Dans le cadre d’un divorce franco-américain, qu’en est-il de l'opposabilité d’un jugement américain en France, lorsque ledit jugement américain écarte l’application d’un contrat de mariage français de séparation de biens, signé par les parties en la forme authentique et reçu par un officier public français ? 

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue juste avant Noël 2020 et qui vient aborder la particularité de l’exequatur en France d'un jugement de divorce qui a été prononcé à l’étranger. 

Dans cette affaire, la question qui se posait était de savoir dans quelles conditions le Juge français pouvait accorder l’exequatur et par là-même vérifier la régularité internationale de la décision étrangère. 

Il convient de rappeler que dans le cadre d’une procédure d’exequatur, le Juge français doit s'assurer que la décision rendue par le Juge étranger doit être conforme à l’ordre public international de fond et de procédure et doit faire preuve d'une absence de fraude, comme le rappelle l’article 569 du Code de procédure civile.

 

Quels sont les faits de l’espèce ?

Dans cette affaire, Monsieur Z de nationalité française et Madame I de nationalité russe et américaine se sont mariés à Paris le 28 mai 1991 sous le régime de la séparation des biens suivant contrat de mariage reçu par notaire français le 21 mai 1991. 

Ils se sont par la suite installés aux Etats-Unis où sont nés leurs deux enfants.

Par la suite, cependant le couple s’est séparé, 

 

La procédure de divorce aux USA

Madame I avait alors, dès le 08 novembre 2001, saisi la Cour Suprême de l’état de New-York d’une requête en divorce et par decision and order du 28 juin 2002, le Juge new-yorkais avait rejeté la demande de Monsieur Z tendant à la validation et à l’opposabilité du contrat de mariage conclu en France afin de le rendre applicable et opposable sur le sol américain. 

Le juge américain, décidant d’écarter l’application du contrat de mariage français. 

Un deuxième Juge new-yorkais a ensuite rendu une trial decision le 03 octobre 2003 puis un judgement of divorce le 09 janvier 2004, prononçant le divorce aux torts exclusifs du mari, confié la garde des enfants mineurs à la mère avec un droit de visite et d'hébergement au profit du père en précisant que la mère devrait consulter le père sur toutes les décisions significatives concernant les enfants mais qu’elle aurait le pouvoir de décision finale, fixé les modalités de contribution du père à l’entretien et l’éducation des enfants, alloué à l'épouse une pension alimentaire mensuelle pendant sept ans et statué sur la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux.

A hauteur d’appel, ce jugement avait été partiellement réformé par une décision de la Cour d'appel de l'État de New-York du 03 mai 2005 qui a notamment précisé que l'intégralité du solde du produit de la vente de l’appartement new-yorkais devait revenir à Monsieur Z.

 

La procédure d’exequatur en France

Par la suite et par acte en date du 09 février 2005, Madame I avait saisi le Tribunal de grande instance de Paris d'une demande d’exéquatur des décisions américaines des 03 octobre 2003 et du 09 janvier 2004 en leurs seules dispositions relatives aux pensions alimentaires. 

C’est dans le cadre de cette procédure d’exequatur qu’à titre reconventionnel Monsieur Z avait alors demandé que soit déclaré inopposable en France le jugement du 28 juin 2002. 

Dès lors, la question se posait de savoir dans quelles conditions le Juge français dans sa mission d’exéquatur de la décision du divorce étrangère devait intervenir.

Le juge français devrait-il alors lui aussi écarter le contrat de mariage français par le biais de l’exequatur ? 

Le premier moyen soulevé par Monsieur Z dans le cadre de cette contestation de l’exéquatur consistait à considérer que la décision qui avait été rendue par le Juge le 22 juin 2002 ne pouvait être déclarée exécutoire en France car il n'était pas conforme à l’ordre public international français.

Ce dernier considérait que l'exigence d'impartialité du Juge telle que prévu et exigée par l’article 6-1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'avaient pas été respectées.

En réponse, la Cour de cassation rappelle sur ce premier moyen qu’en application de l’article 509 du Code de procédure civile, dans le cadre d’une procédure d’exéquatur, et ce, en dehors de toute convention internationale ou convention bilatérale, le Juge français doit vérifier la régularité internationale de la décision étrangère en s'assurant que celle-ci remplit les conditions de compétences indirectes du Juge étranger fondée sur le rattachement du litige au for saisi de conformité à l’ordre public international de fond et de procédure et d'absence de fraude.

La Cour de cassation rappelant également qu’au terme de l’article 6-1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

Dès lors, il convenait de vérifier le déroulement de la procédure américaine dans laquelle Monsieur Z considérait qu’en tant que ressortissant français il n'avait pas eu la faveur du Juge américain qui avait préféré privilégier de droit Madame I, de nationalité russe et surtout américaine aurait manqué d’impartialité.

Pour autant, la Cour de cassation relève que l'appréciation portée par le Juge ne relevait d'aucun parti pris hostile. 

D'autre part que les mesures prises étaient fondées sur des éléments objectifs tirés de la situation personnelle des parties.


Mais surtout, Monsieur Z avait pu exercer des voies de recours puisque celui-ci avait frappé d'appel la décision, ce qui lui avait permis de faire entendre sa cause devant une autre juridiction dont l’impartialité n’était pas discutée. 

Ce qui était dès lors de nature à exclure toute atteinte à ses droits.

 

Qu’en est-il du contrat de mariage de séparation de biens ? 

Par ailleurs, monsieur Z reprochait au jugement américain d'avoir écarté sans aucune raison valable l’acte authentique français reçu par un officier public français au nom de la République française, de telle sorte que le rejet par le Juge américain du contrat de mariage français était nécessairement contraire à l’ordre public international.  

