En pleine ascension depuis le confinement de 2020, le crypto-art donne la possibilité à des profanes de se muer en millionnaires du pixel grâce à la technologie des non-fungible token (NFT). Illustration de cet engouement, l’½uvre numérique Everydays : The first 5 000 days de la crypto-artiste Beeple a atteint une valeur de 69 millions de dollars lors d’une vente aux enchères virtuelles en 2021. Malgré ses promesses de protection des artistes, la technologie NFT est le terrain de nombreuses contrefaçons. Ainsi, quelles implications et solutions juridiques pour les ayant-droits ? 

 

Un rare contrôle des ½uvres liées aux NFT par les plateformes d’échange

Parfois associés à une ½uvre, les jetons non-fongibles assurent la propriété du fichier numérique car il s’agit d’un certificat d’authenticité unique inscrit dans une blockchain, c’est-à-dire un registre électronique infalsifiable. Toutefois, un NFT n’assure nullement la propriété du support de l’½uvre à laquelle elle renvoie et n’est pas une ½uvre de l’esprit au sens du droit de la propriété intellectuelle, lequel soumet le bénéfice du droit d’auteur au caractère original de l’½uvre[1]. En effet, aucune originalité ne réside dans la copie numérique d’une ½uvre par le biais d’un fichier numérique, lui-même accessible à partir d’un lien inscrit dans le code du jeton[2]. En pratique, les plateformes de NFT contrôlent rarement si les émetteurs de jetons renvoyant à une ½uvre sous-jacente en possèdent la propriété intellectuelle, en tant qu’auteurs ou licenciés. Cela donne alors lieu à de nombreuses violations du droit d’auteur. A titre d’exemple, le NFT d’un faux Banksy a été vendu 512 ETH (plus d’un million de dollars) sur la plateforme d’échange OpenSea[3]. 

 


La contrefaçon, une lourde atteinte au droit de la propriété intellectuelle

Ne pouvant être assimilés ni à des cryptomonnaies ni à des jetons numériques, les NFT ne font l’objet d’aucune règlementation spécifique[4]. Toutefois, la création d’un NFT associé à une ½uvre sans l’autorisation de son auteur constitue une lourde atteinte à la propriété intellectuelle, la responsabilité reposant sur l’émetteur mais aussi potentiellement sur la marketplace.

Sous l’angle de la propriété intellectuelle, la copie, le téléchargement et la diffusion d’une ½uvre au public à des fins lucratives relèvent normalement des droits exclusifs de l’auteur ou des ayants droits. Or, la contrefaçon correspond à tout acte violant les droits exclusifs de l’auteur[5]. En l’espèce, l’émission d’un NFT portant sur une ½uvre couverte par le droit d’auteur sans l’autorisation de l’ayant-droit constitue une contrefaçon. Sous l’angle du droit pénal, tout acte de contrefaçon en France constitue un délit punissable d’une amende d’un montant minimum de 300 000 euros et d’une peine d’emprisonnement de trois ans[6]. 

Afin de pallier les difficultés d’identification sur les protocoles blockchain où règnent l’anonymat, la Directive Européenne sur le droit d’auteur dans le Marché Unique Numérique (DAMUN) de 2019, a instauré un régime de responsabilité graduelle de certaines plateformes. Ce régime de responsabilité vise les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne dont « l‘un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’½uvres protégées par le droit d’auteur »[7]. Or, les places de marché de NFT hébergent souvent des ½uvres protégées et sont donc très probablement soumises aux obligations détaillées par l’ordonnance de transposition de la directive à l’article L. 137-1 du Code de la propriété intellectuelle. Premièrement, les plateformes concernées doivent faire tout leur possible pour obtenir l’autorisation des titulaires des droits lorsqu’elles mettent à disposition leurs ½uvres. Deuxièmement, il leur incombe d’agir promptement, dès réception d’une notification par le titulaire du droit d’auteur, pour bloquer le contenu illicite et faire obstacle à toute nouvelle diffusion du contenu en cause. Pour précision, l’obligation d’empêcher tout nouveau « téléversement » du contenu illicite notifié ne pèse pas sur les jeunes plateformes de partage de contenu réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 10 millions d’euros[8].

 

Les actions qui s’offrent aux titulaires d’un droit d’auteur

Tout d’abord, l’auteur d’une ½uvre contrefaite peut demander, par le biais d’une notification, à la plateforme de retirer rapidement le contenu qui porte atteinte à ses droits exclusifs. La notification doit contenir la preuve de la titularité du droit d’auteur.

En cas de litige relatif au traitement de la plainte par la plateforme, les titulaires des droits pourront saisir l’Arcom(Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), celle-ci pouvant prescrire des mesures pour assurer le retrait d’un contenu contrefaisant.

 

L’injonction judiciaire. A défaut d’une solution satisfaisante mise en ½uvre par la plateforme, deux procédures permettent la délivrance d’une injonction judiciaire. Avant toute procédure au fond et à titre temporaire, une injonction judiciaire peut être demandée selon la procédure de référé classique prévue à l’article 835 du code de procédure civile. 

Par ailleurs, l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle donne au juge civil le pouvoir de prononcer « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ».

L’injonction peut s’adresser à la plateforme mais aussi au fournisseur d’accès à Internet pour qu’il bloque le site ou au moteur de recherche afin qu’il procède à un déférencement des résultats.

 

L’engagement de la responsabilité pénale et civileEnfin, le titulaire du droit d’auteur a la faculté d’engager une action pénale devant le tribunal correctionnel pour faire sanctionner le contrefacteur aux peines mentionnées précédemment. Des dommages et intérêts versés à la victime peuvent également s’y ajouter. 

 

Autrement, la victime de contrefaçon peut introduire une action civile contre le contrefacteur ou, à défaut d’identification possible, contre la plateforme en vue d’obtenir réparation du préjudice subi. L’action sera portée devant le tribunal judicaire par voie d’assignation et la représentation par avocat sera obligatoire. L’action civile permet d’obtenir une décision plus rapidement et une indemnisation plus importante que l’action pénale mais nécessitera un travail d’établissement de la preuve plus conséquent. 



[1] Ziegler & Associés, « Livre blanc sur les cryptomonnaies et NFT », 23 mars 2022, https://www.ziegler-associes.com/publications/articles/livre-blanc-sur-les-cryptomonnaies-et-nft.

[2] Romain Chilly, ORWL Avocats, « NFT-contrefaçon : quelles actions pour les plateformes et les ayants droit? », 23 mars 2022, https://www.orwl.fr/blog/nft-contrefacon-quelles-actions-pour-les-plateformes-et-les-ayants-droit/.

[3] Maxime Laglasse, « Du Banksy vendu sur Rarible pour des centaines d’Ether ? Pas si vite … »,  Cointribune, 21 février 2021, https://www.cointribune.com/tribunes/tribune-nft/du-banksy-vendu-sur-rarible-pour-des-centaines-dether-pas-si-vite/.

[4] Ziegler & Associés,  « Livre blanc sur les cryptomonnaies et NFT », 22 mars 2022, https://www.ziegler-associes.com/publications/articles/livre-blanc-sur-les-cryptomonnaies-et-nft.

[5] Code de la propriété intellectuelle, article L. 335-2.

[6] Idem. 

[7] CPI, article L. 137-1 nouveau

[8] Ordonnance n°2021-580 du 12 mai 2021, https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043496429