Quand le travail tue : 2 morts par jour (ou 661 par an) en France, selon les statistiques

Le premier Plan pour la prévention des accidents graves et mortels (PATGM) a fixé une feuille de route jusqu'à 2025 : il s'adresse notamment aux très petites et moyennes entrerises (TPE-PME). À l'aube de l'avant dernière année du Plan 2022-2025, co-construit entre l’État, les partenaires sociaux, la Sécurité sociale et les organismes de prévention, quel est le bilan ? 

2 travailleurs par jourse tuent au travail

En France, il semble que 2 travailleurs par jour risquent leur vie en se rendant au travail. Depuis une dizaine d'années, les accidents du travail graves et mortels y ont atteint un palier inébranlé (1).

Ces chiffres sont sans compter les accidents de travail laissant de graves lésions corporelles ou les accidents de trajet domicile-travail.

Dans un communiqué de presse du 26 novembre 2023, l'OIT (Organisation Internationale du Travail) estimait que 395 millions de travailleurs dans le monde avaient subi des accidents du travail - non mortels.  Selon elle, à échelle mondiale, près de 3 millions de personnes meurent d'accidents et de maladies liés au travail (2).

Rappel : est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail.

Chiffres de l'OIT : des métiers dans lesquels le taux d'accidents graves y est plus important

Tous pays confondus, les secteurs les plus exposés aux risques, puisque recensant 200 000 accidents mortels par an, soit 63 %, sont : 

  • l'agriculture ;
  • la construction : le secteur du BTP (bâtiments et travaux publics) ;
  • la sylviculture ;
  • la pêche ;
  • et l'industrie manufacturière. 

 À lire : Blocages/manifestations des agriculteurs : quelles mesures de soutien ont été annoncées par le Gouvernement ?

illustration

Maladie professionnelle et accident du travail : tout savoir

Inclus dans ce dossier : 26 questions/réponses, 3 modèles de lettres, 4 fiches express, 4 formulaires cerfa.

Quelle est la première cause de décès au travail (chute sur un chantier, accident de la route...) ?

Le ministère du Travail a identifié des risques comme étant à l’origine de la plupart des accidents du travail (3) :

  • le risque routier - le plus important ;
  • la chute de hauteur
  • la manutention manuelle, aux machines, à l’électricité, à la chaleur.

À noter : selon l'OIT et l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), le travail au soleil est à l'origine d'1 décès sur 3 par cancer de la peau sans mélanome.

 À lire : Droit de retrait chaleur et canicule : tout ce qu'il faut savoir

L’âge, la nature du contrat de travail : des facteurs d’exposition aux risques et de sinistralité

Certains travailleurs sont plus exposés aux risques :

  • les jeunes et les nouveaux embauchés
    Le manque d’expérience professionnelle et la méconnaissance de l’environnement de travail conduisent à un taux d’accident du travail plus élevé chez les jeunes travailleurs que dans les autres catégories d’âge. 
    La sinistralité est particulièrement importante dans le secteur agricole ;
  • les travailleurs intérimaires. Les intérimaires peuvent, selon les missions, passer d’un métier à l’autre, d’une entreprise à une autre et sont, de fait, moins sensibilisés et moins bien formés. En pratique, ils contestent moins leurs conditions de travail que les salariés en CDI (contrat à durée indéterminée), par crainte de ne pas être rappelés pour une prochaine mission ;
  • les travailleurs indépendants
  • les salariés détachés.

 Un ouvrage publié en mars 2023 (4) présente la mort au travail comme un fait social en augmentation qui concerne des travailleurs souvent jeunes et au statut précaire (intérimaires). L'enquête porte la voix de familles de personnes qui ont perdu la vie dans le cadre de leur emploi. Elle relate notamment des faits, évoqués par le journal Le Monde (5), parmi lesquels, "Un chauffeur routier a été retrouvé mort dans son camion", "Un homme meurt écrasé par une branche d’arbre".

