L’entretien d’évaluation organisé entre le salarié et son supérieur hiérarchique permet de faire le bilan du travail accompli sur l’année écoulée ainsi que de fixer les nouveaux objectifs de l’année à venir. L’entretien d’évaluation peut alors être l’occasion pour l’employeur de souligner d’éventuelles insuffisances ou d’émettre certains reproches à l’encontre du salarié.

La vigilance doit alors être de mise quant au contenu du compte rendu d’entretien, celui-ci pouvant s’analyser en une sanction disciplinaire dès lors qu’il contient des griefs précis venant sanctionner un comportement considéré comme fautif.

C’est la solution inédite qu’a retenu la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 2 février 2022.

(Cass. soc., 2 février 2022, n°20-13.833).

Sur l’organisation de l’entretien d’évaluation du salarié

L’organisation d’un entretien individuel d’évaluation est une faculté pour l’employeur

Le Code du travail n’impose pas à l’employeur d’organiser des entretiens d’évaluation. Cette faculté découle de son pouvoir de direction, lequel lui donne le droit d’évaluer ses salariés.

Le salarié ne peut dès lors refuser de s’y soumettre, sauf à commettre une faute disciplinaire, (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-42.368) et il ne peut être assisté, au cours de cet entretien, d’un représentant du personnel (Cass. crim., 11 février 2003, n° 01-88.014).

Toutefois, il n’est pas rare que des conventions collectives enjoignent l’employeur d’organiser de tels entretiens de manière périodique, à l’instar notamment des conventions collectives nationales des centres sociaux et socioculturels et autres acteurs du lien social (IDCC 1261), de la mutualité (IDCC 2128), des marchés financier (IDCC 2931) ou encore du notariat (IDCC 2205).

Dans une telle hypothèse, et en cas de méconnaissance, de la part de l’employeur, de l’obligation qui lui est faite, le salarié qui n’en a pas bénéficié peut réclamer des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de chance d’obtenir une majoration de salaire (Cass. soc., 2 décembre 2009, n° 08-40.360).

L’entretien d’évaluation est à distinguer de l’entretien professionnel dont l’objet n’est pas d’évaluer le salarier mais de considérer ses perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d'emploi et qui doit obligatoirement avoir lieu tous les deux ans et après les absences de longue durée (C. trav., art. L. 6315-1art. L. 6315-2).

 

L’organisation d’entretiens individuels d’évaluation requiert l’information des salariés et du comité économique et social (CSE)

Que la mise en place d’un entretien d’évaluation relève de sa seule initiative ou qu’elle lui soit imposée par une convention collective, l’employeur devra préalablement informer les salariés et le CSE.

S’agissant de l’information des salariés, l’article L. 1222-3 du Code du travail dispose en effet que les salariés sont expressément informés, préalablement à leur mise en ½uvre, des méthodes et techniques d'évaluation professionnelles mises en ½uvre à leur égard. De plus, aux termes de l’article L. 1222-4 du Code du travail, aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance.

La carence de l’employeur dans l’information préalable des salariés peut ouvrir droit au paiement de dommages-intérêts si le salarié justifie d’un préjudice (Cass. soc., 11 avril 2008, n° 06-45.805).

S’agissant de l’information du CSE, ce dernier doit également être informé et consulté en vertu de ses compétences générales sur les questions intéressant les conditions de travail des salariés (C. trav., L. 2312-8 Cass. soc., 28 novembre 2007, n° 06-21.964).

 

Le contenu de l’évaluation doit avoir pour finalité l’appréciation des aptitudes professionnelles du salarié

Au cours des entretiens individuels d’évaluation, l’employeur ne pourra demander au salarié que les seules informations qui présentent un lien direct avec l’évaluation de ses aptitudes professionnelles (C. trav., art. L. 1222-2).

En outre, les méthodes et techniques retenues par l’employeur afin d’évaluer les salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie (C. trav., art. L. 1222-3).

