Principe (initial) dans un litige civil : les preuves obtenues de manière déloyale doivent être écartées

Qu'est-ce qu'une preuve (dé)loyale ? Enregistrement sonore clandestin, etc. 

Concrètement, une preuve déloyale est une preuve obtenue par le biais d'une tricherie, d'un stratagème ou d'une dissimulation.

En cas de litige entre le salarié et l'employeur, il peut arriver que l'une ou l'autre des parties entende prouver le bien-fondé de sa position en produisant, devant le Conseil de prud'hommes, un élément de preuve déloyale, par exemple, un enregistrement sonore réalisé à l'insu de l'autre partie.

Cela peut par exemple être le cas du salarié qui a enregistré une conversation avec son employeur sans l'en avertir, et qui souhaite utiliser l'enregistrement afin de contester une sanction disciplinaire ou son licenciement pour faute simple, grave ou lourde devant le juge.

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Le principe de loyauté entre les parties dans le cadre de la procédure

Jusqu'à présent, la Cour de cassation avait toujours eu une position stricte à l'égard de ce type de preuve en matière civile, puisqu'elle estimait que lorsqu’une preuve était obtenue de manière déloyale, c’est-à-dire lorsqu’elle était recueillie à l’insu d’une personne, grâce à une manœuvre ou à un stratagème, le juge ne pouvait pas en tenir compte (1).

En d'autres termes, la Cour de cassation a toujours exigé, en matière civile et plus particulièrement en droit du travail, que les preuves produites par les parties soient loyales, autrement dit qu'elles ne soient pas le résultat d'une manœuvre de dissimulation ou de tricherie de la part de l'une ou l'autre.

Une preuve déloyale est-elle recevable en matière pénale ?

En matière pénale, la jurisprudence est différente, puisque la Cour de cassation admet la production d'une preuve recueillie de manière déloyale, dès lors que celle-ci est soumise aux débats entre les parties.

Dans une telle hypothèse, il appartient alors au juge de se prononcer sur la pertinence de la preuve déloyale produite (2).

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Revirement de jurisprudence de la Cour de cassation : sous conditions, une preuve obtenue de manière déloyale peut être recevable devant le juge civil

La teneur de la décision de la fin décembre 2023

Sur impulsion de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), la Cour de cassation vient néanmoins de revoir sa copie.

Dans une nouvelle décision en date du 22 décembre 2023 (3), la Cour de cassation a admis qu'une preuve obtenue de manière déloyale puisse être recevable devant juge civil, notamment le Conseil de prud'hommes (CPH), dès lors que le juge estime que sa production :

  • est indispensable à l'exercice des droits du justiciable ;
  • ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (tels que le droit à la vie privée, à l'égalité des armes, etc.).

Dans cette affaire, un salarié avait saisi le juge pour contester son licenciement pour faute grave. Dans le cadre du procès, l'employeur avait produit un enregistrement sonore clandestin du salarié, dont le contenu avait conduit à la mise à pied de celui-ci.

Estimant cette preuve déloyale, car obtenue par le biais d'un enregistrement clandestin, la Cour d'appel l'avait déclarée irrecevable et jugé le licenciement sans cause réelle est sérieuse.

La Cour de cassation a censuré l'arrêt d'appel, et renvoyé l'affaire devant une nouvelle Cour d'appel afin que celle-ci vérifie conformément à sa nouvelle position :

  • d'une part, si l'enregistrement était indispensable pour prouver la faute grave du salarié ;
  • d'autre part, si l'utilisation de l'enregistrement ne portait pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié en question.

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Première application de la nouvelle jurisprudence par la chambre sociale de la Cour de cassation 

Pour la première fois, la chambre sociale de la Cour de cassation a fait application la nouvelle jurisprudence.

En l'espèce, un salarié avait saisi le CPH en invoquant un harcèlement moral de la part de son employeur.

À l'appui de ses prétentions, il avait produit, devant le juge, une retranscription clandestine de l'entretien qu'il avait eu avec les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la société.

La Cour de cassation, saisie de l'affaire, estime que la Cour d'appel qui s'est prononcée sur la question avait valablement pu écarter cette preuve des débats puisque qu'elle n'était pas indispensable à la défense des droits du salarié, d'autres éléments laissant supposer, en l'espèce, l'existence d'un harcèlement moral (4).

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Dans une autre affaire, cette fois-ci de vidéosurveillance (5), le juge estime que l'utilisation des enregistrements avait été limité dans le temps, dans un contexte de disparition de stocks, après des premières recherches restées infructueuses et avait été réalisé par la seule dirigeante de l'entreprise.

En droit du travail, le juge recherche toujours un équilibre entre le respect des droits du salarié et le droit pour l'employeur d'avoir un bon fonctionnement de son entreprise. En l'espèce, l'employeur veillait à la protection de ses biens.

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Références :
(1) Cass. Ass. plén., 7 janvier 2011, n°09-14316 et 09-14667, Cass. Soc., 18 mars 2008, n°06-40852
(2) Cass. Crim., 11 juin 2002, n°01-85559
(3) Cass. Assemblée Plénière, 22 décembre 2023, n°20-20648
(4) Cass. Soc., 17 janvier 2024, n°22-17474
(5) Cass, Soc., 14 février 2024, n°22-23073