Un employeur peut-il porter plainte contre un salarié ou un ancien salarié ayant commis une infraction ?

Le pouvoir disciplinaire de l'employeur

Lorsque l'employeur a connaissance de faits fautifs commis par l'un de ses salariés, il a le pouvoir de le sanctionner.

Ainsi, un salarié manquant à ses obligations nées de son contrat de travail s'expose à une sanction disciplinaire.

Le Code du travail la définit comme toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération (1). En général, ces sanctions prennent la forme d'un avertissement, d'une rétrogradation, ou encore d'une mise à pied à pied disciplinaire.

Une nouvelle question se pose lorsque ces mêmes faits sont également pénalement répréhensibles : l'employeur peut-il porter plainte contre le salarié pour faire condamner ces faits devant le juge pénal ?

👉 Pour aller plus loin : Comment sanctionner un salarié fautif ?

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La possibilité de porter plainte contre un salarié pour des faits pénalement répréhensibles

Dans les cas les plus graves, il peut arriver que les faits commis par le salarié pendant son temps de travail constituent une infraction pénale (contravention, délit ou crime), c'est-à-dire que ces faits ne constituent pas seulement un manquement à ses obligations contractuelles, mais sont également punis par la loi.

Dans certains cas, si les faits sont commis en dehors du travail, mais causent un trouble à l'entreprise, la responsabilité pénale du salarié peut également être engagée.

Dans le cadre de la relation de travail, il peut s'agir :

  • d'infractions contre les personnes : comme des faits de harcèlement moral ou sexuel, de racisme au travail, de discrimination, menaces de mort, injures, diffamation, etc. ;
  • d'infractions contre les biens : comme des faits de vol, divulgation des secrets de fabrication, abus de confiance, escroquerie, recel, etc.

📌 Exemples : 

  • un salarié vole du matériel informatique de son entreprise. Le Code pénal punit le vol de 3 ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende (2) ;
  • un salarié agresse violemment son employeur. Le Code pénal punit par exemple les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente de 10 ans d'emprisonnement et de 150.000 euros d'amende (3).

Dans de tels cas, l'employeur peut effectivement porter plainte contre le salarié, ou l'ancien salarié en cas de rupture du contrat de travail, afin de demander une sanction pénale, en plus de la procédure disciplinaire engagée (peines de prison, peines d'amende, etc.).

Attention ! Des faits peuvent justifier une sanction disciplinaire sans pour autant constituer une infraction pénale, et vice versa. Les deux procédures sont distinctes et indépendantes. Elles ne doivent pas être confondues.

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Comment porter plainte contre un salarié et pour quels motifs ?

La preuve de l'infraction par l'employeur (harcèlement moral, vol...) avant de porter plainte

L'employeur peut envisager un dépôt de plainte contre un salarié mais il doit s'assurer de rassembler des éléments de preuve solides et suffisants pour caractériser l'infraction. Les faits reprochés doivent être, comme nous l'avons vu, pénalement répréhensibles.

Par exemple, une enquête interne peut être réalisée par l'employeur afin de vérifier que de fausses informations ne lui ont pas été apportées.

En ce sens, il doit prouver :

  • l'élément légal : la faute est bien réprimée par un texte pénal ;
  • l'élément moral : l'intention de l'auteur de commettre l'infraction ;
  • et l'élément matériel : les agissements fautifs/comportement fautif du salarié constituant l'infraction.

📌 Exemples : le vol ponctuel de quelques paquets de pâtes par un salarié de supermarché n'a pas autant d'impact pour l'entreprise que le vol régulier de médicaments, dans le but de les revendre au marché noir, par un salarié de pharmacie.

Avant de porter plainte auprès des services compétents (gendarmerie, commissariat de police, en ligne ou par courrier au procureur de la République du tribunal judiciaire), l'employeur doit recueillir les explications du salarié et mesurer l'importance de la faute commise au regard des intérêts de la société.

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Le saviez-vous ?

Si le salarié est en prison, ce seul fait ne constitue pas un cas de force majeure justifiant la rupture du contrat.

Respecter les délais de prescription pour porter plainte

Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de 2 mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance".

Article L1332-4 du Code du travail

L'employeur ne doit pas confondre les délais de prescription applicables pour une sanction disciplinaire et les délais de prescription applicables à des faits pénalement répréhensibles.

