Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour d'Appel de Bourges le 29 janvier 2021 qui vient aborder la problématique du sort du gérant d’une société en liquidation judiciaire alors que celui-ci occupait également une activité de salarié au sein de la même entreprise,

Quels sont les faits ?  

Dans cette affaire Madame G, avait été embauchée par la SARL D, dont elle était la gérante, le 30 septembre 2009 en qualité de secrétaire niveau A aux termes d’un contrat à durée indéterminée à temps partiel.

Cet emploi relevait de la convention collective des ETAM du bâtiment du 28 juin 2007 et ses avenants, ce étant précisé que la société D employait moins de 10 salariés.

Par un premier avenant du 3 août 2015, Madame G avait vu son temps de travail porté à temps complet.  

Par un second avenant du 4 juin 2016 avec effet rétroactif au 1er janvier 2014, la salariée avait été repositionnée en tant que responsable administrative, sociale et comptable avec une fonction complémentaire de responsable conductrice de travaux hors métrés.

Selon procès-verbal en date du 8 juin 2016, Madame G avait cédé la gérance de la société D à Monsieur S.

 

Changement de gérant mais maintien de l’emploi salarié

La société D avait été placée en liquidation judiciaire le 5 avril 2017, la date de cessation des paiements étant fixée au 21 janvier 2016 et Maître P désigné mandataire liquidateur.

Madame G a été licenciée pour motif économique le 14 avril 2017 mais n’a reçu ni attestation pôle emploi, ni certificat travail, ni prise en charge par le CGEA d’Orléans aux motifs, selon le mandataire liquidateur, de l’absence de lien de subordination et de la confusion des personnes et des organes de gestion.

 

Liquidation judicaire et prise en charge par l’AGS des salariés

Madame G a saisi le conseil de prud’hommes le 15 juillet 2019 aux fins de faire fixer au passif de la société D des arriérés de salaires et diverses indemnités.

Par jugement du 15 juillet 2019, le conseil de prud’hommes a :

  • Débouté Madame G de ses prétentions,
  • Condamné Madame G à verser au CGEA d’Orléans une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
  • Déclaré le jugement opposable au CGEA d’Orléans 
  • Condamné Madame G à supporter les entiers dépens

 

Madame G a donc frappé d’appel la décision.

La question qui se posait était de savoir si Madame G pouvait revendiquer sa qualité de salarié et obtenir la prise en charge par les AGS des sommes qui étaient les siennes.

 

La qualité de salariée et la prise en charge par l’AGS

Sur la qualité de salariée de Madame G, il convient de rappeler que le cumul d’un mandat social et d’un contrat de travail est possible pour l’associé minoritaire d’une société à condition que l’activité salariée concerne l’exercice de fonctions techniques distinctes de celles du mandataire social et accomplies dans un lien de subordination, c’est- à-dire sous l’autorité d’un employeur ayant le pouvoir de donner des ordres et des directives, de contrôler l’exécution du travail et de sanctionner les manquements du salarié. 

 

Le cumul entre mandat social et contrat de travail

En présence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui le conteste d’en démontrer le caractère fictif.

Tel était ce que le mandataire liquidateur avait soutenu.

En l’espèce, Madame G affirme disposer incontestablement d’un contrat travail et avoir exécuté les tâches prévues telle la gestion administrative des dossiers d’appel d’offres ou le remplacement du conducteur de travaux pour les besoins de l’activité ou réalisation des achats, sous les directives de Monsieur S, l’employeur. 

De son côté, le CGEA AGS indique que de nombreux éléments militent en faveur d’un contrat de travail fictif vu la communauté d’intérêts entre Madame G et Monsieur S.

 

Mandat social et contrat de travail fictif

Le CGEA AGS prétend tout d’abord que dans le cadre du redressement judiciaire de la société, Madame G s’est présentée en qualité de dirigeant de l’entreprise et a répondu à toutes les questions sur la situation financière et sociale de la structure.

