Un agriculteur contractant un prêt bancaire se voit refuser la prise en charge d’un « mal de dos » par la compagnie qui assure le prêt au titre de ses exclusions de garantie. L’emprunteur peut-il engager la responsabilité de la compagnie d’assurance en cas de clause ni formelle ni limitée ? La banque n’est-elle pas responsable de n’avoir pas anticipé et prévu cette exclusion de garantie inapproprié à son activité ?
Il convient de nous intéresser à une jurisprudence qui a été rendue en juin 2021 et qui vient rappeler la responsabilité du banquier en cas d’exclusion de garantie du contrat d’assurance.
Cette jurisprudence rappelant que la clause d’exclusion de garantie dès lors qu’elle mentionne « et autre mal de dos » n’est pas formelle et limitée et ne peut recevoir l’application peu important que l’affection dont est atteint l’assuré soit l’une de celles précisément énumérée à la clause, étant d’ailleurs précisé que cette jurisprudence est aussi intéressante puisqu’elle rappelle que la responsabilité du banquier s’entend de toute perte de chance ouvrant droit à réparation sans que l’emprunteur ait à démontrer que mieux informé et conseillé par la banque il aurait souscrit d’une manière certaine une assurance garantissant le risque réalisé.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, Monsieur N. avait souscrit pour les besoins de sa profession d’agriculteur 4 emprunts auprès de la banque, il a adhéré à l’assurance du groupe souscrite par la banque en question auprès de l’assureur garantissant les risques de décès et d’incapacité temporaire totale de travail pour l’ensemble de ses prêts ainsi que le risque d’invalidité absolu et définitif pour l’un d’entre eux et le risque perte totale et irréversible d’autonomie pour les 3 autres.
Cependant, et malheureusement, à la suite d’un accident de travail ayant provoqué des hernies discales avec lombosciatalgie et empêchait la poursuite par Monsieur N. de son activité professionnelle l’assureur invoquant les exclusions de garanties relatives aux pathologies lombaires prévues par les contrats d’assurances a refusé la prise en charge des échéances de prêts.
Une exclusion de garantie, source de responsabilités ?
C’est dans ces circonstances que Monsieur N. a assigné la banque et l’assureur devant le Tribunal Judiciaire aux fins, à titre principal, d’obtenir la condamnation de la banque à lui payer une somme au titre des mensualités d’emprunt et, à titre subsidiaire, de condamnation au paiement des dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
A hauteur de cassation, Monsieur N. venait soutenir un certain nombre d’arguments tantôt à l’encontre de l’assureur, tantôt à l’encontre de la banque.
A l’encontre de l’assureur, Monsieur N. soutenait qu’une clause d’exclusion de garantie qui est sujette à interprétation n’est pas formelle et limitée.
L’interprétation de la clause d’exclusion
Dès lors, pour faire application de la clause d’exclusion litigieuse à l’exception de ces termes et « autre mal de dos » la Cour d’Appel a énoncé qu’une fois expurgé de cette expression maladroite et imprécise inopposable à l’assuré la clause redevient parfaitement claire formelle et limitée pour le restant en excluant les incapacités et invalidités, invalidités qu’elles soient temporaires, permanentes, définitives et/ou absolues qui résultent de lombalgie, de sciatalgie, de dorsalgie, de cervicalgie.
Pour Monsieur N, en statuant ainsi, la Cour d’Appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il ressortait qu’elle avait dû interpréter la clause pour déterminer dans quelle mesure celle-ci était formelle et limitée, et ce en violation de l’article L.113-1 du Code des Assurances.
Monsieur N. considérant qu’il y avait lieu de retenir que l’expression « et autre mal de dos » était une expression forcément maladroite et imprécise ne pouvait répondre raisonnablement aux exigences de l’article L.113-1 du Code des Assurances qu’il ne pouvait s’agir d’une exclusion formelle et limitée.
De telle sorte que la Cour d’Appel s’était immanquablement trompée en faisant néanmoins application de cette clause en ces termes résiduels au motif erroné qu’expurgé de cette expression maladroite et imprécise, forcément inopposable à l’assuré, la clause redevenait parfaitement claire, formelle et limitée.
Dans un deuxième temps, Monsieur N. avait un certain nombre de griefs à formaliser à l’encontre de la banque.
La manquement à l’obligation de conseil et de mise en garde de la banque
En effet, Monsieur N. considérait que le banquier qui propose à son client, auquel il consent un prêt d’adhérer au contrat d’assurance de groupe qu’il a souscrit à l’effet de garantir en cas de survenance de divers risques d’exécution de tout ou partie des engagements est tenue de l’éclairer sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur.
Ainsi, cette obligation n’est pas satisfaite du fait que le client a signé une demande d’adhésion à ce contrat mentionnant une exclusion de garantie.
