Emploi des seniors : de la "Loi plein-emploi" aux accords entre les partenaires sociaux
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Les ambitions inachevées de la loi plein-emploi
Initialement, l'emploi des seniors devait être discuté dans le cadre du projet de réforme "loi plein-emploi". Le 14 novembre 2023, ce texte a été adopté, mais le 16 novembre 2023, le Conseil constitutionnel a été saisi d'un recours contre celui-ci par les députés socialistes, écologistes, communistes et de La France insoumise.
Le texte a finalement été publié le mardi 19 décembre 2023 (1), mais il revient en définitive aux syndicats et aux patronats de trouver des solutions tangibles sur le sujet.
Étapes et état des discussions entre les partenaires sociaux
Première étape : 21 novembre 2023.
Le ministère du Travail a communiqué aux syndicats et au patronat, un "document d’orientation", dont les principales lignes directrices étaient les suivantes :
- augmenter l’emploi des seniors : l'objectif du Gouvernement serait de maintenir ces travailleurs à leur poste et d’atteindre le "plein-emploi des seniors", soit 65 % des 60 à 64 ans en activité en 2030. Plusieurs pistes seraient envisagées : favoriser l’accès à la formation, améliorer les conditions de travail, aménager les fins de parcours professionnel ou mieux lutter contre les discriminations liées à l’âge, etc. ;
- relever les bornes d'âge concernant l'indemnisation du chômage des seniors, pour prendre en compte le recul de l'âge légal amorcé par la réforme des retraites ;
- mieux lutter contre l’usure professionnelle, et prévenir la pénibilité au travail ;
- faciliter les reconversions professionnelles ;
- créer un "compte épargne temps universel" (CETU), qui devrait permettre au salarié ne disposant pas d'un compte épargne temps via son entreprise ou sa branche, de pouvoir y épargner ses jours de congé non pris, afin de pouvoir les utiliser, quel que soit leur employeur.
Les organisations de salariés et d’employeurs ont alors eu 4 mois pour tenter de parvenir à un accord.
Deuxième étape : à partir du 22 décembre 2023
Dans cette optique a commencé, le 22 décembre 2023, une nouvelle négociation destinée à permettre la conclusion d'un nouveau "pacte de la vie au travail". Cette première réunion visait à l'élaboration d'un calendrier et à la mise en place d'une méthode de travail à suivre.
Les organisations syndicales et patronales se sont réunies au siège du Medef le 7 février 2024 pour une séance de négociation axée sur les transitions et reconversions professionnelles.
Le 15 et 16 février 2024, de nouvelles négociations sont intervenues. La CPME a souhaité un allégement de charges quand le Medef a plaidé, quant à lui, pour un futur CDI senior afin de remplacer le CDD senior actuel. Des négociations sur la retraite progressive sont également en cours.
Dans la continuité de ces négociations, le sujet d'un compte épargne-temps universel (CETU) a été abordé le 23 février 2024, mais a fait l'objet d'un blocage ferme de la part du patronat pendant les négociations du 1er mars 2024.
Cet article peut vous intéresser : La mise en place du compte épargne-temps (CET).
De son côté, le CDI senior, proposé par le Medef, n'a pas été soutenu par les syndicats de salariés.
L'avant-projet d'accord, transmis par le Medef aux syndicats, a été discuté le 7 mars 2024. Le CETU n'était pas présent dans ce projet (le patronat ne souhaite pas ajouter cette mesure).
La dernière réunion, initialement prévue pour le 26 mars a été repoussé au 8 avril 2024.
En attendant la suite des négociations, les 5 organisations syndicales avaient rendu publiques 10 propositions :
- renforcer le dialogue social pour améliorer l'emploi des seniors en mettant en place un bilan social de branche fixant un objectif quantitatif et qualitatif en rendant obligatoire la négociation d’entreprise sur cet enjeu et en renforçant le rôle des représentants des salariés via la suppression de la limite à trois mandats ;
- mettre en place un système de pénalité lorsque les objectifs d’amélioration du taux d’emploi des seniors ne seraient pas atteints ;
- créer un véritable droit à la reconversion professionnelle ;
- renforcer par la négociation collective la prévention de l’usure professionnelle, en rendant obligatoire la cartographie des métiers à risque et fort taux de sinistralité dans les branches et les entreprises, afin d’anticiper les reconversions et de mettre en place des plans de prévention obligatoires intégrant les aménagements de fin de carrière ;
- rendre le droit à la retraite progressive opposable 4 ans à partir de 60 ans, avec une prise en charge des cotisations retraites à 100 % ;
- maintenir les cotisations retraites à 100 % lorsque le salarié passe à temps partiel dans la dernière partie de sa carrière ;
- s’opposer au CDI seniors qui ouvre droit à de nouvelles exonérations de cotisations au bénéfice des entreprises ;
- ouvrir à la négociation obligatoire les plans de développements des compétences dans les entreprises de plus de 1.000 salariés ;
- faire du conseil en évolution professionnelle un droit effectif pour l’ensemble des salariés ;
- piloter une stratégie nationale de la reconversion dans un lieu paritaire commun.