 

La rédaction d’un compte rendu d’évaluation

Bien que non obligatoire, l’entretien d’évaluation fait généralement l’objet d’un compte rendu écrit venant retranscrire les échanges et conclusions tirées de l’entretien individuel.

Concernant les appréciations sur le salarié qui y sont contenues, celles-ci doivent être pertinentes, adéquates, non excessives et purement objectives. Doivent, dès lors, être exclus les commentaires subjectifs, outranciers ou encore insultants (CNIL, fiche pratique « l’évaluation des salariés : droits et obligations des employeurs », 11 mai 2011).

Le refus éventuel du salarié de signer le compte-rendu, notamment en cas de désaccord relatif aux observations qui y sont consignées, n’aura pas pour effet d’invalider l’entretien qui s’est déroulé (CA Paris, 8 février 2011, n° 08/10559) et ne saurait, en outre, être constitutif d’une faute disciplinaire, dans la mesure où ce refus n’a pas été exprimé en des termes injurieux ou abusifs (CA Versailles, 9 octobre 2008, n° 07/3427).

Par ailleurs, dès lors que le compte-rendu est rédigé, aucune modification au désavantage du salarié ne peut y être apportée par l’employeur (Cass., soc., 8 décembre 2009, n° 08-43.764).

Le compte rendu d’entretien d’évaluation, comme tout reproche écrit adressé au salarié, peut constituer une sanction disciplinaire

La sanction disciplinaire est définie par l’article L. 1331-1 du Code du travail comme « toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ».

Contrairement aux sanctions plus sévères, le prononcé d’un avertissement par l’employeur ne nécessite pas le respect d’une procédure disciplinaire préalable (C. trav. art. L.1332-2).

En conséquence, toute observation écrite de l’employeur adressée au salarié peut, selon ses termes, s’analyser en un avertissement disciplinaire, sans égard à la qualification ou à la forme donnée à la mesure par l’employeur (Cass. soc., 2 avril 1998, n° 96-40.490).

Ainsi, pour la chambre sociale de la Cour de cassation, les reproches formulés dans une lettre ou un courriel à destination du salarié sont constitutifs d’un avertissement dès lors que l’employeur :

  • adresse divers reproches à un salarié et l’invite de façon impérative à un changement radical, avec mise au point ultérieure (Cass. soc., 26 mai 2010, n°08-42.893) ;
  • reproche des manquements aux règles et procédures internes relatives à la sécurité des paiements par carte bleue et l’invite de manière impérative à se conformer à ces règles et à ne pas poursuivre ce genre de pratique (Cass. soc., 9 avril 2014 n°13-10.939) ;
  • avertit un salarié qu’il ne pourra plus tolérer une telle attitude portant préjudice aux missions qui lui sont confiées et à l’organisation du service (Cass. soc. 18 mars 2015 no 13-28.481)?;
  • rappelle au salarié sa présence non autorisée et fautive à plusieurs reprises dans un local technique et l’invitant de manière impérative à respecter les règles régissant l’accès à un tel local (Cass. soc. 10 février 2021, n° 19-18.903).

 

Dans le sillage des jurisprudences précitées, la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt du 2 février 2022, qu’un compte-rendu d’entretien d’évaluation pouvait être qualifié de sanction disciplinaire.

En l’espèce, un salarié avait été licencié pour faute grave en raison de « son attitude dure et fermée face aux changements, à l'origine d'une plainte de collaborateurs en souffrance » ainsi que « des dysfonctionnements graves liés à la sécurité électrique et le non-respect des normes réglementaires ».

Or, ces griefs avaient déjà été reprochés au salarié par écrit dans le compte-rendu rédigé lors de son entretien annuel d’évaluation, au terme duquel l’employeur invitait également le salarié, de manière impérative, comminatoire et sans délai, à un changement complet et total de comportement.

La Cour d’appel, dont le raisonnement a été approuvé par la Cour de cassation, a donc retenu que le compte-rendu écrit qui contenait des griefs précis sanctionnant un comportement considéré comme fautif s’analysait en un avertissement, en sorte que les mêmes faits ne pouvaient plus justifier un licenciement pour faute (Cass. soc., 2 février 2022, n°20-13.833).

