Est-ce qu'un employeur peut porter plainte contre un salarié lorsque la faute professionnelle fait l'objet de poursuites pénales ?

Plainte possible...

Oui, une faute commise dans l'exercice des fonctions du salarié peut également revêtir le caractère d'infraction pénale. Dans le cadre de la relation de travail, il peut s'agir :

  • d'infractions contre les personnes. Exemples : harcèlement moral ou sexuel, les discriminations.
  • d'infractions contre les biens. Exemples : vol, divulgation des secrets de fabrication, abus de confiance, escroquerie, recel.

  À lire : Prévention du harcèlement sexuel et affichages obligatoires : focus sur les obligations de l'employeur

... si l'employeur peut prouver l'infraction (harcèlement moral, vol...)

L'employeur peut envisager un dépôt de plainte contre un salarié, sous conditions d'avoir ouvert une enquête interne afin de vérifier que de fausses informations ne lui ont pas été apportées et rassembler des éléments de preuve suffisants pour caractériser l'infraction.

En ce sens, il doit prouver : 

  • l'élément légal : la faute est bien réprimée par un texte pénal ;
  • l'élément moral : l'intention de l'auteur de commettre l'infraction ;
  • et l'élément matériel : les agissements fautifs/comportement fautif du salarié constituant l'infraction.

À noter : avant de porter plainte, l'employeur doit recueillir les explications du salarié et mesurer l'importance de la faute commise au regard des intérêts de la société.

 Exemples : 

Le vol ponctuel de quelques paquets de pâtes par un employé de supermarché n'a pas autant d'impact pour l'entreprise que le vol régulier de médicaments par un employé de pharmacie, dans le but de les revendre au marché noir.

À savoir : en matière pénale, l’ordre reçu par un supérieur hiérarchique ne constitue pas, pour le salarié auteur d’une infraction, une cause d’irresponsabilité.

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Dossier complet sur la procédure disciplinaire

Une seule irrégularité dans le déroulé de la procédure peut remettre en cause l'intégralité de sa licéité et entraîner sa nullité. Assurez-vous de respecter les dispositions en vigueur (motifs, délais...) : notre dossier fait le point.

Nouveautés dans l'application du régime de la preuve dans le secteur privé

Principe de loyauté de la preuve...

Par principe, les parties sont soumises à une obligation de loyauté et ne peuvent donc apporter aux débats, devant le juge, que des preuves obtenues loyalement.

 Exemple : la preuve obtenue par vidéosurveillance des salariés ne peut être opposable au salarié que s'il a été préalablement informé de son installation. En outre, dans les entreprises d'au moins 50 salariés, le comité économique et social (CSE) doit aussi être informé et consulté, avant la décision de mise en œuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés (1). 

 À lire sur ce thème : RGPD : Vidéosurveillance au travail et respect de votre vie privée

... tempéré par la Cour de cassation

L'Assemblée plénière de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence, en ce qu'elle est venue apporter un tempérament notable au principe de la loyauté de la preuve.

Alors que les employeurs se sont longtemps vus refuser les éléments probatoires obtenus "déloyalement", elle a finalement admis récemment qu'en cas de litige, une partie puisse utiliser, sous conditions, un élément de preuve déloyal pour faire valoir ses droits (2). Ces décisions de principe ont été confirmées par la Chambre sociale (3).

Ces moyens probatoires ne sauront cependant être admis :

  • qu'à la condition d’être indispensables à l’exercice du droit à la preuve ;
  • et que l’atteinte aux droits de l’autre partie, soit strictement proportionnée au but poursuivi. 

La Cour considère qu'il appartiendra désormais au juge de mesurer les intérêts en présence. 

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Classement sans suite ou non-lieu : pas d'impact sur le pouvoir disciplinaire

Qu'en est-il lorsque la plainte déposée contre le salarié aboutit à un classement sans suite ? L'employeur peut-il sanctionner le salarié malgré tout ?

Lexique :

Classement sans suite : le procureur de la République décide qu'il n'y aura ni poursuites ni alternatives aux poursuites.

Non-lieu : ordonnance rendue par le Juge d'instruction à la suite d'une enquête judiciaire, déclarant qu'il n'y aura pas de poursuites. 

Pas d'autorité de la chose jugée : pas d'impact de la décision du juge sur celle de l'employeur

La décision judiciaire peut avoir un impact en droit du travail

Le pénal tient le civil en l'état : si le juge pénal condamne le salarié (de manière définitive), le juge prud'homal sera tenu de considérer les faits comme établis (il conserve toutefois son pouvoir d'appréciation : il peut requalifier la nature de la faute retenue à l'encontre du salarié).

 Exemple : au regard du "dossier disciplinaire" du salarié, le conseil de prud'hommes peut rétrograder une faute lourde en faute grave ou faute simple.