Le journal nous rappelle qu'en octobre 2023, un jeune travailleur de 25 ans est décédé lors de son premier jour au Decathlon de la Madeleine, à Paris, lors du déchargement d’un camion approvisionnant le magasin. Il nous évoque aussi l'histoire d'un jeune stagiaire de l’École spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l’industrie (ESTP) en stage d'observation pour deux mois qui a été envoyé seul sur le toit du chantier du centre de commandement unifié des lignes SNCF de l’Est parisien, à Pantin (Seine-Saint-Denis), d'où il a chuté (6).

illustration

Découvrez nos accompagnements pour les professionnels :

- accès à la base documentaire en illimité ;
- accès aux conventions collectives à jour des derniers accords ;
- mise en relation avec nos juristes du lundi au vendredi de 9h à 18h.

Mort au travail & maladie professionnelle

La mort au travail n'est pas toujours le fait d'un accident : elle peut être le résultat de la pénibilité et d'une exposition prolongée à des risques professionnels.

Des présomptions de lien de causalité

Des tableaux énumèrent les manifestations morbides d'intoxications aiguës ou chroniques présentées par les travailleurs exposés d'une façon habituelle à l'action des agents nocifs qui donnent, à titre indicatif, la liste des principaux travaux comportant la manipulation ou l'emploi de ces agents. Ces manifestations morbides sont présumées d'origine professionnelle (7).

Des tableaux spéciaux énumèrent les infections microbiennes qui sont présumées avoir une origine professionnelle lorsque les victimes ont été occupées d'une façon habituelle aux travaux limitativement énumérés par ces tableaux.

D'autres tableaux peuvent déterminer des affections présumées résulter d'une ambiance ou d'attitudes particulières nécessitées par l'exécution des travaux limitativement énumérés.

 À lire : Taux de cotisation accident du travail / maladie professionnelle 2024

Les risques psychosociaux

Les risques psychosociaux peuvent aussi être à l'origine de décès de salariés : si le lien direct entre un suicide et le travail n'apparaît - injustement - pas dans les statistiques, la souffrance au travail fait pourtant encore perdre la vie à trop de travailleurs.

Selon le baromètre du cabinet de conseil Empreinte Humaine sur l’état psychologique des salariés réalisé par Opinion Way et publié le 23 novembre 2023, près d’un salarié sur deux (48%) déclarait être en détresse psychologique.

Pour lutter contre la tendance, l'employeur peut prendre des mesures en vue de l'amélioration des conditions de travail des salariés : souplesse dans l'organisation du travail, télétravail, etc.

illustration

Prévention des risques psychosociaux dans l'entreprise : le rôle de l'employeur

Inclus dans ce dossier : 37 questions/réponses + 2 fiches explicatives.

La négociation d'un accord 

Les employeurs d'au moins 50 salariés ainsi que les entreprises appartenant à un groupe dont l'effectif comprend au moins 50 salariés, doivent engager une négociation d'un accord en faveur de la prévention des effets de l'exposition aux facteurs de risques professionnels (8).

À savoir : de nouvelles mesures entrent régulièrement en vigueur pour protéger les salariés exposés à la pénébilité au travail et aux risques professionnels. Depuis le 1er janvier 2024, un décret prévoit la mise en place d'un suivi renforcé du travailleur qui serait exposé aux rayonnements ionisants (9).

Les responsabilités de l'employeur 

Collaborer avec les acteurs de prévention

L'application des normes visant à protéger les salariés s'appuie sur différents acteurs de prévention :

 Exemples : 

La collaboration de ces acteurs est censée éviter que les circonstances des accidents du travail ne les rendent fatals : absence d’évaluation des risques, défaut de mesures de prévention, etc. 

À noter : tous les accidents de travail ne sont pas dus à un manquement de l'employeur : le salarié est aussi tenu de respecter les consignes de sécurité.

 À lire : Employeur, comment faire pour contester un accident du travail ?

illustration

Une question juridique ?

Nos juristes répondent gratuitement à votre première question en 24h. 

Recenser les risques

L'employeur est tenu de transcrire et mettre à jour dans un document unique (DUERP) les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il doit procéder.
Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l'entreprise ou de l'établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques (10).

À la suite de cette évaluation, l'employeur est censé mettre en œuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il doit intégrer ces actions et ces méthodes dans l'ensemble des activités de l'établissement et à tous les niveaux de l'encadrement.

