Le Conseil d'État confirme que des associations promouvant l'égalité entre les femmes et les hommes ne peuvent pas exiger de l'administration la communication de la liste des entreprises franciliennes sanctionnées pour n'avoir pas satisfait à leur obligation de se doter d'un accord ou d'un plan d'action relatif à l'égalité professionnelle.
Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 03/06/2020, 421615
Rapporteur : Mme Isabelle Lemesle
3. En premier lieu, eu égard à l'objet de la demande des associations requérantes tendant, ainsi qu'il a été dit au point 2, à la communication de la liste nominative des entreprises franciliennes sanctionnées sur le fondement de l'article L. 2242-9 du code du travail avec les sanctions qui leur ont été infligées, c'est au terme d'une appréciation souveraine exempte de dénaturation des pièces du dossier qui lui était soumis et d'erreur de droit que le tribunal administratif a jugé que la communication d'une telle liste porterait par elle-même préjudice, au sens de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, aux entreprises concernées. Par ailleurs, c'est sans erreur de droit, sur la base de son appréciation souveraine des pièces du dossier, que le tribunal administratif a estimé qu'il n'était pas possible de faire application de l'article L. 311-7 du même code en occultant les mentions dont la divulgation porterait préjudice à ces entreprises.
4. En second lieu, aux termes de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière (...) / 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique (...) à la protection de la réputation ou des droits d'autrui (...) ". Si ces stipulations n'accordent pas un droit d'accès à toutes les informations détenues par une autorité publique ni n'obligent l'Etat à les communiquer, il peut en résulter un droit d'accès à des informations détenues par une autorité publique lorsque l'accès à ces informations est déterminant pour l'exercice du droit à la liberté d'expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, de leur disponibilité, du but poursuivi par le demandeur et de son rôle dans la réception et la communication au public d'informations. Dans cette hypothèse, le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression qui, pour être justifiée, doit être prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés au point 2 de l'article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée.
5. Les associations requérantes font valoir que leur demande vise à porter à la connaissance du public des informations nécessaires à la transparence de la vie publique et à la protection du principe d'égalité entre les femmes et les hommes. Toutefois, alors même qu'il n'est pas contesté que ces associations contribuent au débat public en prenant position en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'eu égard à la nature des informations demandées, qui portent sur des sanctions infligées à des personnes morales de droit privé à raison de la méconnaissance d'obligations légales relatives à l'engagement de négociations ou de plans d'actions, et au but poursuivi, qui consiste pour l'essentiel à révéler publiquement le nom des entreprises sanctionnées à ce titre, elles ne sauraient se prévaloir des stipulations précitées de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour revendiquer un droit d'accès à ces informations pour l'exercice de leur droit à la liberté d'expression. Dès lors, en jugeant que le refus opposé aux associations requérantes ne révélait pas une ingérence des autorités publiques méconnaissant les garanties de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le tribunal administratif, qui n'a pas mis en cause l'intérêt qui s'attache à l'évaluation des politiques publiques en matière d'égalité salariale, dont atteste au demeurant la publication par le gouvernement de statistiques sur les sanctions administratives infligées à ce titre, n'a pas commis d'erreur de droit.
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