Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendu par la Cour d’Appel d’Aix en Provence en ce mois de novembre 2021 et qui vient aborder la problématique particulière du bien fondé d’un licenciement pour faute grave, alors même que le salarié, serveur dans un bar, aurait été sanctionné pour des faits de vol de recette au détriment de son employeur.


Quels sont les faits ?

Dans cette affaire et selon un contrat à durée déterminé du 21 septembre 2012, Madame T avait été recrutée par Madame F exerçant en nom personnel en bar PMU, dans une ville du littoral. Donc, elle était l’employée de bar. 

Leur relation de travail s’est ensuite poursuivie sous la forme d’un contrat à durée indéterminé et 4 ans plus tard, soit le 03 février 2016, elle a fait l’objet d’une mise à pied conservatoire. 

Par la suite, le 25 février 2016, Madame T avait été licenciée pour faute grave en l’espèce des faits de vol de recette au détriment de son employeur. 

Madame T, contestant les faits, a immédiatement saisi le conseil des prudhommes d’une contestation de son licenciement. 

 

Licenciement pour faute grave pour vol de recette

Or, par jugement en date du 17 septembre 2017, le conseil des prudhommes avait dit juger le licenciement pour faute grave, Madame T, parfaitement caractérisé et condamné cette dernière au paiement de la somme de 500.00¤ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Que pour autant, tout n’avait pas été joué en première instance et Madame T avait bien fait de faire appel de cette décision. 

En effet à hauteur de Cour, Madame T souhaitait naturellement l’infirmation du jugement, et considérait que son employeur n’avait établi aucune faute grave imputable à son égard. 

 

La nécessaire démonstration de la faute grave 

Le vol allégué en question n’était en rien caractérisé ni aucune clause réelle et sérieuse du licenciement au regard de l’absence de tout passé disciplinaire de la salariée en plus de 3 années de collaboration et de l’absence de tout préjudice établi pour l’établissement. 

 

Une salariée relaxée des faits de vol de recette au niveau pénal

Surtout, il importait de préciser que la plainte que l’employeur avait déposée à l’encontre de la demanderesse avait finalement fait l’objet d’un jugement de relaxe par le tribunal correctionnel. 

La salariée soutenait, quant à elle, qu’il apparaissait que la rupture du contrat de travail intervenait peu de temps avant la fin d’un versement de subvention étatique à l’employeur dans le cadre d’un contrat de génération. 

La demanderesse atteignant alors l’âge de 25 ans. 

Dès lors, cette dernière considérait que le licenciement pour faute grave, qui avait été notifié, devait être analysé comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse. 

 

Les demandes judiciaires de la salariée licenciée à tort

L’employeur devant alors être condamné à verser à la salariée un rappel de salaire pour la période de mise à pied, une indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents ainsi qu’une indemnité de licenciement. 

Elle sollicitait par ailleurs, la condamnation de l’employeur à des dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de son licenciement abusif et du caractère de la rupture de son contrat de travail, outre l’attitude déloyale de l’employeur. 

En effet, elle considérait qu’elle avait été licenciée comme une malpropre et in fine les faits de vol de recette étaient comme de rien tombés à pic après 3 ans de bons et loyaux services au sein de l’entreprise pour finalement caractériser un licenciement pour faute grave. 

 

La relaxe des faits de vol et le bien fondé du licenciement

Madame T avait tout naturellement contestée le bien fondé de l’infraction pénale, tant devant la juridiction pénale pour laquelle elle a obtenu un jugement de relaxe, ce qui n’est quand même pas rien, que devant la juridiction prudhommale puisqu’elle considérait que cette infraction avait été créée de toute pièce dans le seul but de salir sa réputation et de fonder juridiquement un licenciement pour faute grave. 

Fort heureusement, la plainte pénale, véritable épée de Damoclès pouvant justifier toute forme de licenciement et notamment licenciement pour faute grave, n’est pas forcément acquis de droit ni révélateur d’une faute, et ce à plusieurs titres.

 

Une plainte pénale insuffisante à caractériser le licenciement pour faute grave

Premièrement, il n’échappera pas au lecteur attentif que, sur le terrain pénal, la salariée n’a pas été condamnée, elle a été au contraire, relaxée. 