Prévenir les risques

L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs :

  • des actions de prévention des risques professionnels ;
  • des actions d'information et de formation (l'accès au portail employeur du passeport de prévention est prévu pour 2024) ;
  • la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur doit mettre en œuvre un ensemble de mesures, fondées sur les principes généraux de prévention. Il semble que de nombreux accidents mortels auraient pu être évités ou que des vies pourraient être sauvées si les salariés étaient davantage formés aux premiers gestes de secours.

 À lire : Arrêt cardiaque en entreprise : comment être préparé à sa prise en charge ?

 Exemples :

  • éviter les risques ;
  • évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
  • combattre les risques à la source ;
  • adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
  • tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
  • remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
  • donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Le respect du temps de travail et de repos des salariés constitue aussi une mesure de prévention.

Respecter ses obligations en termes d'affichages obligatoires

Le Code du travail prévoit que l'employeur porte à la connaissance des salariés certaines informations par la voie d'affichages obligatoires.

 Exemples : l'employeur est tenu d'afficher, dans des locaux normalement accessibles aux travailleurs :

  • l'adresse et le numéro d'appel des services de secours d'urgence (11) ; 
  • le règlement intérieur (obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés) : il précise les mesures d'application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement, et notamment les instructions qui sont données par l'employeur. Ces instructions prévoient qu'il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail (12) ;
  • la liste nominative des membres de chaque CSE (13).

Mettre en place les moyens de prévention et lutte contre l'incendie

Certains établissements doivent être équipés d'un système d'alarme sonore (14) :

  • ceux dans lesquels peuvent se trouver occupées ou réunies habituellement plus de 50 personnes ;
  • et ceux, quelle que soit leur importance, dans lesquels sont manipulées et mises en œuvre des matières inflammables.

Le signal sonore d'alarme générale doit y être tel qu'il ne permet pas la confusion avec d'autres signalisations utilisées dans l'établissement. Il doit être audible de tout point du bâtiment pendant le temps nécessaire à l'évacuation, avec une autonomie minimale de 5 minutes.

Dans certains établissements, une consigne de sécurité incendie est établie et affichée de manière très apparente. Dans les autres établissements, des instructions doivent êtret établies, permettant d'assurer l'évacuation des personnes présentes dans les locaux.

Obligations de l'employeur en cas de décès d'un salarié

12 heurespour en informer l'inspection du travail

 Depuis le 12 juin 2023, l'employeur est tenu de procéder à de nouvelles formalités déclaratives en cas d'accident de travail causant la mort d'un salarié : il doit notamment informer l'inspection du travail dans un délai de 12 heures suivant le décès. À défaut, il risque une sanction pénale.

L'employeur doit aussi informer le CSE, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) dans les 48 heures, établir les documents de fin de contrat, de mettre à jour le registre unique du personnel de l'entreprise, et d'informer les différents organismes sociaux, du décès du salarié. Il doit verser aux héritiers ou aux ayants droit, les sommes acquises à la date du décès (et vérifier si la convention collective applicable prévoit des dispositions particulières).

(1) Communiqué de presse - OIT, Sécurité et santé au travail -  26 novembre 2023
(2) STOP AUX ACCIDENTS DU TRAVAIL GRAVES ET MORTELS  - Présentation du Plan pour la prévention des accidents graves et mortels (PATGM) 
(3) Les principaux risques d’accidents du travail et les moyens de prévention - mise à jour 25.10.23
(4) L'Hécatombe invisible, Enquête sur les morts au travail - Matthieu Lépine
(5) Les morts au travail, une hécatombe silencieuse en France - Par Jules Thomas, 7 février 2024
(6) Accidents du travail : les jeunes paient un lourd tribut - Par Jules Thomas, 9 février 2024
(7) Article L461-2 du Code de la sécurité sociale
(8) Article L4162-1 du Code travail
(9) Décret n°2023-489 du 21 juin 2023 relatif à la protection des travailleurs contre les risques dus aux rayonnements ionisants
(10) Article R4121-1 du Code du travail
(11) Article D4711-1 du Code du travail
(12) Article L1321-1 du Code du travail
(13) Article R2314-22 du Code du travail
(14) Article R4227-34 du Code du travail
(15) Article R4121-5 du Code du travail