La loi du 5 juillet 1985 a créé un système de responsabilité autonome dans un souci d'indemnisation systématique des victimes (non-conducteurs).

Pour bénéficier de ce droit à indemnisation, trois conditions sont nécessaires : un accident de la circulation, un véhicule terrestre à moteur et l'implication de ce véhicule dans l'accident.

L'accident de la circulation, au sens de l'article 1er de la loi, fait l'objet d'une interprétation jurisprudentielle extensive. Le véhicule terrestre à moteur est, classiquement, celui qui circule sur le sol grâce à une force motrice quelconque.

L'implication est le point central du dispositif. Il y a implication dès qu'un véhicule est intervenu à quelque titre que ce soit dans un accident de la circulation. L'implication est également retenue dès qu'il y a imputabilité du dommage à l'accident, il y a alors présomption de causalité.

La victime non-conductrice est entièrement indemnisée pour ses préjudices corporels. Seule la faute inexcusable ou la recherche volontaire du dommage fait perdre à la victime son droit à indemnisation. Les préjudices matériels des victimes non-conducteurs et tout préjudice des victimes-conducteurs font l'objet d'une indemnisation relative en cas de faute.

Cette faute peut limiter ou exclure l'indemnisation de la victime. Lorsque l'accident a plusieurs coauteurs, les recours entre ceux-ci obéissent à un régime différent selon qu'ils sont « impliqués » ou non « impliqués ». Un fauteuil roulant électrique, dispositif médical destiné au déplacement d’une personne en situation de handicap, n’est pas un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985.

La Cour de cassation ne s’était jamais prononcée sur la qualification d’un fauteuil roulant électrique impliqué dans un accident de la circulation. Seule une réponse ministérielle indiquait qu’un fauteuil roulant électrique était assimilable à un véhicule terrestre à moteur au sens du Code des assurances, à la condition qu’il soit capable de rouler à plus de 6 km.

Dans la présente affaire, elle avait d’ailleurs refusé de transmettre une QPC sur la qualification de fauteuil roulant comme véhicule terrestre à moteur, relevant notamment « l’absence d’interprétation jurisprudentielle constante des dispositions législatives contestées ». M. c/ SAM Areas dommages et a. : JurisData n° 2020-015511 ; V. Resp. civ. et assur. 2020, comm. 206, L. Bloch). Dans un arrêt du 6 mai 2021, qui sera publié au rapport, la Cour de cassation juge qu’un fauteuil roulant électrique est un dispositif médical destiné au déplacement d’une personne en situation de handicap et n’est pas un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985.

La Cour s’appuie sur la loi Badinter de 1985 telle qu’interprétée à la lumière des objectifs assignés aux États par la Convention internationale des droits des personnes handicapées de 2007 (L. n° 85-677, 5 juill. 1985, art. 1er, 3 et 4). Elle rappelle que la loi de 1985 a instauré un dispositif d’indemnisation sans faute des victimes d’accident de la circulation.

Mais le législateur, estime la Cour, prenant en considération les risques associés à la circulation de véhicules motorisés, a entendu réserver une protection particulière à certaines catégories d’usagers de la route : les piétons, les passagers transportés, les enfants, les personnes âgées et celles en situation de handicap.

Elle en déduit donc qu’un fauteuil roulant électrique étant un dispositif médical destiné au déplacement d’une personne en situation de handicap, il ne peut pas être considéré comme un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi Badinter. Le conducteur d’un tel engin ne peut donc voir le montant de son indemnisation réduit en raison d’une faute de sa part. lorsqu’il est impliqué dans un accident de la circulation, c’est le régime de la responsabilité sans faute qui doit lui être applicable.

En l’espèce, la requérante a été victime d’un accident de la circulation impliquant un véhicule assuré, alors qu’elle se déplaçait en fauteuil roulant. Elle a assigné l’assureur qui refusait de l’indemniser de ses blessures subies au motif qu’elle aurait commis une faute exclusive de son droit à indemnisation en réparation de ses préjudices.

La cour d’appel a retenu que le fauteuil étant muni d’un système de propulsion motorisée, d’une direction, d’un siège et d’un dispositif d’accélération et de freinage, il avait vocation à circuler de manière autonome. Il répondait donc à la définition de véhicule terrestre à moteur au sens du Code des assurances ( C. assur., art. L. 211-1 ). Elle avait déduit de cette interprétation que la victime, conductrice du fauteuil roulant électrique, devait voir son droit à indemnisation réduit en raison de la faute qu’elle avait commise.

 

 

I. Conditions d’application de la loi du 5 juillet 1985

En premier lieu, la Cour de cassation rappelle l’article 1er de la loi dite Badinter qui énumère les conditions d’application de loi, à l’exception de la condition d’imputabilité du dommage à l’accident ajoutée par la jurisprudence, qui ne distingue pas selon la présence ou non d’un contrat liant responsable et victime et qui exclut du champ du régime les véhicules circulant sur une voie propre. Sur ce point, la décision n’appelle pas de remarque particulière.

Elle revient ensuite sur les règles en matière d’opposabilité de la faute à la victime d’un accident de la circulation. Sur ce point, la loi distingue selon la qualité de la victime – conductrice ou non – et selon la nature de l’atteinte subie, à la personne ou au bien.

La victime qui revêt la qualité de conducteur se voit opposer sa faute, quelle que soit l’atteinte subie dans les mêmes conditions qu’en droit commun de la responsabilité (v. art. 4 de la loi).

La victime qui a la qualité de non-conducteur se voit également opposer sa faute simple si elle demande réparation d’une atteinte aux biens (art. 5 de la loi).