Deuxièmement, l’infraction pénale, était quant à elle, plus que remise en question. 

S’il est vrai que la juridiction prudhommale n’est pas tenue par le sort de la procédure pénale et n’en demeure pas moins qu’il est bien évident que le sort de la décision pénale ne pouvait qu’impacter la conviction du juge prudhommal fut ce t’il à hauteur de Cour d’Appel.

En effet la Cour d’Appel évoque, en tant de besoin, que Madame T, la salariée, qui contestait la validité de son licenciement pour faute grave, exposait qu’effectivement en 3 années de collaboration dans cet établissement, elle n’avait jamais fait l’objet de la moindre observation ni sanction disciplinaire.

Ce qui n’est pas sans importance. 

Le passif des relations salariales avec son employeur a quand même vocation à être pris en considération. 

La salariée expose que la circonstance qu’elle ait conservé dans son tablier de service des espèces correspondants à des règlements de consommations, ne peut suffire à considérer qu’elle a commis un vol au préjudice de son employeur. 

La salariée soutenant en effet que lorsqu’elle devait travailler seule au bar, en salle ou encore en période de forte affluence, afin de ne pas faire attendre la clientèle, comme le lui demandait son employeur, avait comme habitude comme d’autres salariés d’ailleurs de regrouper les enregistrements des consommations en encaissement pour les recouvrer plus tard pendant les moments de moindre affluence. 

En revanche, elle enregistrait toujours l’intégralité des consommations et des règlements avant la fin de son service, remplissant les bons et bordereaux et remisait donc les fonds au coffre. 

 

L’enregistrement des commandes en fin de service

Cependant, la salariée apporte des précisions importantes concernant les faits litigieux et puisqu’elle indique que le 03 février 2016, elle a été interpellée par sa direction avant d’avoir fini son service alors qu’elle n’avait pas encore rempli les différents bons et bordereaux correspondants à la recette réalisée ni remis l’argent dans le coffre sécurisé, ce qu’elle devait faire avant de quitter l’établissement. 

Les faits de vol ne pouvaient lui être reproché puisqu’elle n’avait pas quitté son poste de travail et que les espèces litigieuses étaient dans son tablier de service donc son outil de travail et en aucun cas dans ses affaires personnelles. Ce qui est un point crucial. 

La salariée s’étonnant que Madame F, qui a indiqué dans la lettre de licenciement, qu’elle avait constaté depuis plusieurs semaines par le biais d’un système de vidéosurveillance, qu’elle aurait procédé de la même façon depuis plusieurs semaines, ne s’en soit pas préoccupé plus tôt. 

Si effectivement cette pratique n'était pas conforme au fonctionnement de l’établissement et aux instructions données au personnel, l’employeur aurait dû réagir plus rapidement,

La salariée rappelle qu’elle a été relaxée par la tribunal correctionnel pour ces faits. 

Elle précise que pour lui reprocher des vols pour près de 4000.00¤ de café en 2 mois, l’employeur produit au débat, des témoignages partiaux et un procès-verbal de constat parfaitement contestable puisqu’il ne porte que sur une heure de visionnage d’enregistrements issus du système de vidéosurveillance alors que l’employeur n’hésitait pas à soutenir que cela faisait plusieurs mois que cette dernière subtilisait la recette. 

Non seulement la salariée justifie que la démonstration faite d’un vol n’est pas caractérisée d’autant plus que l’argent n’a jamais finalement quitté son tablier de service et donc son outil de travail. 

Elle vient surtout soutenir, comme elle l’avait évoqué dans la juridiction correctionnelle, qui avait d’ailleurs amené la décision de relaxe, que la pratique qui lui a été reprochée par son employeur avait été mise en place par celui-ci pour faire ensuite l’enregistrement en fin de service et par ce biais ventiler la monnaie qui été encaissée et donc de choisir ce qui pouvait être déclaré ou ce qui ne l’était pas. 

De l’argent dissimulé à la demande et au profit de l’employeur

L’employeur soutenant devant la Cour, malgré tout, qu’elle était fondée à procéder au licenciement pour faute grave de Madame T en raison des faits de vol de recette commis par celle-ci à savoir la délivrance de consommation des clients sans édition de tickets de caisse et la conservation des paiements reçus. 

