Impact de l'IA sur les consultations ponctuelles du CSE
L'arrivée de l'intelligence artificielle dans les processus de travail ne relève pas de la simple gestion courante. Elle active des mécanismes légaux précis.
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La consultation sur l'organisation et la marche générale de l'entreprise, que prévoit le Code du travail ?
📕 Le Code du travail est clair, le CSE doit être consulté avant toute décision impactant (1) :
- les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs ;
- la modification de l’organisation économique ou juridique de l’entreprise ;
- les conditions d'emploi et de travail, notamment la durée ou la formation ;
- l'introduction de nouvelles technologies, ainsi que tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ;
- les mesures prises en vue de faciliter la mise, la remise ou le maintien au travail des accidentés du travail, des invalides de guerre, des invalides civils, des personnes atteintes de maladies chroniques évolutives et des travailleurs handicapés, notamment sur l'aménagement des postes de travail ;
- les conséquences environnementales de toutes les mesures précitées.
L’employeur a l’obligation d’informer et de consulter le CSE pour obtenir un avis motivé avant la mise en œuvre du projet important impactant l'organisation et la marche générale de l'entreprise.
La mise en place de l’IA : faut-il obligatoirement consulter le CSE ?
⚖ Longtemps, la jurisprudence a été souple. Dans un arrêt du 12 avril 2018 (2), la Cour de cassation considérait qu'un logiciel d'IA facilitant la tâche des salariés ne constituait pas un aménagement important nécessitant une expertise du Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT).
Cependant, la puissance des IA génératives a changé la donne. Les juges adoptent désormais une position plus stricte, notamment dans deux décisions de tribunaux judiciaires qui ont donné raison aux CSE :
- Tribunal judiciaire de Paris (3) : obligation pour France Télévisions de consulter son CSE central suite au déploiement d'une plateforme d'IA ;
- Tribunal judiciaire de Nanterre (4) : la consultation du CSE est obligatoire dès la phase pilote de déploiement.
⚠ Il est donc plus difficile de se baser sur la jurisprudence de 2018. L'introduction de l'IA aujourd'hui pourrait être considérée comme une mutation technologique majeure.
Pour autant, toutes les introductions d’IA au sein des entreprises ne constituent pas nécessairement une mutation technologique majeure. En effet, certains systèmes d’exploitation ou certains logiciels peuvent imposer une IA intégrée dans leur outil. Dans ce cas, la modification des conditions de travail peut être plus légère.
C’est pourquoi il peut être intéressant de distinguer la mise en place volontaire et involontaire de l’IA. Dans ce cas, les conséquences sur l'activité des salariés peuvent être mineures. À ce jour, la jurisprudence n’a pas tranché cette question.
L’IA comme motif de mutation technologique et de licenciement selon la jurisprudence
🚨 L'introduction de l'IA peut justifier des licenciements économiques. En effet, la mutation technologique est un motif économique autonome. La jurisprudence a déjà admis par le passé que des innovations de rupture, comme l’informatisation d’une agence (5) ou l’introduction d’un logiciel (6), pouvait constituer une mutation technologique suffisante permettant de justifier un licenciement économique. Dans ce cadre, la consultation du CSE est cruciale. L’employeur doit alors consulter le CSE :
- dans les entreprises de 2 à 49 salariés : 1 réunion d'information/consultation ;
- dans les entreprises de 50 salariés et plus : 2 réunions espacées de 14 jours maximum.
L'absence de consultation peut entraîner l'irrégularité de la procédure de licenciement.
Impact de l'IA sur les consultations récurrentes
L'intelligence artificielle ne modifie pas seulement l'organisation ponctuelle, elle impacte la stratégie globale, rendant incontournables les 3 grandes consultations récurrentes (7) :
- les orientations stratégiques ;
- la situation économique et financière ;
- la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi.
Pourquoi la consultation sur la politique sociale est clé pour l’IA ?
C'est lors de la consultation sur la politique sociale que se joue l'avenir des compétences. La loi Senior du 24 octobre 2025 renforce ce point en imposant un bilan des actions de formation dans la Base de Données Économiques, Sociales et Environnementales (BDESE).
La réforme des entretiens et la formation à l'IA
L’intégration de l’IA exige une adaptabilité accrue. Les dispositifs de suivi des salariés évoluent.
L'entretien de parcours professionnel
✅ L'entretien professionnel devient l'entretien de parcours professionnel (8). Il est désormais organisé, après un premier entretien l'année de l'embauche, au moins tous les 4 ans (au lieu de 2 ans) et l'entretien bilan est organisé tous les 8 ans (au lieu de 6 ans). Le but de cet entretien est de s’assurer des besoins de formation du salarié. L’intégration de l’IA en entreprise peut justifier des besoins important de formation. L’employeur doit utiliser ces entretiens afin de s’assurer des connaissances du salarié sur ce domaine en cas d’utilisation de l’IA dans l’entreprise.
L'entretien de mi-carrière
✅ Un entretien de parcours professionnel de mi-carrière doit également être organisé dans les 2 mois suivant la visite médicale de mi-carrière. Le contenu porte aussi sur les mesures proposées par le médecin du travail et, le cas échéant, l'adaptation et aménagement du poste, les souhaits de mobilité et reconversion professionnelle. Cette visite a lieu durant l'année civile du 45ème anniversaire du travailleur.