Troisième étape : les 8, 9 et 10 avril 2024
Après de longues semaines de négociations compliquées, la nuit du mardi 9 au mercredi 10 avril s'est soldée par un échec des négociations.
Les syndicats, qui n'ont pas encore arrêté leur position officielle, ont refusé de signer la dernière version du projet d'accord. Ils reprochent au patronat un texte qui ne comporte que très peu d'avancées pour les salariés et qui ignore les revendications et propositions portées dans leur intérêt. Ils déplorent par exemple que la retraite progressive à 60 ans ne figure pas au sein du projet. Ils doivent désormais consulter leurs instances, mais plusieurs de ces acteurs ont d'ores et déjà prévu qu'ils communiqueraient un avis défavorable à une potentielle signature.
Du côté des organisations patronales, il est regretté une position ferme des syndicats durant toutes les sessions des négociations. La version finale du projet qu'elles ont présentée au syndicat permettait, selon elles, de répondre aux objectifs d'emploi qui étaient en jeu.
En conséquence, à défaut d'accord et face à cet échec du dialogue social, le Gouvernement va pouvoir reprendre la main sur ces thématiques. Les syndicats et organisations patronales indiquent qu'ils continueront, malgré tout, à porter leurs revendications dans les prochains débats.
Pour rappel, en cas d'accord, le Gouvernement s'était engagé à reprendre le texte établi par les partenaires sociaux, au sein du futur projet de loi qui devrait être présenté en automne 2024.
Vers un nouveau contrat de travail seniors ?
Dans le cadre des négociations sur le pacte de la vie au travail et l'emploi des seniors (lesquelles se sont soldées par un échec de signature), le Medef souhaitait la mise en place d'un CDI senior, pour les demandeurs d'emploi.
Celui-ci devait permettre à l'employeur de mettre fin au contrat dès que le salarié peut partir en retraite à taux plein (et non plus à 70 ans comme actuellement), la date de départ étant prévue dès la signature du contrat.
À ce sujet, le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire a fait part, le 30 mars 2024, de sa volonté de mettre en place un nouveau contrat de travail réservé aux seniors, dans le cadre duquel temps de travail, salaires et cotisations seraient décorrélés.
Concrètement, les seniors titulaires de ce contrat de travail spécifique :
- travailleraient 80 % de leur temps ;
- toucheraient 90 % de leur salaire ;
- auraient droit à 100 % de leur retraite.
Le but d'un tel dispositif serait de permettre aux seniors en fin de carrière de passer à temps partiel, sans pour autant réduire leur niveau de cotisation pour la retraite. Selon le ministre de l'Economie, les coûts liés à la mise en place de ce nouveau contrat seraient financés entre l'Etat et les entreprises.
Sur ce sujet, la Confédération française de l'encadrement/Confédération générale des cadres (CFE-CGC - syndicat de salariés) noaite que cette proposition "va dans le bon sens" tout en mettant en garde sur son coût, le vice-président en charge des affaires sociales à la Confédération des petits et moyennes entreprises (CPME) estimait quant à lui que ce type de contrat "participera encore à renchérir le coût du travail", ce qui complexifiera davantage le problème de l'emploi des seniors.
Dans le cadre de leurs revendications, les deux organisations plaident plutôt pour un ralentissement du rythme de travail en fin de carrière (dès 55 ans et après 65 ans), via des missions de mentorat ou de tutorat.
Quel est le taux d'emploi des seniors ? Quelle est la situation en France ?
Dans le secteur privé, en 2022, 56,9 % des personnes de 55 à 64 ans étaient en emploi, contre 82,5 % des 25 à 49 ans (2). La France se place sous la moyenne européenne dans l'emploi des seniors (62,4 % en 2022).