Or, en l’espèce, en retenant néanmoins que la banque en sa qualité de souscriptrice de l’assurance de groupe en cause n’avait pas manqué à son devoir de mise en garde à l’égard de Monsieur N.
Or, pour chacun des 4 prêts litigieux, la demande d’adhésion du client portait une exclusion de garantie dont l’emprunteur était parfaitement informé pour assigner et parapher chacune d’entre elles.
De plus, la banque soutenait qu’en dépit de la signature de ces demandes, le client ne s’était pas enquis de la possibilité d’assurer les prêts avec une meilleure couverture des risques.
Sic….
Cela peut sembler bien facile,
D’autant que Monsieur N. prenait soin de rappeler que la circonstance suivant laquelle le client du banquier a déclaré qu’un risque déterminé ne s’est pas réalisé avant son adhésion au contrat d’assurance de groupe n’exonère pas le banquier de son obligation d’éclairer son client sur l’opportunité de voir couvrir ce risque au regard de sa situation personnelle ou professionnelle, telle qu’elle peut raisonnablement être envisagée en cours d’exécution du contrat.
Assurer le risque prévisible et envisageable ?
Il en va ainsi en particulier lorsque la survenance du risque est fréquente dans la population, de manière générale.
La banque tentait, une fois de plus, de limiter sa responsabilité en affirmant que dans la mesure où Monsieur N. avait répondu « non » aux questions dans le questionnaire de santé concernant les lumbagos et les sciatiques, la banque ne pouvait pas prévoir qu’il pourrait être dans l’avenir atteint d’une pathologie vertébrale des lombaires, laquelle faisait l’objet d’une exclusion de garantie.
Or, selon la banque, le client était mieux placé que son banquier pour connaitre les pathologies auxquelles sa profession d’agriculteur l’exposait particulièrement.
Pourtant, l’on peut légitimement se demander s’il n’incombait pas au banquier de prendre l’initiative de vérifier l’adéquation des risques couverts à la situation personnelle de l’emprunteur et donc au métier qu’il exerçait ?
La curiosité de la banque quant à l’adéquation des risques et le métier de son client
Monsieur N. considérant par ailleurs que la perte de chance consiste en la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable,
De telle sorte qu’en affirmant que Monsieur N. ne démontrait aucun préjudice de perte de chance de ne pas contracter dès lors qu’il ne démontre pas qu’il aurait accepté de régler une assurance nécessairement plus couteuse si le banquier l’avait davantage mis en garde sur des exclusions de garantie en cause,
la Cour d’Appel a ainsi subordonné l’indemnisation de la perte d’une chance à la preuve de la certitude de l’emprunteur avait souscrit à une assurance complémentaire s’il avait été mieux éclairé alors que seul importait la question de savoir si faute de mise en garde du banquier, il avait perdu l’éventualité de souscrire à une telle assurance.
La Cour d’Appel a, en conséquence, violé l’article 1147 du Code Civil.
Monsieur N. soutenant alors que le préjudice résultant du manquement du banquier à son devoir d’éclairer son client sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur réside dans la disparition pour celui-ci de l’éventualité de contracter des garanties plus appropriées à sa situation personnelle.
Ainsi, la Cour d’Appel dans sa jurisprudence vient apporter deux réponses bien précises, tantôt à l’encontre de l’assureur, tantôt à l’encontre de l’établissement bancaire et l’intérêt effectivement de voir dans quelles conditions la Cour de cassation vient caractériser la responsabilité de la banque.
La responsabilité de l’assureur et les exclusions de garanties
Concernant la responsabilité de l’assureur, la Cour de cassation rappelle au visa de l’article L.113-1 du Code des Assurances que les exclusions de garantie devaient être forcément formelles et limitées.
Ainsi pour dire opposable à l’assuré la clause d’exclusion de garantie figurant dans le prêt stipulant qu’elle ne donne pas lieu à prise en charge « des incapacités et invalidités qu’elles soient temporaires, permanentes, définitives et/ou absolues qui résultent de lombalgie, de sciatalgie, dorsalgie, cervicalgie et « autre mal de dos » », l’arrêt retient d’abord que dans cette clause d’exclusion, seule l’exclusion et « autre de dos » n’est pas formelle et limitée et qu’une fois expurgée de cette expression maladroite et imprécise inopposable à l’assuré, la clause redevient parfaitement claire, formelle et limitée pour le restant.
Pour autant la Haute juridiction ne partage pas cette analyse,
La Cour de Cassation considère que c’est à tort que la Cour d’Appel, en énonçant ensuite que dès lors que Monsieur N. déclarait un sinistre avec lombosciatalgie droite, cette pathologie entraine nécessairement dans le champ contractuel de la clause excluant à la fois les lombalgies, les sciatalgies et que l’assureur était bien fondé à daigner sa garantie au titre de ce prêt.