L'entretien de parcours professionnel de fin de carrière
✅ Enfin, un entretien de parcours professionnel de fin de carrière est créé. Il est organisé entre 58 et 60 ans. Il aborde, outre les sujets habituels de l'entretien de parcours professionnel, les conditions de maintien dans l'emploi et les possibilités d'aménagement de fin de carrière, comme le passage à temps partiel, notamment dans le cadre de la retraite progressive.
💡 Le but de ces entretiens est de permettre l’adaptabilité du salarié à son poste de travail. L’IA peut poser des problèmes de formation.
L'enjeu pour le CSE face à ces entretiens est de veiller à ce que le plan de développement des compétences intègre des formations spécifiques à l'IA pour éviter la fracture numérique entre les salariés technophiles et ceux moins à l'aise avec ces outils.
Impact sur le Règlement Intérieur et la Charte Informatique
⚠ L'utilisation de l'IA par les salariés doit être encadrée pour prévenir deux risques majeurs :
- risques pour l'entreprise : fuite de données confidentielles, propriété intellectuelle ;
- risques pour les salariés : harcèlement via deepfakes, utilisation abusive à des fins personnelles.
Il est impossible d'interdire totalement l'IA, de part l’application du principe de proportionnalité. Une telle interdiction serait disproportionnée et inopposable aux salariés. L'employeur doit donc réguler son usage via le Règlement Intérieur (RI) ou une Charte informatique annexée à celui-ci.
Pour qu'une sanction liée à un mauvais usage de l'IA soit valable, elle doit s'appuyer sur des règles claires. Or, le RI ne peut être modifié sans respecter une procédure stricte (9) :
- une consultation préalable du CSE pour avis ;
- une communication à l'inspection du travail.
Si le CSE n'est pas consulté, les dispositions de la charte IA ou du règlement sont inopposables aux salariés (10). Le salarié ne pourrait alors pas être sanctionné sur cette base.
🖍À noter : la même procédure s’applique en cas de modification du RI ou d’annexion d’une note de service.
Rappelons que Le CSE n'intervient qu'à titre consultatif. Le refus par le CSE d'approuver le règlement intérieur n'entraîne pas la nullité des dispositions du règlement.
Les premiers accords d'entreprise sur l'IA
Face au vide juridique initial, plusieurs grandes entreprises ont pris les devants en signant des accords novateurs.
👉 Les partenaires sociaux ont eu l’occasion de négocier des avancées concrètes. Par exemple, il a été négocié :
- des garanties d'emploi (Metlife) : aucun licenciement motivé uniquement par l'IA ; exclusion de l'IA pour les décisions de rémunération ou de carrière ;
- des formations (BPCE, AXA) : formation généralisée à l'IA générative et développement de l'esprit critique ;
- un dialogue social et suivi : création de commissions IA au sein du CSE (Metlife, Prisma Media) ou de comités de suivi (AXA) ;
- un droit à la déconnexion (Orange) : mesures pour éviter la surcharge cognitive et numérique liée aux nouveaux outils.
Ces accords démontrent que le dialogue social est le meilleur levier pour une transition technologique réussie.
Les évolutions législatives en cours
📄 Le cadre légal doit évoluer sur le sujet du dialogue social et des consultations du CSE. Un récent rapport parlementaire, des députés Hoffin et Golliot, pointe l'insuffisance des outils actuels : malgré les obligations théoriques, de nombreuses entreprises déploient l'IA sans véritable concertation.
Vers une consultation obligatoire dès la phase de projet
Les propositions législatives visent à combler le vide pratique :
- une consultation en amont : inscrire dans la loi l'obligation de consulter le CSE dès l'engagement du projet ou la phase expérimentale (afin de contrer l'argument du "test" non soumis à consultation) ;
- une expertise facilitée : confirmer que l'introduction de l'IA justifie, à elle seule, le recours à un expert habilité financé par l'employeur.
Vers un Accord National Interprofessionnel
👉 Les rapporteurs préconisent la négociation d'un accord national interprofessionnel (ANI) pour créer un "droit souple” de l'IA au travail, inspiré des normes européennes.
Un dispositif plus impactant encore pour les entreprises serait l’ajout des nouvelles technologies à la liste des négociations obligatoires annuelles (au même titre que les salaires). Cela aurait pour objectif de forcer l'employeur à remettre le sujet de l'IA et de ses impacts sur la table de manière régulière, transformant une contrainte technique en véritable sujet de dialogue social.
Références :
(1) Article L2312-8 du Code du travail
(2) Cass. soc., 12 avril 2018, n°16-27866
(3) Tribunal Judiciaire de Paris, ordonnance de référé, 2 septembre 2025, n°25/53278
(4) Tribunal Judiciaire de Nanterre, ordonnance de référé, 14 février 2025, n°24/01457
(5) Cass. soc., 30 juin 1992, n°91-40823
(6) Cass. soc., 17 mai 2006, n°04-43022
(7) Article L2312-17 du Code du travail
(8) Article L6315-1 du Code du travail
(9) Article L1321-4 du Code du travail
(10) Cass. soc. 10 novembre 2021, n°20-12327





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