assemblée nationale.

Le Gouvernement a, en amont, sollicité l'avis du Conseil d'Etat d'une demande d'avis portant sur la mise en conformité des dispositions du code du travail en matière d’acquisition de congés pendant les périodes d’arrêt maladie.

Le 11 mars 2024, le Conseil d'Etat a rendu son avis au Gouvernement (13).

Dans son avis sur le projet d'amendement du Gouvernement, il répond : 

  • qu'il est possible de limiter à 4 semaines par an les congés payés acquis par le salarié au cours d'une absence pour maladie non professionnelle, à raison de 2 jours ouvrables par mois ;
  • cette limite de 4 semaines ne peut pas être rétroactive pour les arrêts maladie antérieurs au 1er décembre 2009. En revanche, pour les arrêts maladie à compter du 1er décembre 2009, le Conseil d'Etat enjoint le Gouvernement à proposer un mécanisme ne permettant au salarié d'acquérir que le nombre de jours de congés supplémentaires lui permettant, s’il n’a pas déjà atteint au moins 24 jours de congé annuel payé, d’atteindre ce nombre, sans pouvoir le dépasser ;
  • fixe le délai maximum de report des congés payés à 15 mois et envisage plusieurs cas de figure pour déterminer le point de départ de ce délai de report, selon que les congés ont été acquis avant l'arrêt maladie ou au cours d'une période d'absence ;
  • rappelle que l'action en paiement de l'indemnité compensatrice de congés payés se prescrit par 3 ans pour les salariés qui ne sont plus en poste ;
  • préconise un délai de forclusion de 2 ans à compter de l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions légales qui seront prises pour les demandes de droit à congés payés concernant des périodes antérieures à l'entrée en vigueur de la loi, qui sont faites par les salariés encore en poste.

L'avis du Conseil d'Etat a été plutôt bien accueillit par le patronat qui attendait des précisions sur ces points depuis plusieurs semaines.

Une absurdité vient enfin d'être corrigée.

François Asselin, Président de la CPME, sur X

Quant au vice-président de la CPME, il s'est dit "largement soulagé, même s'il reste des points à éclaircir". Rappelons que la CPME est fermement opposée "au principe même de la transposition européenne".

Même si le Gouvernement n'est pas obligé de se plier à l'avis du Conseil d'Etat, il y a tout de même de grandes chances qu'il suive ses préconisations.

La mise en oeuvre des jurisprudences du 13 septembre 2023 aura certes un coût pour les entreprises, mais bien moindre que ce qui était initialement attendu.

Sources et références : 
(1) Article L3141-1 du Code du travail 

(2) Article L3141-3 du Code du travail 
(3) Article L3141-5 du Code du travail
(4) Cass. Soc. 13 septembre 2023, n°22-17340, n°22-17341, n°22-17342
(5) Communiqué de presse de la Cour de cassation, "Congé payé et droit de l’Union européenne", 13 septembre 2023
(6) Article L3245-1 du Code du travail
(7) CPME, "Opposez-vous à l'acquisition de congés payés pendant les arrêts-maladies : signez la pétition !", 9 novembre 2023
(8) Selon les chiffres du communiqué de presse de la CPME, "Congés payés acquis en arrêt-maladie : la CPME défend les entreprises devant le Conseil constitutionnel", 17 novembre 2023
(9) CGT, "Congés payés en cas d'arrêt maladie : comment faire valoir ses droits ?", 8 novembre 2023
(10) CFDT, "Congés payés et arrêt maladie : notre droit enfin conforme au droit de l'UE !", 4 octobre 2023
(11) Cass. Soc. 15 novembre 2023, n°23-14806
(12) Conseil consitutionnel, Décision n°2023-1079 QPC du 8 février 2024
(13) Avis portant sur la mise en conformité des dispositions du code du travail en matière d’acquisition de congés pendant les périodes d’arrêt maladie, Conseil d'Etat, n°408112, séances des 7 et 11 mars 2024