 À lire : Faute simple, faute grave et faute lourde : comment les différencier ? A contrario, si le juge pénal relaxe le salarié (lorsque des poursuites ont été engagées), les faits ne seront pas pour autant non-établis en droit du travail, dès lors que le salarié a violé une règle de discipline.  Exemple : le Ministère public peut décider que les faits commis ne relèvent finalement pas du pénal, mais ils peuvent constituer une faute disciplinaire. 

Le classement sans suite et le non-lieu n'ont pas d'impact en droit du travail : l'exemple de l'affaire Meurice sur France Inter

Les classements sans suite et les ordonnances de non-lieu sont dépourvus de l'autorité de la chose jugée : aucune poursuite n'ayant été engagée, ils ne sont pas des décisions de justice.

Ainsi, ces avis n'ont pas d'incidence sur une éventuelle procédure disciplinaire amorcée par l'employeur.

 Exemple : dans l'actualité, l'humoriste de Radio France, Guillaume Meurice, a été licencié « pour faute grave » par Radio France - pour avoir tenu des propos polémiques à l'antenne - alors-même que la plainte dont il a fait l'objet a été classée sans suite. La radio publique lui a notifié par courrier la « rupture anticipée de [son] contrat pour faute grave », a-t-il précisé. Guillaume Meurice avait été suspendu de l'antenne le 2 mai. Le 16 mai, il a eu un entretien préalable à un éventuel licenciement avec les ressources humaines de Radio France, suivi d'un passage en commission de discipline le 30 mai, avant que la décision ne soit annoncée mardi 11 juin. Pas de poursuites pénales, mais son contrat de travail a bien été rompu de manière anticipée.

 À lire : Liberté d'expression au travail : quels droits et limites ?

L'employeur peut - continuer - d'exercer son pouvoir disciplinaire dans les délais légaux

Dans les hypothèses dans lesquelles ont été rendus des avis de classement sans suite ou des ordonnances de non-lieu, l'employeur est libre d'exercer son pouvoir disciplinaire : il n'est pas lié par la décision du procureur ou de la chambre de l'instruction (ou du juge d'instruction), puisqu'il ne s'agit pas d'une décision émanant d'une juridiction - pénale. 

2 mois

Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de 2 mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.

À savoir : si l'engagement de poursuites pénales pour le même fait suspend ce délai de 2 mois, tel n'est pas le cas lorsque la plainte a été classée sans suite, aucune poursuite n'ayant été engagée et la mise en mouvement de l'action publique non enclenchée (4).

Sanction immédiate ou mise à pied conservatoire possibles

Dans le cas où il prononcerait la sanction avant-même l'avis de classement ou l'ordonnance de non-lieu, l'employeur n'a pas à craindre de voir sa décision contestée au motif de l'autorité de la chose jugée.

Il n'est pas tenu d'attendre l'issue de la procédure pénale pour notifier une sanction (même pour la notification d'un licenciement).

En cas de faute qu'il considère grave et si les faits le justifient, l'employeur peut prononcer une mise à pied conservatoire.

En cas de litige lié à une sanction prononcée suite à un classement ou un non-lieu, il appartient au juge prud’homal d’apprécier souverainement la réalité des faits invoqués dans la lettre de notification de la sanction, sans tenir compte de l'avis/ordonnance relevant du pénal.

 À lire aussi : La mise à pied conservatoire des salariés protégés : quelle est la bonne procédure ?

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Le salarié peut-il être sanctionné pour des infractions commises en dehors de son temps de travail ?

Les infractions commises par un salarié hors de son temps et lieu de travail ne peuvent être un motif de sanction disciplinaire.

Toutefois, ce principe souffre d'exceptions :

  • l’infraction commise est de nature à causer un trouble caractérisé au sein de l’entreprise. Exemple : un entraîneur de football coupable de faits d'agression sexuelle sur mineurs commis à l'occasion de ses activités dans un club (5) ;
  • l’infraction commise empêche le salarié d'accomplir ses fonctions. Exemples : - le salarié est chauffeur-routier et son permis de conduire a été suspendu ;  - le salarié est chauffeur-routier et il a consommé de l'alcool au volant pendant son temps de travail malgré une interdiction prévue par le règlement intérieur.

À savoir : le fait qu'un salarié soit en prison ne constitue pas un cas de force majeure justifiant la rupture du contrat.

Références :
(1) Article L2312-38 du Code du travail
(2) Cass. Ass plén., 22 décembre 2023, n°20-20648 et n°21-11330
(3) Cass. Soc., 14 février 2024, n°22-23073
(4) Article L1332-4 du Code du travail
(5) Cass. Soc., 13 avril 2023, n°22-10476