Deux époux séparés de biens acquièrent un bien en indivision pour en faire leur logement familial. Le mari apporte des fonds importants pour la part de son épouse sur ses deniers personnels. Sommes-nous en présence de contribution aux charges du mariage, ou bien de sur-contribution aux charges rapportables ? La donation faite par le mari est-elle une donation rémunératoire ? Petit rappel de la notion de donation rémunératoire entre époux, de ses critères et conditions, et de ses enjeux.

Il convient de s’intéresser à la jurisprudence qui a été rendue par la Première Chambre Civile de la Cour de cassation le 9 février 2022, qui vient aborder l’importance et le sort des intérêts patrimoniaux des époux dans le cas d’une procédure de divorce, qui est un point extrêmement important.

Il convient de citer à cet égard Claude-Joseph DE FERRIERE qui écrivait en 1739 : « quoique l’amour puisse par son aveuglement rendre égales les personnes du plus bas étage à celles qui sont d’un rang très distingué, les lois ont cru devoir mettre quelques freins à des alliances d’une trop grande inégalité, et ont regardé ces sortes d’habitudes avec indignation ».

(je remercie l’étudiant de M1 de la faculté de Droit de Toulon auquel j’enseigne comme chargé d’enseignement en droit des régimes matrimoniaux, M. M.M. qui m’a fait part de cette jolie réflexion, j’espère qu’il se reconnaîtra).

 

Quels sont les faits ?

Dans cette affaire, deux époux s’étaient mariés sous le régime de la séparation de biens et ont acquis un bien immeuble en indivision pour en faire leur logement familial. 

Le mari apportant alors des fonds pour la part de son épouse sur ses deniers personnels car celle-ci n’était pas en mesure, en l’état des inégalités de revenus, de participer à cet investissement.

 

Les apports personnels du mari au profit du logement familial

Le mari étant par la suite décédé, deux des quatre enfants du défunt, nés d’un précédent lit, assignent leurs cohéritiers en partage à la succession. 

Ils contestent alors le caractère de donation rémunératoire de la somme importante qui avait été donnée par leur père de son vivant à son épouse et réclament la part que leur père avait payée à la place de son épouse pour acquérir le bien indivis.

La Cour d’appel les avait déboutés de leur demande considérant que la somme litigieuse compensait l’activité ménagère de la veuve et que l’apport en capital du père, dont le bien indivis entrait dans la contribution aux charges du mariage, pouvait caractériser une donation rémunératoire.

 

Apport en capital de l’époux, contribution aux charges du mariage ? 

C’est dans ces circonstances qu’un pourvoi a été formé, et qu’à hauteur de Cour de cassation plusieurs questions se posaient.

En effet, premièrement, la question était de savoir si la donation pécuniaire de l’époux au profit de son épouse pouvait être qualifiée de donation dite rémunératoire en compensation du travail et de son investissement que celle-ci fournissait au sein du foyer.

 

Donation rémunératoire entre époux

Et, deuxièmement, la question se posait de savoir si l’apport de l’époux en capital pour l’acquisition de l’immeuble indivis à usage familial devait-il être considéré comme une contribution aux charges du mariage ou non.

 

Contribution ou sur-contribution aux charges du mariage ? 

Il convient de rappeler qu’au visa de l’article 214 du Code Civil, la contribution aux charges du mariage est faite à proportion des facultés respectives de chaque époux, sauf disposition d’une clause contraire insérée dans le contrat de mariage. 

Cependant, la question se posait de savoir s’il y avait matière à distinguer et à dissocier la notion de contribution aux charges du mariage de la donation rémunératoire faite entre époux.

On entend par donation rémunératoire, la donation consentie par un époux en récompense d’un service que le donateur lui a rendu antérieurement. 

 

Qu’est-ce qu’une donation rémunératoire ?

Contrairement à la donation pure et simple, qui est une donation libérale sans contrepartie, la donation rémunératoire est faite au donateur contre services rendus.

Dès lors, il convient de s’intéresser à la portée de la notion de donation rémunératoire par rapport à la notion de contribution aux charges du mariage.

A bien y comprendre la Cour de cassation, dans sa jurisprudence, la donation rémunératoire peut se comprendre comme étant une sur contribution d’un des époux qui excède la contribution aux charges du mariage et par cet excès de contribution, l’époux concerné peut malgré tout se voir octroyer une donation rémunératoire par l’autre époux.

Supprimant ainsi l’idée d’une sur-contribution,

Surtout si celle-ci s’apparente à une donation d’un bien ou d’une somme d’argent.

 

Quelles sont les formes de donations rémunératoires ?

Cette donation n’est pas forcément pécuniaire, elle peut également se matérialiser par une donation en nature à travers l’apport d’un bien mobilier ou d’un bien immobilier.

Ainsi plusieurs jurisprudences sont venues consacrer la donation rémunératoire pour l’acquisition d’un bien immobilier, par l’apport de fonds importants, et parfois même le financement d’un compte joint.

A plusieurs reprises, la Cour de cassation a considéré que des revenus versés par un mari pouvaient constituer une donation rémunératoire et non une donation déguisée, pouvant s’assimiler à la notion de contribution aux charges du mariage de l’époux, dès lors que l’épouse exerçait une activité familiale au sein du foyer, de telle sorte que celle-ci excédait par sa participation l’obligation aux charges du mariage, dont résulte la donation rémunératoire versée par l’époux. 