En revanche, la faute simple n’est pas opposable aux victimes non conductrices ayant subi un dommage corporel. Dans ce cas, une distinction s’opère entre les victimes « super privilégiées » et les victimes « simplement privilégiées ».

Les premières sont âgées de moins de 16 ans ou de plus de 70 ans ou présentent un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité au moins égal à 80 % : seule leur faute intentionnelle leur est opposable (art. 3, al. 2, de la loi). Les secondes ont entre 16 et 70 ans ou présentent un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité inférieure à 80 % : leur faute intentionnelle (art. 3, al. 3, de la loi) et leur faute inexcusable cause exclusive de l’accident (art. 3, al. 1) leur sont opposables.

On comprend alors l’enjeu pratique de la détermination de la qualité de la victime en l’espèce puisque celle-ci demande réparation de dommages corporels alors qu’elle a commis une faute qui a contribué à son dommage.

De sa qualification dépend l’étendue de son droit à réparation : si elle revêt la qualité de conducteur, la réparation de ses préjudices sera partielle, si elle a la qualité de non-conducteur, la réparation sera intégrale. Afin de savoir à quelle catégorie de victimes elle appartient, il convient donc, en amont, de déterminer si le fauteuil roulant est un VTM ou non.

 

II. L’exclusion du fauteuil roulant électrique de la définition de VTM au sens de la loi du 5 juillet 1985

La Cour de cassation rappelle que le dispositif d’indemnisation qu’est la loi du 5 juillet 1985 est un régime sans faute.

Elle précise également que le législateur a pris en compte les risques associés à la circulation de véhicules motorisés et a voulu réserver une protection particulière à certaines catégories d’usagers de la route tels que les piétons, les passagers transportés, les enfants, les personnes âgées et celles en situation de handicap.

Elle relève par ailleurs que le fauteuil électrique est un dispositif médical dont l’objectif est de permettre le déplacement d’une personne handicapée, ce qui l’exclut de la catégorie des véhicules terrestres à moteur.

Par voie de conséquence, si le fauteuil roulant n’est pas un véhicule, la personne handicapée qui l’utilise ne peut pas avoir la qualité de conducteur. Il en résulte qu’en application de l’article 3 de la loi, sa faute lui est inopposable.

Pour autant, était-il si évident d’arriver à la conclusion que la victime handicapée qui se déplace sur un tel dispositif ne devait pas être considérée comme conductrice ? Humainement, oui, techniquement, pas forcément.

L’équilibre entre l’application rigoriste de la définition du véhicule terrestre à moteur et la volonté de protéger les victimes d’accident particulièrement vulnérables n’est pas évidente.

Il n’existe pas de définition du VTM dans la loi du 5 juillet 1985. Le législateur semble s’en être remis à la définition du code des assurances. Selon l’alinéa 1er de l’article 211-1, le VTM correspond à « tout véhicule terrestre à moteur, c’est-à-dire tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique sans être lié à une voie ferrée, ainsi que toute remorque, même non attelée ».

Une autre définition se trouve également dans le Code de la route. L’article L. 110-1 dispose que « le terme de “véhicule à moteur” désigne tout véhicule terrestre pourvu d’un moteur à propulsion, y compris les trolleybus, et circulant sur route par ses moyens propres, à l’exception des véhicules qui se déplacent sur rails ».

Notons que le Code de la route envisage la situation des fauteuils roulants et opère une distinction selon que ceux-ci sont manuels ou électriques à l’article R. 412-34, II. Si la personne handicapée qui se déplace en fauteuil manuel est considérée comme un piéton, la personne se déplaçant sur un fauteuil électrique ne l’est que si elle roule « à l’allure du pas ». Dans le cas contraire, elle revêt la qualité de conducteur.

La question se pose alors de savoir si la définition jurisprudentielle du VTM au sens de la loi Badinter est identique à ces définitions légales.

La Cour de cassation, par une démarche casuistique, a adopté, comme souvent en la matière, une conception souple de la notion de VTM. Pour le définir, elle ne tient compte ni de la vitesse à laquelle il circule ni des caractéristiques du conducteur, pas plus qu’elle n’exige que le véhicule soit assuré de façon effective.

Elle a notamment considéré qu’une tondeuse à gazon autoportée et qu’une mini-moto étaient des VTM au sens de la loi.

Une application stricte de la définition du VTM, notamment au regard des définitions légales, aurait pu conduire les juges du droit à reconnaître que le fauteuil roulant électrique était un VTM et que la victime avait la qualité de conductrice. En ayant un moteur et la possibilité de circuler sur la voie publique comme tout autre véhicule, la personne qui le man½uvre participe aux risques de la circulation.

Mais l’esprit de la loi impose, à l’inverse, un rejet de cette solution puisque l’idée du législateur était avant tout de protéger les victimes vulnérables de ce type d’accidents, a fortiori lorsqu’elles sont victimes de dommages corporels. D’ailleurs, le projet de réforme de la responsabilité civile prévoit d’abandonner la distinction de régime en cas de dommages corporels selon que la victime est conductrice ou non.

Le fauteuil roulant, électrique ou manuel, est avant tout un dispositif médical qui vient aider une personne qui a perdu tout ou partie de ses facultés motrices. Plus qu’un véhicule, c’est un moyen de se mouvoir quand il n’est pas possible de le faire avec son corps. En ce sens, ce serait la vulnérabilité de la victime qui primerait sur la nature du moyen utilisé pour se déplacer.

Sources :

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000037196685?init=true&page=1&query=17-19.738++&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007628185?init=true&page=1&query=01-11.655&searchField=ALL&tab_selection=all

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