L’employeur, n’hésitant pas à soutenir également que Madame T, tant il avait été constaté qu’elle était en possession de fond dans son tablier, sans les tickets de caisse correspondants, ne pouvait soutenir qu’elle entendait par soucis de rapidité, éditer un ticket global récapitulatif des consommations. 

 

Un ticket global pour l’ensemble des encaissements

Cette manière nécessitant de se rappeler plusieurs heures après les consommations des clients, alors même que la salariée reconnaissait faire comme tout le monde. 

De telle sorte que, la relaxe obtenue devant la juridiction correctionnelle ne devait pas impacter la décision prudhommale. 

La juridiction prudhommale devant laquelle, les règles de relatives à l’administration des preuves, sont moins exigeantes et elle n’est pas tenue par la décision de relaxe. 

D’autant plus que l’employeur se fondait sur plusieurs témoignages, qu’elle versait au débat afin de caractériser les faits de vol reprochés à son employée. 

Fort heureusement, la Cour d’Appel d’Aix en Provence ne partage pas cette analyse.

Cette dernière rappelle qu’il est de jurisprudence constante que les décisions pénales ont, au civil, l’autorité absolue relativement à ce qui a été jugé qu’en à l’existence de l’infraction et à la culpabilité de la personne poursuivie. 

En l’espèce, il ressortait quand même clairement de la lettre de licenciement qui fixe les termes du litige, que Madame T avait été licencié pour faute grave en raison des faits de vol, l’espèce commis au détriment de son employeur au cours des semaines précédant sa mise à pied du 03 février 2016. 

Or, le 19 mai 2017, Madame T comparaissait devant le tribunal correctionnel pour avoir entre le 1er décembre 2015 et le 03 février 2016, commis des faits de vol de numéraires pour un montant de 4000.00¤, ce qui représente un très grand nombre de café, à raison de 1.50¤ à 2.00¤ celui-ci, au préjudice de son employeur. 

Elle a été finalement relaxée des fins de la poursuite. 

 

La relaxe pénale, élément déterminant de la cause du licenciement

Dès lors, ces faits de vol de numéraires qui constituent l’unique motif de licenciement de Madame T ne pouvaient être invoqués par l’employeur pour justifier du bien fondé du licenciement pour faute grave de cette salariée. 

La rupture du contrat de travail de Madame T s’avérant en conséquence dépourvue de cause réelle et sérieuse. 

 

Un licenciement sans cause réelle et sérieuse

Compte tenu de son ancienneté et de sa rémunération moyenne au cours des douze derniers mois, précédant la rupture du contrat de travail, Madame T a donc été largement indemnisé du préjudice qu’elle a subi. 

Ce qui ne peut être que satisfaisant. 

La Cour déclarant l’appel de la salariée recevable, infirmant le jugement prudhommal en ce qu’il avait rejeté le licenciement fondé, dit que la destitution de Madame T pour faute grave est dénuée de cause réelle et sérieuse.

L’employeur a été condamné à payer près de 15 000.00¤ de dommages et intérêts en tout et pour tout. 

Cette décision est intéressante car finalement le vol d’un salarié dans son entreprise, malgré tout, demeure un cas fréquent.

 Cependant, ceci doit être clairement caractérisé pour justifier d’un licenciement pour faute grave et il doit également être corroboré par un suivi pénal qui viendra étayer le bien fondé du licenciement. 

Force est de constater que la salariée a su parfaitement démontrer que l’infraction n’était pas caractérisée dans la mesure ou le licenciement était fondé sur cette seule faute. 

Le juge civil ou juge prudhommal n’est pas tenu par la décision pénale, il n’en demeure pas moins comme à chacun sait suivant l’adage pénal que cela ne tient pas le civil en l’état. 

En l’absence total d’infraction pénale caractérisée, il est bien évident que le licenciement pour faute grave qui ne reposait que sur ce seul fait, ne peut tenir et c’est donc à juste droit que la Cour d’Appel d’Aix en Provence a décidée que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

La salariée fut alors indemnisée de ce chef, 

 

par Maître Laurent LATAPIE

Avocat, Docteur en Droit