S'il souhaite sanctionner un salarié pour des faits fautifs, l'employeur dispose d'un délai 2 mois dès lors qu'il en a connaissance (4). Au-delà, les faits sont en principe prescrits : l'employeur ne plus les sanctionner.

💡 Bon à savoir : si ces faits ont donné lieu à des poursuites pénales, le délai de 2 mois est suspendu jusqu'à la décision définitive de la juridiction pénale.

En revanche, s'il souhaite porter plainte contre ces faits pénalement répréhensibles, ce sont les délais de prescription applicables à la procédure pénale qui s'appliquent, à savoir (5)

  • 1 an pour les contraventions ;
  • 6 ans pour les délits ;
  • 20 ans pour les crimes.

Saisir le bon juge : conseil de prud'hommes (CPH) ou juge pénal ?

En principe, c'est le conseil de prud'hommes qui est compétent pour les litiges intervenus entre un employeur et le salarié à l'occasion de l'exécution ou de la rupture du contrat de travail (6).

En revanche, pour obtenir une potentielle condamnation pénale, l'employeur doit agir devant le juge pénal.

Attention ! L'employeur qui se trouve dans une telle situation, souvent complexe, ne doit pas hésiter à entamer des démarches pour obtenir un conseil juridique auprès d'un professionnel.

👉  Le droit de la preuve a récemment évolué devant le juge civil. Pour en savoir plus : Litige devant le conseil des prud'hommes (CPH) : pouvez-vous utiliser un élément de preuve déloyal ?

Puis-je sanctionner un salarié dont les faits ont donné lieu à une condamnation pénale ?

Si les faits commis par le salarié ont été condamnés au pénal, l'employeur peut les sanctionner et engager une procédure disciplinaire, mais il doit :

  • respecter les délais de prescription des faits fautifs ;
  • s'assurer que les faits peuvent effectivement faire l'objet d'une sanction disciplinaire. Par exemple, s'ils ont été commis en dehors du temps de travail et n'ont eu aucun impact sur le fonctionnement de l'entreprise, il sera difficile pour l'employeur de justifier la sanction prise.

En revanche, en cas de litige devant le conseil de prud'hommes sur cette sanction disciplinaire, ce dernier ne pourra pas remettre en cause la condamnation pénale du salarié fautif (c'est le principe "de l'autorité, au civil, de la chose jugée au pénal") (7).

Cela signifie que si le juge pénal condamne le salarié de manière définitive, le juge prud'homal sera tenu de considérer les faits comme établis. Il conserve toutefois son pouvoir d'appréciation : il peut par exemple considérer que la sanction prise par l'employeur est disproportionnée.

📌 Exemples : au regard des faits commis par le salarié et des éléments qui lui sont présentés, le conseil de prud'hommes peut considérer que la qualification de faute lourde, nécessitant l'intention de nuire à l'employeur, n'est pas justifiée.

Relaxe du salarié : puis-je malgré tout sanctionner les faits considérés comme fautifs ?

Lorsque des poursuites ont été engagées mais que le juge pénal relaxe le salarié, c'est-à-dire qu'il le déclare non-coupable, l’absence de faute au sens pénal empêche en principe l’employeur de prononcer un licenciement pour ces mêmes faits.

📌 Exemples : une salariée est licenciée pour faute lourde en raison de vols de produits. Elle est, ensuite, relaxée par le juge pénal. La salariée conteste son licenciement. La Cour de cassation relève alors que la lettre de licenciement reprochait à la salariée un vol dont elle avait été relaxée par une décision de la juridiction pénale devenue définitive. Qu'ainsi, la Cour d'appel, au regard de cette constatation, ne pouvait pas retenir la faute grave rendant impossible le maintien de la salariée dans l'entreprise (8).

Effectivement, si le licenciement disciplinaire est intervenu avant la relaxe, mais que les faits l'ayant motivé sont identiques à ceux visés dans la plainte pénale déposée à l'encontre du salarié, alors la chose jugée au pénal s'impose au juge civil : le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse (9).

Cependant, une faute pourra être établie en droit du travail, donnant lieu à sanction disciplinaire autre que le licenciement, dès lors que le salarié a violé une règle de discipline (obligation du salarié au travail, règles de sécurité, dispositions du règlement intérieur, etc.). L'employeur devra être en mesure de justifier cette sanction et de prouver les faits commis.

📌 Exemples : le Ministère public peut décider que les faits commis ne relèvent finalement pas du pénal, mais ils peuvent constituer une faute disciplinaire car le manquement du salarié à ses obligations contractuelles est caractérisé. 

