Période d'essai dans le CDI : liberté encadrée par la loi
L’article L1221-20 du Code du travail autorise les parties à un CDI à prévoir une période d’essai, librement révocable sans justification. Toutefois, cette liberté est encadrée : elle ne peut être exercée de manière fautive, abusive ou malveillante (1). Ce contrôle devient plus rigoureux lorsque la période d’essai suit une succession de CDD (2).
Succession de CDD et rupture du CDI : le cas de l'infirmière
Les faits : succession de CDD et rupture rapide du CDI
En l'espèce, une infirmière avait enchaîné trois CDD avec un même établissement médical :
- du 18 au 31 mai 2017 ;
- du 1er au 30 juin 2017 ;
- puis du 1er au 30 août 2017.
Le 4 septembre 2017, un CDI est signé avec une période d’essai de deux mois. Or, l’employeur rompt cette période moins de deux semaines après, le 17 septembre. La salariée conteste alors cette rupture devant le conseil de prud’hommes, qui lui donne partiellement raison. En appel, la cour d’Aix-en-Provence rejette toutes ses demandes.
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La décision d'appel : une discontinuité entre les contrats
La cour retient qu’il y avait discontinuité entre certains CDD, excluant donc la possibilité de déduire leur durée totale de la période d’essai. Seul le contrat d’août est pris en compte. La Cour de cassation censure ce raisonnement, apportant une clarification majeure.
Le raisonnement de la Cour de cassation : continuité fonctionnelle
Cet article dispose que la poursuite des relations de travail après le terme d’un CDD entraîne sa transformation en CDI, et que la durée du ou des CDD doit être déduite de la période d’essai éventuellement prévue dans ce nouveau contrat.
La jurisprudence a cependant connu des fluctuations. Par exemple, dans un arrêt de 1989 (3), la Cour avait limité cette déduction au seul CDD précédant immédiatement le CDI. La même logique a été suivie en 1993. L’argument de « novation » (c’est-à-dire une rupture juridique entre les contrats) était invoqué pour justifier une nouvelle période d’essai, ce que la Cour de cassation a rejeté depuis (4).
Dans l’arrêt du 19 juin 2024 (5), la Cour privilégie la continuité fonctionnelle : la salariée avait exercé le même emploi (infirmière), dans les mêmes services, sans changement de fonctions. Les interruptions entre les CDD (un mois et trois jours) ne suffisent pas à caractériser une discontinuité réelle.
Ce raisonnement renverse celui de la cour d’appel, qui semblait exiger à la fois une continuité temporelle et fonctionnelle pour permettre l’imputation. La Haute juridiction estime qu’il suffit qu’il n’y ait pas de discontinuité fonctionnelle.
Impact de la nouvelle jurisprudence sur la période d'essai
Une jurisprudence en évolution : entre revirements et clarifications
L’arrêt s’inscrit dans une série d’évolutions jurisprudentielles. En 2013 (6), la Cour avait semblé écarter le critère de continuité fonctionnelle, affirmant que peu importait que les emplois aient été identiques ou non. Toutefois, cette approche a été nuancée dans les décisions suivantes, notamment en 2012 (7).
En somme, l'arrêt du 19 juin 2024 réaffirme que la nature des fonctions exercées est décisive, plus que la continuité temporelle ou la succession rapprochée des CDD.
Portée du litige, perspectives et influence européenne
Le contentieux ne se limite pas à la seule licéité de la période d’essai. La salariée visait aussi à obtenir :
- la reconnaissance d’un CDI depuis le 1er CDD ;
- la suppression de la période d’essai ;
- la reconstitution de son ancienneté ;
- la nullité de la rupture pour discrimination (grossesse, liberté d’expression, harcèlement) ;
- la reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- des dommages-intérêts pour rupture vexatoire ou brutale.
Elle réclamait également : des indemnités pour préavis, des congés payés, des dommages-intérêts, avec intérêts et capitalisation.
Le texte de l’article L1243-11 du Code du travail ne mentionne aucune exigence de continuité fonctionnelle, laquelle relève d’une construction jurisprudentielle (8). Pourtant, cette interprétation trouve appui dans une approche téléologique : d’un côté, l’employeur doit pouvoir évaluer les compétences du salarié pendant les CDD. De l’autre, le salarié doit pouvoir juger de l’adéquation de son poste avec ses attentes.
Cette finalité semble primer dans les derniers arrêts, qui tendent à limiter les abus liés à la segmentation contractuelle.
La cour d’appel d’Aix, désignée comme cour de renvoi, reste libre d’apprécier « en fait et en droit » (9). Elle pourrait persister dans son interprétation fondée sur une discontinuité, mais une telle posture serait contestable. Elle pourrait aussi suivre l’interprétation actuelle de la Cour de cassation, plus favorable aux salariés et conforme à l’esprit de lutte contre la précarité (v. C. Roy-Loustaunau, Dr. soc. 2002).
Enfin, le droit européen influence ce débat. La directive (UE) 2019/1152 prévoit que les périodes d’essai doivent avoir une durée raisonnable, n’excédant pas six mois (10). Ce texte renforce l’exigence d’équité et la lutte contre les abus dans les pratiques de segmentation contractuelle.
La Cour de cassation, à travers cet arrêt du 19 juin 2024, renforce la protection du salarié contre l’usage abusif de la période d’essai dans les CDI faisant suite à plusieurs CDD. Elle réaffirme que l’unité fonctionnelle de l’emploi suffit à justifier l’imputation de la durée des CDD sur l’essai, sans qu’il soit nécessaire de démontrer une continuité temporelle absolue. Ce faisant, elle donne un coup d’arrêt à la jurisprudence hésitante sur ce sujet et s’aligne davantage sur les principes du droit européen.
Références :
(1) Cass. Soc, 2 décembre 1997, n°95-41374
(2) Article L1243-11, alinéa 3 et article R1243-2 du Code du travail
(3) Cass. Soc, 28 juin 1989, n°86-41188
(4) Cass. Soc, 3 octobre 1991, n°87-41176
(5) Cass. Soc, 12 juin 2024, n°23-14292
(6) Cass. Soc, 9 octobre 2013, n°12-12113
(7) Cass. Soc, 13 juin 2012, n°10-28286
(8) Article L1243-11 du Code du travail
(9) Article 638 du Code de procédure civile
(10) Considérant 27 et article 8 de la directive (UE) 2019/1152



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