Comment la directive européenne du 10 mai 2023 souhaite lutter contre les inégalités salariales ?
Qu'est-ce que l'égalité de rémunération (ou égalité de salaires) ?
Annoncées depuis 2020 (1), les nouvelles mesures de la directive du 10 mai 2023 (2) relatives à la transparence des rémunérations et à l'égalité entre les femmes et les hommes sont désormais connues et devront s'appliquer en France, au plus tard, le 7 juin 2026.
Pour rappel, en droit français, il est prévu que tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de salaire entre les femmes et les hommes (3). Cette rémunération comprend (4) :
- le salaire de base ;
- tous les autres avantages en nature et accessoires, payés directement ou indirectement, par l'employeur au salarié en raison de l'emploi de ce dernier.
À ce titre, la France a par exemple créé l'obligation, pour les entreprises d'au moins 50 salariés, d'établir l'Index de l'égalité femmes-hommes, donnant lieu à des mesures correctives, voire des pénalités financières. Cet outil a pour but d'enrayer les inégalités professionnelles (5).
De son côté, le droit communautaire prévoit depuis 1958 que chaque État membre doit assurer l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur (6).
Malgré tout, l'Union européenne constate que l'application d'un tel principe est difficile en raison du manque de transparence des rémunérations dans les États membres. Elle indique que cela empêche notamment les victimes d'introduire des recours et, ainsi, de mettre en lumière les situations de discriminations diverses.
L'objectif est donc de pallier cette opacité afin de faire progresser la réduction de ces inégalités.
Comment l'Union européenne explique les inégalités salariales persistantes entre les femmes et les hommes ?
Selon les chiffres d'Eurostat, l'organisme de statistiques européennes, au sein de l'UE, la rémunération horaire des femmes est en moyenne inférieure de 13 % à celles des hommes en 2020. La diminution ces dernières années est faible, puisque cet écart était de 16, 6 % en 2011.
En 2020, la France était le 8ᵉ pays de l'Union (parmi les pays sondés) où ont lieu les plus grands écarts de rémunérations avec 15,8 % d'écart en moyenne entre les rémunérations des hommes et des femmes. Elle se classe ainsi derrière le Luxembourg, la Roumanie, l'Italie ou encore la Belgique, meilleurs élèves (7).
L'écart de rémunération entre les femmes et les hommes est dû à divers facteurs, tels que les stéréotypes sexistes, la perpétuation du "plafond de verre" et du "plancher collant", la ségrégation horizontale, y compris la surreprésentation des femmes dans les emplois de services faiblement rémunérés, et le partage inégal des responsabilités familiales".
Paragraphe 15 de la directive du 10 mai 2023
L'objectif de renforcer la transparence des rémunérations permettrait ainsi de révéler ces différences de rémunération injustifiées. Ainsi, un candidat à l'emploi ou un salarié (femme ou homme) pourrait se comparer avec ses collègues afin de savoir s'il est traité de manière équitable ou non. Plus ces données sont opaques, et moins les personnes concernées peuvent se rendre compte de leur situation et agir pour y mettre fin.
L'Union européenne dégage donc 4 grands objectifs (8) :
- créer une société mieux informée ;
- faire prendre conscience des discriminations salariales fondées sur le genre ;
- donner aux salariés les moyens de faire respecter leur droit à l'égalité des rémunérations ;
- éliminer des partis pris sexistes en matière de rémunération.
Pour ce faire, la directive du 10 mai 2023 s'articule autour de 3 thèmes principaux :
- la transparence des rémunérations (notamment lors de l'embauche) ;
- la transparence des rémunérations pour l'égalité femme/homme ;
- l'indemnisation des victimes de discrimination en matière de rémunération.
1. Transparence des rémunérations avant l'embauche : des mesures pour le candidat à l'emploi
La directive soulève en premier lieu ce manque de transparence des rémunérations dès les processus d'embauche. Selon elle, le candidat à un emploi a le droit de recevoir, de son employeur potentiel, des informations sur (9) :
- la rémunération initiale ou la fourchette de rémunération initiale, sur la base de critères objectifs non sexistes, correspondant au poste concerné ;
- le cas échéant, les dispositions pertinentes de la convention collective appliquées par l'employeur en rapport avec le poste.
Ces informations devraient permettre, selon la directive, de garantir une négociation éclairée et transparente entre le candidat et le potentiel employeur. Cette information peut par exemple être communiquée sur l'offre d'emploi par exemple, ou sur un avis de vacances d'emploi.
Elle précise de plus que l'employeur ne doit pas demander aux candidats leur historique de rémunération au cours de leurs relations de travail actuelles ou antérieures.
Enfin, les offres d'emploi et les dénominations de postes ne doivent pas avoir un caractère sexiste, et le processus de recrutement doit être mené de façon non discriminatoire.