Ainsi, la Cour de cassation revient sur cette notion et insiste sur le conditionnement de la donation rémunératoire.

 

Quelles conditions pour une donation rémunératoire ? 

En effet, dans cette affaire, l’épouse s’était vu refuser par son mari la possibilité d’ouvrir un cabinet de publicité, alors que celle-ci aurait pu, par ses qualifications professionnelles, faire carrière dans ce domaine et obtenir des revenus conséquents durant sa carrière ainsi que des droits de retraite.

Cependant, celle-ci avait cessé toute activité professionnelle à l’âge de 39 ans afin de se consacrer à sa vie maritale, notamment dans l’éducation des enfants, donnant par là-même du temps libre à son conjoint pour que celui-ci puisse gérer ses affaires et réussir sa carrière.

Il convient de préciser que la Cour de cassation a déjà consacré, à plusieurs reprises, la notion de donation rémunératoire et notamment à travers une ancienne jurisprudence reprise dans l’arrêt en question, qui avait rappelé que la donation rémunératoire pouvait être conditionnée par l’abandon de la carrière professionnelle pour se livrer à l’entretien du domicile conjugal et l’éducation des enfants.

 

Une donation rémunératoire outrepassant l’obligation de contribution aux charges

Dès lors que cette assistance conditionnait le fait d’outrepasser l’obligation de contribution aux charges du mariage, cela constituait la cause des versements réalisés par l’époux qui s’apparentaient, dans ce cas, à une donation rémunératoire.

Dans la jurisprudence qui nous occupe, la Cour de cassation précise encore que l’épouse avait abandonné sa carrière professionnelle pour se consacrer à sa vie matrimoniale et permettre à son mari de gérer ses affaires, ce qui avait valu à l’épouse de perdre des revenus conséquents et des droits à la retraite.

De telle sorte que cette donation était une donation rémunératoire, mise à la disposition par le défunt, et avait donc bien pour cause la volonté par ce dernier de compenser les sacrifices et l’intense activité au foyer exercée par son épouse, ce qui avait eu pour effet d’affecter la contribution aux charges du mariage, de fait en y sur contribuant.

 

Une donation rémunératoire pour compenser les sacrifices de l’épouse ? 

Ainsi, l’intention libérale de l’époux est consacrée par cette donation rémunératoire qui vise à compenser, voire à récompenser, les sacrifices de l’épouse au profit du foyer et au profit de son mari qui, quant à lui, a su mettre en avant sa carrière professionnelle et mener à bien ses projets de développement.

 

L’apport de fonds personnels exclu de la contribution aux charges

Concernant enfin l’apport en capital de fonds personnels fait par Monsieur dans le cadre de l’acquisition du bien, la Cour de cassation rappelle par principe l’exclusion de l’apport en capital de fonds personnels à la contribution aux charges du mariage.

En effet, rappelons que la contribution aux charges du mariage est le fruit de l’article 214 du Code Civil, selon lequel cette contribution se régit soit par des conventions, soit à la proportionnelle des facultés de chaque époux, qui sont tenus de l’obligation d’apporter leur quote-part durant le mariage par une contribution financière, en nature, ou autre nature de contribution. 

Concernant l’apport en capital de fonds personnels, c’est le fait d’un époux séparé de bien de financer avec des fonds propres l’acquisition d’un bien indivis affecté à usage familial.

 

Le financement du logement familial par un apport personnel

La Cour de cassation a consacré à plusieurs reprises cette notion d’exclusion de l’apport en capital de fonds personnels de la notion de contribution aux charges du mariage.

La Cour de cassation ayant déjà rappelé, notamment à travers une première jurisprudence du 18 novembre 2020, que le financement d’un bien indivis à destination d’usage familial par un apport en capital personnel ne relève pas de la contribution aux charges du mariage mais demeure bel et bien un propre.

Cette jurisprudence a ensuite été étendue aux dépenses d’investissement, comme le rappelle d’ailleurs cet Arrêt en question.

 

Une donation rémunératoire consacrée

Cette jurisprudence est intéressante en ce qu’elle vient rappeler la notion de contribution aux charges du mariage, vient aborder la délicate question de la sur-contribution aux charges du mariage et finalement, apporte des précisions importantes sur la notion de donation rémunératoire qui peut être mise en avant par l’un des époux afin de récompenser l’autre dans le cadre de son investissement familial d’un côté, et du sacrifice qu’il fait d’abandon de sa propre carrière de l’autre.

Cela peut être abordé naturellement du vivant des deux époux, mais également en phase successorale, comme cela a été fait, puisque les enfants du premier lit contestaient le fait qu’il puisse s’agir d’une donation rémunératoire à l’encontre de leur belle-mère.

 

Les enjeux des relations financières entre époux séparés de bien

Cette jurisprudence est intéressante, elle rappelle les enjeux existant dans les relations financières entre époux séparés de bien lorsque les revenus sont inégaux et lorsque l’un contribue ou sur contribue aux charges du mariage et lorsque l’autre considère pouvoir bénéficier d’une donation rémunératoire des sacrifices qu’il fait au profit du foyer familial.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit, 

www.laurent-latapie-avocat.fr