Il observe par ailleurs qu’à la date de la cessation des paiements, fixée au 21 janvier 2016 par le tribunal de commerce, Madame G était toujours la gérante de l’entreprise et associée à hauteur de 34 %, le changement de gérance au profit de Monsieur S n’intervenant que le 8 juin 2016 mais Madame G conservant son pouvoir de signature administrative. 

Il relève encore que c’est elle qui s’est chargée de procéder au dépôt des pièces permettant la poursuite d’activité sous la nouvelle gérance et de conclure postérieurement aux termes de son mandat les contrats de travail de plusieurs salariés.

Il constate également que sa rémunération de 5 300,45 euros ne correspond pas à celle d’une « simple » salariée administrative. 

Il considère enfin que Madame G n’établit nullement l’existence d’un lien de subordination, la seule preuve étant constituée par son ex-compagnon.

 

L’absence du lien de subordination avec la gérance

Il sera rappelé que Madame G était gérante-associée de la société D depuis sa création à hauteur de 1700/5000 parts et qu’elle a d’abord exercé les fonctions d’employée administrative avant d’être “repositionnée” comme “responsable administrative, sociale et comptable” et “responsable conductrice de travaux hors métrés”, selon avenant du 4 juin 2016, son salaire passant alors de 9.5 euros l’heure à 35 euros l’heure.

Madame G a quitté ses fonctions de gérante le 8 juin 2016, l’assemblée générale extraordinaire désignant Monsieur S pour la remplacer. 

Il sera toutefois observé qu’à cette occasion, selon le PV afférent, elle disposait encore de ses parts contrairement à l’acte de cession de parts sociales du 4 juin 2016.

L’existence d’un contrat de travail écrit et l’édition de bulletins de salaires montrent l’apparence d’un contrat de travail dont il incombe alors au CGEA, qui le conteste, d’en établir la fictivité.

 

La charge de la preuve de la fictivité d’un contrat de travail 

S’agissant de l’exigence d’exercer des fonctions techniques distinctes de celles conférées au gérant, le contrat de travail initial précise que la salariée, en sa qualité de secrétaire niveau A, est chargée des différents travaux administratifs de l’entreprise ( secrétariat, saisie comptable, accueil téléphonique) mais l’avenant du 4 juin 2016 la promeut “Responsable administrative, sociale et comptable” et lui adjoint une fonction complémentaire de “Responsable conductrice de travaux hors métrés” avec effet rétroactif au 1 janvier 2014, ces fonctions plénipotentiaires  apparaissant dès lors peu distinctes de celles du gérant dans une société de moins de 10 salariés comme la société D, et ce d’autant qu’elle se voyait alors octroyer une rémunération mensuelle brute de 5 308,45 euros à compter du mois de juin 2016.

Monsieur S, gérant à compter du 8 juin 2016, atteste que les décisions pour l’entreprise émanaient de lui ou de l’autre associé, Monsieur Z sans autres précisions ni justifications.

 

L’absence du lien de subordination

Tout au plus, la salariée produit une attestation sur l’honneur de l’intéressé, en date du 6 juin 2016, où il se prétend déjà gérant, et donne les pouvoirs à Madame G de représenter l’entreprise au niveau des marchés publics, sans pouvoir de signature bancaire, juridique ou sociale, ces missions étant prétendument dévolues à un cabinet de comptabilité et de conseil.

Pour autant, il apparaît que lors de l’enquête ordonnée par le Tribunal de Commerce le 11 janvier 2017, lequel porte comme représentant, Madame G, celle-ci s’est présentée à l’enquêteur au lieu et place du gérant titulaire pour l’informer qu’elle n’a pas pu faire face à plusieurs impayés depuis 2013, que les communes retardent leur paiement et qu’elle a 60 000 euros recouvrer estimant les dettes de la société à 149 000 euros. 

Elle était également en capacité d’évaluer l’actif de la société et constatait à l’issue de l’entretien “son” état de cessation des paiements depuis 2014 et demandait à bénéficier d’une procédure de redressement judiciaire