Or, en statuant ainsi alors que cette clause d’exclusion de garantie, dès lors qu’elle mentionne « et autre mal de dos », n’est pas formelle et limitée et ne peut recevoir l’application peu important que l’affection dont est atteint Monsieur N. soit l’une de celles précisément énumérées à la clause, de telle sorte que la Cour d’Appel a violé le texte susvisé.
Quelle responsabilité pour la banque en lien avec la clause d’exclusion ?
En deuxième lieu, concernant la responsabilité de la banque, et au visa des articles 1147 devenus 1217 du Code Civil, et du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, la Cour de Cassation rappelle qu’il résulte de l’article 1217 du Code Civil que la banque qui propose à son client, auquel elle consent un prêt, d’adhérer au contrat d’assurance de groupe qu’elle a souscrit à l’effet de garantir en cas de survenance de divers risques l’exécution de tout ou partie de ses engagements est tenue de déclarer sur l’éclairer sur l’adéquation des risques ouverts à sa situation personnelle d’emprunteur.
Il se déduit du principe susvisé que toute perte de chance ouvre à réparation sans que l’emprunteur ait à démontrer que mieux informé et conseillé par la banque, il aurait souscrit de manière certaine une assurance garantissant le risque réalisé.
Ainsi, pour la Cour de cassation, la Cour d’Appel a violé le texte en rejetant la demande d’indemnisation de la perte de chance alléguée en raison des manquements de la banque à son devoir de mise en garde, l’arrêt retenant à tort que pour chacun des prêts la demande d’adhésion portait une exclusion dont l’emprunteur était parfaitement informé pour avoir dument signé et paraphé chacune de ces demandes.
La banque avait tenté de soutenir qu’il ne pouvait être utilement reproché au prêteur de ne pas l’avoir informé de ces clauses d’exclusion, alors que Monsieur N. a déclaré dans le questionnaire de santé n’avoir pas subi de lumbago et de sciatique et qu’en sa qualité d’agriculteur il était mieux placé que la banque pour connaitre les pathologies auxquelles sa profession l’exposait particulièrement.
Les pathologies liées à la profession
Pour autant, en statuant ainsi par des motifs impropres à écarter la perte de chance alléguée par Monsieur N. et alors qu’il appartenait à la banque d’éclairer l’emprunteur sur l’adéquation de la garantie proposée aux risques auxquels l’exposait son activité professionnelle, la Cour d’Appel a violé le texte et le principe susvisé.
Force est de constater que la question du contrat d’assurance attaché à un prêt bancaire et des clauses relatives aux exclusions de garantie est toujours autant d’actualité.
Je rappelle au tant que de besoin que votre serviteur a déjà fait une chronique sur la question de la responsabilité de la banque pour une inadéquation entre la durée du contrat d’assurance et la durée du contrat de prêt.
La question de l’assurance du prêt est source de nombreuses interrogations qui sont autant de source de litige.
Elle illustre surtout dans quelle condition l’emprunteur en difficulté peut se retrouver en situation délicate, entre tantôt une assurance qui évoque à tout bout de champ une exclusion de garantie contractuelle et tantôt un banquier qui se garde bien de régler la difficulté en considérant que celui-ci n’est absolument lié par ce contrat d’assurance et qu’il appartient à l’emprunteur premièrement, de se débrouiller avec sa compagnie d’assurance et, deuxièmement, de venir reprocher à l’emprunteur d’avoir manquer à ses propres obligations d’information.
En conclusion
Pour autant, cette jurisprudence salutaire rappelle que la clause d’exclusion de garantie, dès lors qu’elle mentionne « et autre mal de dos » n’est pas formelle et limitée et ne peut recevoir application, peu important que l’affection dont est atteint l’assuré soit l’une de celles précisément énumérées à la clause et en deuxième lieu,
La jurisprudence rappelle aussi que la responsabilité du banquier s’indemnise sur la base d’une perte de chance qui ouvre droit à réparation sans que l’emprunteur y ait démontré que mieux informé et conseillé par la banque, il aurait souscrit de manière certaine une assurance garantissant le risque réalisé.
Il est bien évident qu’il faut attirer l’attention toute particulière sur l’emprunteur en cas de difficulté sur cette dynamique particulière tant la pratique montre qu’en cas de litige quant à la prise en charge d’un sinistre, tant l’assurance que l’établissement bancaire se renvoient la balle laissant l’emprunteur malheureux seul face à lui-même.
Celui-ci ne doit pas avoir peur d’engager la responsabilité tantôt de l’un, tantôt de l’autre, la jurisprudence venant clairement sanctionner à la fois la compagnie d’assurance pour des clauses d’exclusion imprécises et de l’autre la responsabilité de la banque pour ne pas avoir prévu une adéquation parfaite entre le prêt proposé et l’assurance qui va de paire.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE
Avocat, Docteur en Droit
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