Dans le cadre d’un contentieux de copropriété, dont l’un des copropriétaires est en redressement judiciaire, le préjudice de jouissance dont ce dernier est débiteur, constitue-t-elle une créance postérieure utile devant être payée en priorité ? 

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour de cassation en mars 2021 et qui vient aborder le sort et le cas spécifique de la créance de jouissance, à savoir, une créance indemnisant un préjudice de jouissance dans le cadre d’un contentieux de copropriété. 

 

Quels sont les faits ? 

Dans cette affaire, Madame D, propriétaire d’un appartement situé en dessous de celui appartenant à la SCI N, a déplorée des dégâts des eaux en provenance de l’appartement de la SCI et les désordres ont persisté en dépit des travaux effectués par la SCI en novembre 2013. 

Un expert, désigné en référé a alors conclu par un rapport du 26 novembre 2015 qu’il existait trois sources de fuites en provenance de l’appartement de la SCI. 

 

Contentieux de copropriété et redressement judiciaire

C’est dans ces circonstances que Madame D et le syndicat des copropriétaires ont alors assigné la SCI en réparation des différents préjudices subies, 

Étant précisé que ladite SCI N avait été mise en redressement judiciaire le 22 septembre 2016, et a, par la suite, présenté un plan de redressement qu’elle a obtenue. 

Dans pareille circonstance, Madame D, et le syndicat des copropriétaires ont également appelé en cause, le mandataire judiciaire et l’administrateur judiciaire en charge de la procédure collective, afin, non seulement, de voir exécuter les travaux de remise en état, mais également, et surtout, d’obtenir l’indemnisation des préjudice subis. 

 

La liquidation judiciaire de la SCI

Or, la SCI mise en redressement judiciaire est passé en liquidation judiciaire et la SCI et son liquidateur faisaient grief à l’arrêt de la cour d’appel d’avoir condamnée la SCI à payer à Madame D la somme de 2 170,00 ¤ au titre du préjudice de jouissance pour la période postérieure au 22 septembre 2016.

Or, pour le mandataire liquidateur, en vertu de l’article L622-17 du code du commerce, les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance.

Il est vrai qu’il s’agissait d’une créance née avant l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, certes, mais qui avait perduré après son ouverture, et ce, plus de 19 mois durant, allant du redressement judiciaire à l’adoption du plan, il est admis en jurisprudence que les créances quasi-délictuelles nées postérieurement au jugement d’ouverture entrent dans les prévisions de l’article L622-17 du code de commerce (ancien article 40), de sorte qu’il s’agirait d’une créance postérieure qui doit faire l’objet d’une condamnation pure et simple à réparer le préjudice de jouissance subi par Madame D.

 

Une créance postérieure utile ? 

Cependant, à bien y réfléchir, cette créance d’indemnisation contre la SCI n’était pas née pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, de telle sorte que la cour d’appel aurait violé l’article L622-17, L622-22 et L622-24 du même code. 

La question qui se pose alors et de savoir si la créance de préjudice de jouissance était-elle une créance de postérieure utile ou non, au sein de la procédure collective ? 

Or, il convient de rappeler les dispositions des articles L622-17 et L622-24, alinéa 5, du code du commerce, rendus applicables au redressement judiciaire au travers de l’article L631-14. 

Selon ces textes, pour être payable à son échéance, une créance doit être née après le jugement d'ouverture du redressement judiciaire, pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur. 

A défaut, elle doit suivre la procédure instituée par le second texte susvisé.

Selon ces textes, pour être payable à son échéance, une créance doit être donnée après le jugement d’ouverture du redressement judiciaire, pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation donnant en contrepartie une prestation fournie au débiteur ou à la procédure instituée par le second texte susvisé, institué par l’article L622-24 du code du commerce. 

Dès lors, pour condamner la SCI à payer à Madame D la somme de 2170¤ au titre du préjudice de jouissance subit par cette dernière pour la période postérieure au 22 septembre 2016, date prononcée du redressement judiciaire, l’arrêt de la cour d’appel retenait que pour la période de 19 mois, allant du redressement judiciaire à l’application du plan, les créances quasi-délictuelles déposées en amont du jugement d’ouverture, entrent dans les prévisions L622-17 du code du commerce et doivent donc faire l’objet d’une condamnation pure et simple. 

Or, la Cour de cassation considère que la créance d’indemnité destinée à réparer le trouble de jouissance subit par Madame D, en raison des fuites provenant de l'appartement de la SCI, ne répondait pas aux besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation et ne constituait pas non plus la contrepartie d'une prestation fournie à la SCI débitrice.

La messe est dite.

Ces jurisprudences sont intéressantes et reviennent sur la notion de créance postérieure utile à la procédure collective. 

Ainsi, dans le cadre d’un contentieux de copropriété entre différents copropriétaires, la créance indemnisant le préjudice de jouissance même postérieur à l’ouverture du redressement judiciaire du copropriétaire responsable dudit trouble, pour un des copropriétaires, subissant un dommage du fait du débiteur, n’est pourtant pas une créance postérieure utile. 

A bon entendeur, 

 

par Maître Laurent LATAPIE

Avocat, Docteur en Droit