Sur qui pèse l'obligation d'enquête en cas de harcèlement moral ou sexuel au sein de l'entreprise ? L'employeur doit-il associer le CSE à l'enquête pour harcèlement ?

Lorsqu'un employeur a connaissance d'une situation de harcèlement dans son entreprise, qu'il s'agisse de faits de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel, il est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, et faire cesser de tels agissements (1).

À défaut, l'employeur manque à son obligation de sécurité (qui n'est plus, depuis 2015, une obligation de sécurité de résultat, mais de moyens).  

Il doit agir rapidement. Néanmoins, avant de prendre une quelconque décision à l'encontre de l'auteur des faits, il doit au préalable s'atteler à l'engagement d'une procédure d'enquête interne.

Celle-ci doit permettre à l'employeur d'établir les faits allégués en recueillant les témoignages de la victime présumée, mais aussi de toute personne impliquée directement ou indirectement dans l'affaire (témoins, autres salariés, responsables hiérarchiques, médecin du travail...) afin de pouvoir caractériser l'existence ou non de faits de harcèlement moral, de harcèlement sexuel ou des agissements sexistes et ce, pour pouvoir sanctionner son auteur le cas échéant.

L'employeur est en droit de déléguer l'enquête au service de la Direction des ressources humaines (DRH) de l'entreprise.

Par ailleurs, l'employeur n'y est pas contraint mais il peut aussi choisir d'associer le comité social et économique (CSE) à l'enquête (2).

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Quel est le rôle du CSE en présence de faits de harcèlement en entreprise ?

Le CSE peut-il décider de mener lui-même l'enquête et selon quelle procédure ?

Ce n'est pas toujours à l'employeur qu'un collaborateur fait remonter les faits de harcèlement dont il estime être victime. En effet, le salarié peut choisir de se confier, au préalable, à un membre du CSE (ou au référent harcèlement élu du personnel lorsqu'il en existe un).

Une fois instauré un climat de confiance et de sécurité avec la victime, après avoir pris connaissance des faits en prêtant une oreille attentive et humaine, il conviendra d'une part, que le représentant du personnel en informe son instance (CSE ou CSSCT), d'autre part qu'il saisisse immédiatement l'employeur en exerçant son droit d'alerte (3).


Bon à savoir :

La commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) traite des questions de santé, de sécurité et des conditions de travail. Elle est obligatoirement mise en place dans les entreprises et les établissements distincts qui comptent au moins 300 salariés. Mais elle peut aussi être mise en place même si ces seuils ne sont pas atteints.

Le droit d'alerte peut en effet être exercé dès lors qu'un membre élu du CSE ou de la Commission Santé Sécurité et Conditions de Travail (CSSCT) constate une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale, ou aux libertés individuelles dans l'entreprise, non justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché.

L'exercice de ce droit d'alerte déclenche l'obligation pour l'employeur de procéder à une enquête avec le membre de la délégation du personnel du CSE afin de faire la lumière sur les faits incriminés, protéger la victime et faire cesser les agissements relevant du harcèlement moral ou sexuel.

Si l'employeur n'agit pas ou lorsqu'il existe une divergence sur la réalité de l'atteinte portée au salarié et qu'aucune solution n'a pu être trouvée avec l'employeur, le salarié (ou le membre de la délégation du CSE, à condition que le salarié ne s'y oppose pas), pourra saisir le Conseil de prud'hommes (4).

Ce dernier statuera selon la procédure accélérée au fond. Le juge pourra alors ordonner toutes mesures pour faire cesser les faits de harcèlement et assortir sa décision d'une astreinte.

Comment se déroule une enquête pour harcèlement ? Comment se fait une enquête interne ? 

Dès lors que des accusations de harcèlement ont été remontées à l'employeur, celui-ci doit déclencher une enquête interne et ce, sans délai, afin de protéger la victime, peu importe que ces accusations se révèlent par la suite être infondées.

Néanmoins, le Code du travail ne fixe pas les modalités de l'enquête interne et n'impose aucune procédure à respecter. L'employeur doit toutefois s'assurer tout au long du déroulement de l'enquête, des points suivants :

  • que la confidentialité des échanges soit garantie ;
  • que l'audition des personnes concernées se fasse de manière individuelle ;
  • que les conditions dans lesquelles se déroulent les entretiens ne soient pas intimidantes mais permettent au contraire une liberté de parole ;
  • de recueillir des attestations détaillées sur les faits incriminés ;
  • de rester impartial et neutre ;
  • de procéder avec discrétion et délicatesse afin de protéger la dignité et la vie privée de l'ensemble des personnes impliquées ;
  • de rédiger un compte-rendu détaillé et uniquement factuel de chaque entretien, noter la date, l'heure de début et de fin de chaque entretien.