Même si elle a favorablement évolué au gré des mesures prises par les gouvernements successifs, la situation des seniors sur le marché du travail français reste donc assez complexe, notamment en raison de difficultés :
- lors de l'embauche ;
- liées à l'accès aux formations...
Dans l'attente de nouvelles mesures, les difficultés des seniors pour trouver ou conserver un emploi persistent.
Qui sont les seniors en 2024 ?
Il n'existe aucune définition légale de ce qu'est un "senior" au travail dans notre société. Selon le contexte, ce terme peut désigner des personnes plus ou moins âgées, et plus ou moins expérimentées.
Dans le milieu professionnel, c'est le niveau d'expérience et d'expertise, davantage que l'âge, qui détermine la séniorité du salarié, par opposition aux nouvelles recrues ou aux jeunes qui entament leur carrière et que l'on nomme "juniors".
Du côté des administrations et de France Travail (anciennement Pôle Emploi), les seniors représentent généralement l'ensemble des salariés en fin de carrière, proches de la retraite.
Certains travailleurs de plus de 50 ans peuvent être qualifiés, à certaines occasions, de "vieux" ou de "travailleurs dépassés". Sachez qu'il s'agit de discriminations que vous êtes tenu en tant qu'employeur,de combattre ! Il est en effet essentiel de lutter contre l'âgisme au sein de votre entreprise, afin de garantir l'égalité des chances et de valoriser l'expérience et l'expertise des travailleurs de tous âges.
Recrutement d'un senior : quels sont les avantages et les défis pour une entreprise ?
Les seniors ont beaucoup à apporter à votre entreprise, à condition de tenir compte des spécificités de leur profil dans vos stratégies d'encadrement.
Plus de complémentarité entre les membres de vos équipes
Le management intergénérationnel peut être une opportunité pour votre entreprise. En votre qualité de DRH ou de manager, vous devez tenir compte des différences de génération dans vos équipes, en créant un environnement de travail inclusif.
Ce type de management peut aider les entrepreneurs à créer des équipes plus diverses, mais surtout plus performantes en raison de la complémentarité de leurs membres.
Vers plus d'expertise technique
L'expertise technique des seniors peut vous permettre de résoudre des problèmes complexes et de relever de nouveaux défis. Ce profil de salarié a souvent une grande capacité technique et une réelle volonté de transmettre son savoir-faire aux plus jeunes.
Malgré ces avantages, ils demeurent des salariés exposés, au même titre que les autres, au risque de burn-out. Il vous incombe de mettre en place des politiques de gestion des ressources humaines qui prendront en compte leurs besoins spécifiques.
Les enjeux de la formation continue et de l'adaptation aux évolutions technologiques pour les seniors
En votre qualité de DRH et/ou de manager, il est primordial de proposer à vos collaborateurs seniors des actions de formation.
La formation professionnelle continue permet en effet un développement des compétences et des connaissances tout au long de la vie professionnelle. Ce dispositif est essentiel pour que votre entreprise soit dotée de salariés compétents et reste efficace.
Ces formations favorisent en outre l'employabilité et l'évolution de carrière dans un marché du travail en constante évolution.
Quels contrats de travail proposer aux seniors ? Existe-t-il des aides à l'embauche ? (CDI inclusion, CDD senior, CDI senior...)
Outre les contrats classiques (CDD, CDI), divers types de contrats spécifiques peuvent être signés avec des salariés seniors, notamment :
- les contrats de professionnalisation pour les salariés de 45 ans et plus, qui donnent droit, toutes conditions remplies, à une aide de l'État ;
- le CDD senior, visant les salariés de plus de 57 ans (3) ;
- le CDI inclusion, qui profite aux publics seniors rencontratndes difficultés sociales et professionnelles particulières. (4).
Pour plus d'informations sur ces contrats, consultez notre dossier dédié !
Emploi des seniors : que contient la réforme des retraites à ce sujet ?
Voici un petit aperçu des dispositions de la réforme des retraites en France qui est entrée en vigueur le 1ᵉʳ septembre 2023 :
- recul de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans ;
- suppression progressive des régimes spéciaux ;
- alignement du régime social des indemnités de mise en retraite et de rupture conventionnelle ;
- etc.
Ces articles peuvent vous intéresser : Coût de la réforme des retraites en entreprise : stratégies, défis et opportunités et Maladies professionnelles des seniors : un coût mutualisé ?
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