2. Transparence de la fixation des rémunérations et de la politique de progression de la rémunération
Les employeurs doivent mettre à la disposition des salariés, de manière facilement accessible, les critères qui sont utilisés pour déterminer la rémunération, les niveaux de rémunération et la progression de la rémunération au sein de l'entreprise. Ces critères doivent être objectifs et non sexistes (11).
Les entreprises de moins de 50 salariés peuvent être exemptées de l'obligation relative à la progression de la rémunération.
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3. Droit à l'information des salariés
Les salariés doivent pouvoir demander par écrit des informations sur leur niveau de rémunération individuel et sur les niveaux de rémunérations moyens, triées par sexe, pour les catégories de travailleurs accomplissant le même travail qu'eux ou un travail de même valeur (12).
L'employeur dispose de 2 mois, à compter de la demande, pour fournir ces informations.
Cette demande peut être faite auprès des représentants du personnel ou d'un organisme pour l'égalité de traitement.
Si les informations sont inexactes ou incomplètes, les salariés peuvent demander des précisions ainsi que des détails supplémentaires raisonnables concernant les données fournies. Cette demande peut être réalisée par leurs représentants.
Une fois par an, l'employeur doit informer les salariés de leur droit à recevoir ces informations et de comment exercer ce droit.
Le salarié a le droit de divulguer sa rémunération. Toute clause contractuelle contraire est nulle.
Bon à savoir : les informations partagées par l'employeur doivent être accessibles à toute personne en situation de handicap, en tenant compte de leurs besoins particuliers (13).
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4. Communication des données relatives à l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes
Les entreprises de 250 salariés au moins doivent communiquer, à partir du 7 juin 2027 (14) :
- l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes ;
- l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes au niveau des composantes variables ou complémentaires ;
- l'écart de rémunération médian entre les femmes et les hommes ;
- l'écart de rémunération médian entre les femmes et les hommes au niveau des composantes variables ou complémentaires ;
- la proportion des travailleurs féminins et de travailleurs masculins bénéficiant de composantes variables ou complémentaires ;
- la proportion de travailleurs féminins et de travailleurs masculins dans chaque quartile (=chacun des 4 groupes égaux dans lesquels les travailleurs sont réparties en fonction de leur niveau de rémunération, du plus bas au plus élevé) ;
- l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes par catégories de travailleurs ventilé par salaire ou traitement ordinaire de base et par composantes variables ou complémentaires.
Les entreprises de moins de 100 salariés pourront faire l'objet de mesures visant, à titre volontaire, à fournir ces informations. Les États pourront également obliger ces entreprises à fournir les informations sur les rémunérations.
Le calendrier à respecter pour communiquer ces informations varient selon l'effectif de l'entreprise :
- pour les employeurs dont les effectifs comptent 250 salariés : au plus tard le 7 juin 2027 et chaque année par la suite ;
- les employeurs dont les effectifs comptent entre 100 et 149 salariés : au plus tard le 7 juin 2031 puis tous les 3 ans ;
- les employeurs dont les effectifs comptent entre 150 et 249 salariés : au plus tard le 7 juin 2027 puis tous les 3 ans.
L'entreprise devra communiquer ces informations à une autorité chargée de les compiler et de les publier. Les États doivent désigner l'autorité qui tiendra ce rôle.
L'entreprise peut les publier sur son site internet ou les mettre à la disposition du public d'une autre manière.
Les salariés, leurs représentants, l'inspection du travail et les organismes pour l'égalité de traitement auront le droit de demander aux employeurs des éclaircissements et des précisions supplémentaires sur toutes les données communiquées, y compris des explications concernant toute différence de rémunération constatée entre les femmes et les hommes.
5. Évaluation conjointe des rémunérations
La directive impose aux États membres de prendre des mesures appropriées afin que les employeurs soumis à l'obligation de communication précitée procèdent, en coopération avec les représentants du personnel, à une évaluation conjointe des rémunérations lorsque les conditions suivantes sont réunies (16) :
- les données communiquées révèlent une différence de niveau de rémunération moyen d'au moins 5 % entre les femmes et les hommes, quelle que soit la catégorie des travailleurs ;
- l'employeur n'a pas justifié cette différence de niveau de rémunération moyen par des critères objectifs et non sexistes ;
- l'employeur n'a pas remédié à cette différence injustifiée de niveau de rémunération moyen dans un délai de 6 mois à compter de la date de communication des données sur les rémunérations.
