Définition du droit de grève en France
Principe et caractéristiques
Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 précise que la grève est un droit prévu pour s'exercer “dans le cadre des lois qui le réglementent".
Pourtant, il n'existe que très peu de textes en la matière concernant le secteur privé. C'est donc la jurisprudence qui a fixé les conditions d'exercice du droit de grève.
Pour qu'un arrêt de travail soit qualifié de grève, différents éléments doivent être réunis (1) :
-
une cessation totale, collective (au moins 2 salariés) et concertée du travail ;
-
l'objectif d'appuyer des revendications professionnelles.
Interdiction de certains mouvements collectifs particuliers (grève perlée, etc.)
🔍 Sachez que certains mouvements collectifs, tels que la grève perlée, c'est-à-dire, un ralentissement volontaire du travail ou un accomplissement volontairement défectueux de l'activité, sont interdits.
Quelles sont les modalités d'accomplissement d'une grève (déclaration, préavis...) ?
Un salarié doit-il se déclarer gréviste ? Comment doit-il faire, le cas échéant ?
Dans le secteur privé, une grève peut être amorcée sans préavis (délai de prévenance).
Les salariés ne sont ainsi pas tenus d'informer l'employeur de leur intention d'exercer leur droit de grève, mais celui-ci doit néanmoins connaître les revendications professionnelles des salariés au moment du déclenchement du mouvement (2).
🔍 Si aucune tentative de conciliation préalable n'est obligatoire, les conflits collectifs intervenant entre les salariés et les employeurs doivent toutefois faire l'objet de négociations lorsque (3) :
- les conventions ou accords collectifs applicables comportent des dispositions à cet effet ;
- les parties intéressées en prennent l'initiative.
Blocage : un gréviste peut-il ou non rester sur son lieu de travail et occuper les locaux ?
Le droit de grève ne confère pas aux grévistes la possibilité de disposer arbitrairement des locaux de l'entreprise. Une occupation de ce type donnerait le droit à l'employeur d'obtenir l'expulsion des occupants grévistes (5).
Toutefois, la Cour de cassation reconnaît que ne constitue pas un acte abusif l'occupation des lieux de travail (6) :
- symbolique et momentanée ;
- et qui n'entrave pas la liberté du travail des non-gréviste.
L'occupation du lieu de travail, dès lors qu'elle porte atteinte à la liberté de travail des salariés non grévistes, constitue un trouble manifestement illicite. Dans une telle hypothèse, vous disposez, en tant qu'employeur, de moyens pour agir.
⚠ Quoi qu'il en soit, vous devez prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des grévistes.
Effets de la grève : suspension du contrat de travail des salariés grévistes
Suspension du contrat de travail : les grévistes sont-ils payés pendant la durée de la grève ?
Tout travail accompli avant ou après la grève, doit être rémunéré (7). En revanche, vous n'avez pas l'obligation de verser le salaire correspondant à la période de grève puisque l'exercice du droit de grève par un salarié suspend l'exécution du contrat de travail (8).
Lorsque vous effectuez une retenue sur le salaire d'un salarié gréviste, veillez à ce que cette réduction soit strictement proportionnelle à la durée de l'arrêt de travail (9). Procéder à une réduction de rémunération supérieure à la durée de l'arrêt de travail est en effet interdit, puisqu'elle s'apparenterait à une sanction pécuniaire.
Il est également interdit, dans le cadre de la détermination de la retenue de salaire, de prendre en compte le degré de mobilisation des salariés, selon les services et les conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise. Il s'agirait d'une discrimination indirecte en raison de l'exercice normal du droit de grève (10).
Toutefois, il existe des cas justifiant le paiement de l'intégralité de leur salaire aux grévistes.
Exemple : c'est le cas lorsque la grève intervient en raison de manquements graves et délibérés de l'employeur à ses obligations.
Comment effectuer une réduction de salaire ?
Pour être proportionnelle à la durée de l'interruption de travail, la réduction de salaire doit être calculée sur l'horaire mensuel des salariés (11).
🔍 Notez que la réduction sur salaire présentant un caractère forfaitaire, s'apparenterait à une sanction pécuniaire, ce qui est prohibé (12).
Sachez enfin qu'il est interdit de faire mention sur le bulletin de paie de l'exercice du droit de grève ou de l'activité de représentation des salariés (13).
Protection des salariés grévistes contre la rupture de leur contrat de travail
L'exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail du salarié, sauf en cas de faute lourde qui lui serait imputable (14).