L'employeur devra cependant respecter les délais de prescription cités précédemment.

Plainte classée sans suite, non-lieu : puis-je malgré tout sanctionner le salarié ?

Sanctionner le salarié après une plainte classée sans suite ou un non-lieu

Dans cette hypothèse, les faits portés à la connaissance de l'employeur ont été classés sans suite ou fait l'objet d'un non-lieu. L'employeur peut-il malgré tout sanctionner le salarié ?

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Pour mémoire : 

- classement sans suite : le procureur de la République décide qu'il n'y aura ni poursuites ni alternatives aux poursuites ;
- non-lieu : ordonnance rendue par le juge d'instruction à la suite d'une enquête judiciaire, déclarant qu'il n'y aura pas de poursuites.

Même si les poursuites pénales n'aboutissent pas, une faute pourra être établie en droit du travail, dès lors que le salarié a bien violé une règle de discipline. Rappelons-le, une faute disciplinaire n'est pas forcément constitutive d'une infraction pénale : les deux matières sont indépendantes l'une de l'autre.

Exemple d'un licenciement pour faute malgré l'abandon des poursuites pénales

Les classements sans suite et les ordonnances de non-lieu sont dépourvus de l'autorité de la chose jugée : aucune poursuite n'ayant été engagée, ils ne sont pas des décisions de justice.

Ainsi, ces avis n'ont pas d'incidence sur une éventuelle procédure disciplinaire amorcée par l'employeur.

📌 Exemples : dans une affaire médiatisée, un humoriste a été licencié pour faute grave par Radio France, qui considérait qu'il avait tenu des propos polémiques à l'antenne. Cependant, la plainte dont il a fait l'objet pour les mêmes faits a été classée sans suite. La radio publique lui a notifié par courrier la rupture de son contrat de travail pour faute grave. Ainsi, même en l'absence de poursuites pénales, le contrat de travail a bien été rompu de manière anticipée.

💡 Bon à savoir : une nouvelle fois, l'employeur devra veiller à respecter les délais de prescription des faits fautifs. Il est à noter que si l'engagement de poursuites pénales pour le même fait suspend le délai de 2 mois, tel n'est pas le cas lorsque la plainte a été classée sans suite, aucune poursuite n'ayant été engagée et la mise en mouvement de l'action publique non enclenchée (10).

👉 À lire : Liberté d'expression au travail : quels droits et limites ?

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Puis-je prononcer une sanction immédiate ou une mise à pied conservatoire avant la fin d'une procédure pénale en raison d'un conflit au travail ? 

Dans le cas où il prononcerait la sanction avant-même l'avis de classement ou l'ordonnance de non-lieu, l'employeur n'a pas à craindre de voir sa décision contestée au motif de l'autorité de la chose jugée.

Il n'est pas tenu d'attendre l'issue de la procédure pénale pour notifier une sanction, et ce, même pour la notification d'un licenciement.

De plus, en cas de faute qu'il considère grave et si les faits le justifient, l'employeur peut prononcer une mise à pied conservatoire (mesure d'attente) afin de suspendre l'exécution du contrat et le paiement du salaire. Le juge a eu l'occasion d'admettre qu'une mise à pied conservatoire de plusieurs mois pouvait être prononcée lorsque les faits ont donné lieu à des poursuites pénales et qu'ils le justifiaient (11)

💡 Bon à savoir en cas de litige lié à une sanction prononcée à la suite d'un classement ou un non-lieu, il appartient au juge prud’homal d’apprécier souverainement la réalité des faits invoqués dans la lettre de notification de la sanction, sans tenir compte de l'avis/ordonnance relevant du pénal.

👉 À lire aussi : Les différences entre la mise à pied conservatoire et la mise à pied disciplinaire

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Références :
(1) Article L1331-1 du Code du travail
(2) Article 311-3 du Code pénal
(3) Article 222-9 du Code pénal
(4) Article L1332-4 du Code du travail
(5) Articles 7, 8 et 9 du Code de procédure pénale
(6) Article L1411-1 du Code du travail
(7) Article 4 du Code de procédure pénale
(8) Cass. Soc. 18 février 2016, n°14-23468
(9) Cass. Soc. 26 février 2025, n°23-11596
(10) Article L1332-4 du Code du travail
(11) Cass. Soc. 4 décembre 2012, n°11-27508