Bon à savoir :

L'enquête peut se faire à l'insu du salarié mis en cause, en ne l'auditionnant qu'au dernier moment, lorsque suffisamment d'éléments de preuve ont pu être réunis. Cela ne constitue pas un mode de preuve déloyal (5).

L'inspection du travail ou le médecin du travail ont-ils un rôle à jouer ?

L'employeur ne doit pas hésiter, au cours de la procédure, à s'entourer de divers interlocuteurs.

L'inspection du travail peut aider l'entreprise à trouver des solutions afin d'éviter que des faits de harcèlement au travail ne se produisent de nouveau, dans le cadre de son obligation de prévention des risques professionnels. Les services de santé au travail pourront donner des préconisations afin d'accompagner l'entreprise sur la mise en place d'actions permettant de protéger la santé physique et mentale du salarié harcelé.

Il en est de même du médecin du travail, dont l'une des missions est de conseiller les employeurs afin de prévenir les risques de harcèlement moral et sexuel sur le lieu de travail. 

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Quelles sont les obligations de l'employeur en attendant les conclusions de l'enquête en matière de harcèlement ?

Comment réagir suite à une enquête pour harcèlement ? Quelles mesures prendre à l'encontre du salarié accusé de harcèlement ?

En attendant les conclusions de l'enquête interne pour harcèlement, l'employeur doit protéger le salarié qui s'estime victime de harcèlement de nouveaux agissements de la part du salarié accusé de tels faits. 

A ce titre, il peut prononcer une mise à pied conservatoire à l'encontre du salarié mis en cause. C'est une mesure préventive qui permet d'éloigner celui-ci en attendant qu'une sanction disciplinaire soit prise à son encontre.

Si les faits de harcèlement sont avérés, l'employeur pourra alors prononcer une sanction disciplinaire à l'encontre du harceleur, généralement un licenciement.

Si ce n'est pas le cas, la mise à pied conservatoire peut ne déboucher sur aucune sanction. Le salarié devra alors être rémunéré pour la durée de la mise à pied conservatoire.


Bon à savoir :

L'employeur doit garder en tête le délai de prescription qui s'applique pour sanctionner un salarié fautif. Habituellement, il ne peut sanctionner des faits de harcèlement commis par un salarié au-delà d'un délai de 2 mois à compter du jour où il en a eu connaissance. Cependant, lorsqu'une enquête interne est diligentée, le point de départ du délai de prescription est reporté. En effet, il commence à courir à compter des résultats de l'enquête (remise du rapport d'enquête) (6). 

Harcèlement au travail : quelle protection pour le salarié victime ?

La loi protège le salarié victime des faits de harcèlement de toute sanction, et notamment de toute rupture de son contrat de travail. 

Elle prévoit en effet que toute personne licenciée pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements, peut obtenir la nullité de son licenciement (7).

Jusqu’à présent, le juge social exigeait que le salarié qui souhaitait se prévaloir de la nullité de son licenciement pour ce motif ait, au préalable, dénoncé les faits en question en les qualifiant expressément de "harcèlement moral". En d'autres termes, il était nécessaire, pour le salarié qui demandait la nullité de son licenciement, d'avoir utilisé le terme de "harcèlement" au moment où il avait dénoncé les faits (8).

Le juge a récemment assoupli sa position. Il a en effet précisé que le salarié qui dénonçait des faits de harcèlement moral ne pouvait être licencié pour ce motif et ce, même s'il n'avait pas qualifié lesdits faits de "harcèlement moral" lors de leur dénonciation. La seule exception à cette règle est la mauvaise foi du salarié, c'est-à-dire l’hypothèse dans laquelle il a connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce (9).

Attention, le juge précise toutefois que cette immunité ne vaut que dans l'hypothèse où l'employeur ne pouvait légitimement ignorer que le salarié dénonçait bien des agissements de harcèlement à la lecture de l'écrit que celui-ci lui avait adressé, et qui avait motivé son licenciement. 

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Références :
(1) Articles L4121-1L1152-4 et L1153-5 du Code du travail
(2) Cass. Soc, 1er juin 2022, n°20-22058
(3) Articles L2312-5 et L2312-59 du Code du travail
(4) 
Article L2312-59 du Code du travail
(5) Cass. Soc., 17 mars 2021, n°18-25597
(6) Article L1332-4 du Code du travail
(7) Articles L1152-2 et L1152-3 du Code du travail
(8) Cass. Soc. 13 septembre 2017, n°15-23045
(9) Cass. Soc. 19 avril 2023, n°21-21053