Tout licenciement prononcé en méconnaissance de ces dispositions (c'est-à-dire, en l'absence de faute lourde) serait nul de plein droit (15).
Rôle des représentants du personnel pendant le mouvement de grève : le mandat est-il suspendu ?
Si la grève suspend le contrat de travail des salariés, le mandat des représentants du personnel (membres élus au comité social et économique (CSE, délégué syndical...) quant à lui, se poursuit. Il n'est pas suspendu et ce, que le représentant du personnel soit lui-même gréviste ou non.
Les représentants du personnel peuvent exercer leur droit de grève comme n'importe quel autre salarié.
Si le représentant est lui-même gréviste, son contrat de travail est suspendu comme n'importe quel autre salarié gréviste, avec les conséquences que cela implique. En revanche, il peut continuer l'exercice de ses fonctions représentatives. À ce titre, les représentants sont en droit d'utiliser leurs heures de délégation.
Les représentants du personnel demeurent, et encore davantage en période de conflit collectif, les interlocuteurs privilégiés de l'employeur en matière de dialogue social. Ils doivent continuer à être informés et consultés lorsque cela s'avère nécessaire.
Ils ont également la possibilité de continuer à échanger avec les salariés non grévistes dans le cadre de leurs missions habituelles, notamment en matière de conditions de travail, d'hygiène et de sécurité.
Pour cela, ils disposent de la liberté de circuler dans l'entreprise pour exercer leur missions et l'employeur ne peut s'opposer à leur présence dans les locaux (sauf abus de droit de la part du représentant du personnel qui fait grève), au risque de commettre un délit d'entrave.
💡 N'oubliez pas qu'en tant qu'employeur, vous êtes le garant de la sécurité des salariés de votre entreprise, même en temps de grève. Votre responsabilité pouvant être engagée sur ce terrain, vous devez prendre les mesures nécessaires pour que cette sécurité soit assurée. Les représentants du personnel peuvent pour accompagner dans cette démarche.
Comment réagir face à un mouvement de grève : Comment assurer la continuité de l'activité de l'entreprise ? Quelles sont les obligations de l'employeur ?
L'obligation de fournir du travail aux salariés non-grévistes
Leur contrat de travail n'étant pas suspendu, vous restez tenu de fournir du travail et de rémunérer les salariés non-grévistes, sauf à ce que vous justifiez d'une situation contraignante vous en ayant empêché (16).
Quelles actions peuvent être envisagées par l'employeur pour assurer la continuité de son activité pendant la grève ?
Un employeur, privé d'une partie de son équipe, peut se retrouver dans l'impossibilité de fournir du travail aux collaborateurs de son équipe, et par là-même, de respecter ses propres obligations contractuelles.
Il se peut aussi qu'un manager se retrouve en difficulté, en cas de grève, même avec une équipe au complet, à cause de la paralysie d'une partie de la chaîne de production.
Interdiction de procéder à des remplacements en externe
La réaction première, en cas de mouvement collectif, est souvent celle de penser au remplacement des grévistes. Néanmoins, il faut savoir que la loi impose des restrictions en la matière.
Dans le but d'éviter que l'action des grévistes perde en efficacité, il est en effet interdit de recourir :
- au travail temporaire (17) ;
- aux contrats à durée déterminée (CDD) (sauf exception) (18).
D'ailleurs, les intérimaires présents, même engagés avant l'annonce du mouvement de grève, ne sont pas non plus mobilisables pour pallier l'absence des grévistes (19).
Possibilité de muter temporairement des salariés et d'avoir recours à des heures supplémentaires
Dans le cadre de votre pouvoir de direction, vous pouvez cependant muter, temporairement, un salarié non gréviste au poste d'un salarié en grève (20) à qualification/compétence similaire et avec maintien de sa rémunération contractuelle.
Tout manager peut demander aux salariés non grévistes d'effectuer des heures supplémentaires, après une information-consultation du comité social et économique (CSE), à défaut, des délégués du personnel.
Recours à des contrats de sous-traitance
Vous êtes en droit de conclure des contrats de sous-traitance pour faire réaliser une partie de l'activité de l'entreprise.
Recours à des bénévoles
Toujours dans le but d'assurer la continuité de l'activité, vous pouvez accepter le concours de bénévoles pour remplacer des salariés grévistes (21).
Peut-on réquisitionner un salarié gréviste ?