Dans un arrêt en date du 12 novembre 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation avait au contraire jugé que ne s'analysait pas en une sanction disciplinaire le document rédigé par l'employeur qui n'est qu'un compte-rendu d'un entretien au cours duquel il a énuméré divers griefs et insuffisances qu'il imputait à la salariée, sans traduire une volonté de sa part de les sanctionner (Cass. soc., 12 novembre 2015 n° 14-17.615).

Ainsi, la solution du 2 février 2022 a été rendue, non pas du fait de la nature du compte-rendu d’entretien d’évaluation mais des termes employés dans ledit compte-rendu.

La limite entre l’évaluation et la sanction disciplinaire peut donc s’avérer subtile et la qualification de sanction disciplinaire sera retenue si l’employeur adresse des griefs précis au salarié et le met en demeure de modifier son comportement.

Ces observations appellent donc à la plus grande vigilance quant aux termes employés dans le compte rendu-écrit et aux suites à donner à l’entretien d’évaluation du salarié, notamment au regard des conséquences de la qualification de sanction sur le pouvoir disciplinaire de l’employeur.

 

Les conséquences de la qualification de sanction sur le pouvoir disciplinaire de l’employeur

La qualification de sanction disciplinaire ou non d’un écrit adressé au salarié dans lequel lui sont faites des observations a toute son importance.  L'enjeu est, en effet, de savoir si les faits ayant fait l’objet d’observations peuvent donner lieu, ensuite, à un avertissement ou autre sanction, sans tomber sous le coup du principe non bis in idem.

En effet, en droit du travail, en vertu de ce principe, l’employeur ne peut sanctionner une deuxième fois un salarié pour les mêmes faits fautifs (Cass. soc., 3 févr. 2004, n° 01-45.989 ; Cass. soc., 14 nov. 2013, n° 12-21.495).

Le cas échéant, les deux sanctions sont illicites et pourront  être annulées par les juges prud’homaux en application de l’article  L.1333-2 du Code du travail (Cass. soc., 22 mai 2019, n° 17-27.985 ; Cass. soc., 31 mars 2021, n° 19-25.538). Dans l’hypothèse d’un licenciement prononcé successivement à une précédente sanction pour des mêmes faits, le licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieuse donnant lieu à des dommages-intérêts au bénéfice du salarié (Cass. soc., 12 mars 1981, n° 79-41.110).

C’est d’ailleurs en application de ce principe que les juges ont considéré, dans l’arrêt du 2 février 2022, que le licenciement pour faute grave prononcé pour les mêmes faits que ceux ayant déjà fait l’objet d’un avertissement, était sans cause réelle et sérieuse, dans la mesure où l’employeur avait épuisé son pouvoir disciplinaire concernant ces faits (Cass. soc., 2 février 2022, n°20-13.833).

Par application de ce principe, l'employeur ne peut pas non plus annuler une première sanction notifiée au salarié pour la substituer à une sanction plus lourde (Cass. soc., 14 nov. 2013, n° 12-21.495).

Toutefois, le principe non bis in idem n’interdit pas à l’employeur d’invoquer des faits fautifs déjà sanctionnés au soutien d’une nouvelle sanction en cas de persistance du salarié dans un comportement fautif.

La Cour de cassation considère en effet que « la poursuite par un salarié d’un fait fautif autorise l’employeur à se prévaloir de faits similaires, y compris ceux ayant déjà été sanctionnés pour caractériser une faute grave » (Cass soc, 30 septembre 2004, n°02-44030).

Les sanctions antérieures invoquées par l’employeur à l’appui d’une nouvelle sanction, en cas de réitération des faits fautifs par le salarié, ne doivent néanmoins pas dater de plus de trois ans (Cass soc, 30 septembre 2004, n°02-44030). En effet, les sanctions disciplinaires se prescrivant au bout de trois ans (C. trav., art. L. 1332-5), l’employeur ne peut plus en arguer lors d’une nouvelle procédure disciplinaire, passé ce délai.