Cette évaluation conjointe doit ainsi permettre de recenser, corriger et prévenir les différences de rémunérations entre les hommes et les femmes qui ne sont pas justifiées sur des critères objectifs non sexistes. Elle comprend les éléments suivants :
- une analyse de la proportion de femmes et d'hommes au sein de chaque catégorie de travailleurs ;
- des informations sur les niveaux de rémunération moyens des hommes et des femmes et sur les composantes variables ou complémentaires pour chaque catégorie de travailleurs ;
- toutes les différences de niveaux de rémunération moyens entre les hommes et les femmes pour chaque catégorie de travailleurs ;
- les raisons de ces différences de niveaux de rémunérations moyens fondées sur des critères objectifs non sexistes, pour autant qu'il en existe, telles qu'elles ont été déterminées conjointement par les représentants des travailleurs et l'employeur ;
- la proportion de femmes et d'hommes qui ont bénéficié d'une augmentation de leur rémunération à la suite de leur retour d'un congé maternité ou d'un congé paternité, d'un congé parent, ou d'un congé d'aidant, si une telle augmentation est intervenue dans la catégorie de travailleurs concernée au cours de la période pendant laquelle le congé a été pris ;
- les mesures visant à remédier aux différences de rémunération si celles-ci ne sont pas justifiées par des critères objectifs non sexistes ;
- et enfin, une évaluation de l'efficacité des mesures résultant de précédentes évaluations conjointes des rémunérations.
Cette évaluation conjointe est mise à la disposition des salariés et de leurs représentants, et est communiquée à l'organisme désigné par l'État pour suivre et soutenir la mise en oeuvre des mesures de la directive. Enfin, l'inspection du travail et l'organisme pour l'égalité de traitement peuvent demander que soit mise à leur disposition ladite évaluation.
Cette évaluation doit conduire l'employeur à remédier aux différences de rémunération injustifiées dans un délai raisonnable. Il peut être aidé par les représentants du personnel, l'inspection du travail ou encore l'organisme pour l'égalité de traitement.
6. Un soutien aux employeurs dans les entreprises de moins de 250 salariés
L'État doit apporter un soutien (assistance technique, formation) aux entreprises de moins de 150 salariés et à leurs représentants du personnel (17).
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7. Les voies de recours prévues pour les victimes potentielles
Les États membres de l'UE doivent s'assurer que les salariés, ou toute entité juridique ayant un intérêt légitime à garantir l'égalité entre les femmes et les hommes, puissent engager une procédure afin de faire appliquer les droits et obligations relatifs à l'égalité des rémunérations (18).
Tout salarié victime d'un dommage du fait d'une violation de ces droits et obligations en matière d'égalité de rémunération doit pouvoir demander et obtenir réparation ou indemnisation intégrale de ce dommage. Celles-ci doivent permettre de placer le salarié victime dans la situation dans laquelle il se serait trouvé s'il n'avait pas été discriminé (recouvrement intégral des arriérés de salaire, primes, paiements en nature, indemnisation pour les opportunités manquées, préjudice moral, autres préjudices, intérêt de retard).
Aucune fixation de plafond ne peut limiter cette indemnisation.
Les autorités doivent pouvoir, dans les cas de discriminations avérés :
- prononcer des injonctions de mettre fin à la violation ;
- de prendre des mesures pour garantir l'application des droits ou obligations relatifs au principe de l'égalité de traitement.
La plupart de ces mesures font déjà part intégrante du système juridique français.
Bon à savoir : en la matière, la directive précise que la charge de la preuve repose sur le défendeur (la personne contre laquelle est intentée l'action en justice, en l'occurrence, l'employeur).
Références :
(1) Communication de la Commission européenne, 5 mars 2020, "Une Union de l'égalité : stratégie en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes 2020-2025"
(2) Directive 2023/970 du 10 mai 2023, visant à renforcer l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations et les mécanismes d'application du droit
(3) Article L3221-2 du Code du travail
(4) Article L3221-3 du Code du travail
(5) Article L1142-8 du Code du travail
(6) Article 157 du TFUE ; Directive 2006/54/CE sur l'égalité des rémunérations
(7) Données d'Eurostat de 2011 à 2020, "L'écart de rémunération entre les femmes et les hommes se réduit-il ?"
(8) Infographie "Quels seraient les avantages d'une plus grande transparence des rémunérations", Union européenne 2023)
(9) Article 5 de la directive du 10 mai 2023
(10) Article 3 de la directive précitée
(11) Article 6 de la directive précitée
(12) Article 7 de la directive précitée
(13) Article 8 de la directive précitée
(14) Article 9 de la directive précitée
(15) Articles L1142-8 et D1142-2 et suivants du Code du travail
(16) Article 10 de la directive précitée
(17) Article 11 de la directive précitée
(18) Articles 14 et 15 de la directive précitée
licenciement pour faute grave. Juriste Très bon PROF ! bien détaillé ses réponses à mes interrogations. Rassurée pour acter notification de licenciement absences 21/10/24 sans justificatifs sans cesse demandés, non présenté entretien...