Si la réquisition n'est, par principe, pas limitée aux services publics, les cas sont exceptionnels dans le privé.
En pratique, il faut qu'il y ait une atteinte suffisamment grave soit à la continuité du service public, soit à la satisfaction des besoins de la population pour qu'un tel procédé soit mis en place.
⚠ Il appartient, dans ce cas, au préfet du département de prendre les mesures imposées par l'urgence et proportionnées aux nécessités de l'ordre public (22) .
En effet, l'employeur ne tient d'aucune disposition légale le droit de réquisitionner des salariés grévistes pour assurer un service minimum de sécurité dans l'entreprise.
L'employeur peut-il fermer l'entreprise en période de grève ?
L'action de l'employeur qui consiste à fermer temporairement l'entreprise ou un service lorsque la poursuite d'une activité normale est rendue impossible à cause de la grève constitue ce que l'on appelle le "lock-out".
L'accès aux locaux ou aux lieux de travail est alors refusé aux salariés de l'entreprise, grévistes comme non-grévistes.
Le "lock-out" est en principe irrégulier puisqu'il traduit un manquement de l'employeur à son obligation contractuelle de fournir du travail aux salariés non-grévistes.
Toutefois, il peut être considéré comme licite dans certains cas exceptionnels (23).
Le point sur les propositions de loi visant à restreindre la liberté du droit de grève dans le secteur des transports
Une première proposition en avril 2024
Le 9 avril 2024, le Sénat a adopté une proposition de loi visant à concilier la continuité du service public de transports avec l'exercice du droit de grève (24).
Le projet souhaitait instaurer la possibilité, pour le Gouvernement, de prévoir des périodes (30 jours maximum par an) pendant lesquelles les salariés indispensables au bon fonctionnement des services publics de transports (terrestres ou ferroviaires) n'auraient pas pu faire grève, sur certaines tranches horaires.
Avancement de l'examen du texte : la constitutionnalité de cette proposition de loi a été mise en doute, et le Gouvernement de l'époque n'y était pas favorable. De fait, elle n'a pas été examinée par l'Assemblée nationale.
Une seconde proposition en novembre 2024
Tout récemment néanmoins, une autre proposition de loi visant à restreindre la possibilité d'exercice du droit de grève dans le secteur des transports (25) a été déposée à l'Assemblée nationale le 19 novembre 2024.
🔍 Portée par le député Olivier Marleix de la Droite Républicaine, le texte prévoit l'impossibilité, pour les personnels des secteurs public et privé des transports en commun, d'exercer leur droit de grève :
- la veille et jusqu'au lendemain des jours fériés ;
- les 2 premiers et les 2 derniers jours de chaque période de vacances scolaires.
Avancement de l'examen du texte : le texte a été renvoyé à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. Affaire à suivre...
(1) Cass. Soc. 16 mai 1989, n°85-43359
(2) Cass. Soc. 22 octobre 2014, n°13-19858
(3) Article L2521-2 du Code du travail
(4) Article L2522-1 du Code du travail
(5) Cass. Soc. 21 juin 1984, n°82-16596
(6) Cass. Soc. 26 février 1992, n°90-40760
(7) Cass. Soc. 16 mai 1989, n°86-43399
(8) Cass. Soc. 8 juillet 1992, n°89-42563
(9) Cass. Soc. 8 juill. 1992, n°89-42563
(10) Cass. Soc. 9 juillet 2015, n°14-12779
(11) Cass. Soc. 19 mai 1998, n°97-41900
(12) Cass. Soc. 7 janvier 1988, n°84-42448
(13) Article R3243-4 du Code du travail
(14) Article L2511-1 du Code du travail
(15) Cass. Soc. 23 novembre 2022, n°21-19722
(16) Cass. Soc. 11 mars 1992, n°90-42817
(17) Article L1251-10 du Code du travail
(18) Article L1242-6 du Code du travail
(19) Cass. Soc. 2 mars 2011, n°10-13634
(20) Cass. Soc. 15 février 1979, n°76-14527
(21) Cass. Soc. 11 janvier 2000, n°97-22025
(22) Article L2215-1 du Code général des collectivités territoriales
(23) Notamment Cass. Soc. 18 janvier 1979, n°77-40982
(24) Proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à concilier la continuité du service public de transports avec l’exercice du droit de grève, n°2453
(25) Proposition de loi visant à interdire les grèves dans les transports en commun la veille des vacances scolaires et les jours fériés, n°602
merci c’est très utile