Au soutien de son argumentaire, Monsieur Z soutenait que le choix du droit familial français, concrétisé dans l'acte authentique avait été une base de prévisions pour les parties, prévisions parfaitement légitimes puisque l'acte authentique était valable en France.

De telle sorte que le contrat de mariage français devait trouver force obligatoire en France, tant bien même le juge américain avait, dans sa décision du 28 juin 2002, écarté péremptoirement l’acte authentique français 

Ainsi, la convention conclue entre les parties au contrat de mariage était nécessairement valide en France. 

Monsieur Z considérant que le Juge américain a violé l’ordre public international français ainsi que l'article 509 du Code de procédure civile, tout comme les principes qui gouvernent le droit international privé.

Il y avait donc lieu de considérer, qu’à supposer que le contrat de mariage de séparation de biens par acte authentique français reçu par un officier public français au nom de la République française soit écarté par un jugement étranger, il n’en demeurait pas moins que le Juge étranger devait a minima en tenir compte comme un simple élément d'appréciation et de distribution équitable opérée par lui au moment de liquider le régime matrimonial des époux. 

Dès lors, Monsieur Z considérait qu'en déclarant le jugement américain du 22 juin 2002 opposable en France alors qu'il avait écarté le contrat de mariage conclu en France, ce dernier ne respectait pas les principes qui gouvernent le droit international privé. 

Ceci d’autant plus que le contrat de mariage avait cristallisé justement la liberté pour les époux de choisir la loi applicable à leur régime matrimonial et partant le contrat de mariage en ce qu’il détermine le régime matrimonial garantissait la sécurité juridique et le respect des légitimes prévisions des époux.

De telle sorte, qu’il devait liquider les intérêts patrimoniaux des époux conformément au droit français de la séparation de biens, choisi par les époux au moment du mariage.

Monsieur Z reprochant au Juge américain d’avoir refusé purement et simplement de prendre en considération le contrat de mariage et la volonté commune des époux ainsi exprimée en liquidant les intérêts patrimoniaux et pécuniaires des deux époux en divorce, le juge américain se reposant sur les dispositions de la Loi de l’état de New-York en écartant tout simplement le régime de contrat de mariage de séparation de biens choisi pourtant par les époux au moment de leur mariage.

 

Cette question était au c½ur des débats. 

Qu’en est-il de l'opposabilité d’un jugement américain en France, lorsque ledit jugement américain écarte l’application d’un contrat de mariage français de séparation de biens, signé par les parties en la forme authentique et reçu par un officier public français ?  

Pour autant, la Cour de cassation considère qu'une décision rendue par une juridiction étrangère, qui par application de sa loi nationale refuse de donner effet à un contrat de mariage reçu en France n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français de fond et ne peut être écarté que si elle consacre de manière concrète une situation incompatible avec les principes du droit français considéré comme essentiel. 

Dans cette décision, la Cour de cassation rappelle que le litige se rattache pour l’essentiel à la vie du couple aux USA et les époux se sont aussitôt établis après le mariage et n'ont cessé d'y résider. 

C’est d’ailleurs là où sont nés leurs enfants et où le mari a obtenu des diplômes et développé diverses activités professionnelles et où se situaient enfin les actifs immobiliers du couple au jour de la demande en divorce.

De telle sorte que pour répartir les biens communs à proportion de 75 % à l’épouse et 25 % au mari, le Juge américain pouvait procéder à la liquidation des intérêts patrimoniaux aux époux selon le principe de la distribution équitable conformément au régime matrimonial en vigueur aux Etats-Unis et dans l’état de New-York. 

Le juge de New-York avait d'ailleurs tenu compte des revenus et charges des parties et des conséquences des choix communs fait pendant le mariage, de telle sorte qu’aucun élément fourni par Monsieur Z ne laissait à penser qu'il y a eu un caractère disproportionné dans les effets découlant directement de la décision américaine rendue et pour laquelle l’exéquatur était demandée.

La Cour de cassation considérant que le litige se rattachait pour l’essentiel aux Etats-Unis et  que la décision étrangère en application de la loi du for pour la liquidation des droits patrimoniaux des époux n'avait pas consacré concrètement une situation incompatible avec les principes essentiels du droit français. 

Par voie de conséquence, il convenait d’écarter l’argumentation liée à la notion d’inconciliabilité, et que ni le principe de la liberté des conventions matrimoniales d’ordre public en droit interne ni les objectifs de sécurité juridique et de prévisibilité invoquées ne pouvait faire obstacle à la reconnaissance en France de la décision américaine.

 

Dernier point qui posait souci pour Monsieur Z était la problématique liée à l'exercice de l'autorité parentale qui relève de l’ordre public international français. 

Or, il reprochait au jugement de divorce étranger de mettre à néant l'exercice conjoint de l’autorité parentale en donnant à la mère le droit de prendre seule toutes les décisions concernant les enfants sans autre justification que les mauvaises relations mutuelles entre les parents portant ainsi atteinte au principe essentiel du droit français fondé sur l'égalité des parents en l’exercice de l’autorité parentale.

En effet, Monsieur Z n’acceptait pas le fait que les jugements américains prévoyaient que la décision finale appartiendrait dans tous les cas à la mère, privant par la même le père de toute autorité parentale.

Un dernier point était par ailleurs soulevé par Monsieur Z

 

Exequatur et autorité parentale

Là encore, la Cour de cassation considère que si le principe d’égalité des parents au regard de l’autorité parentale relève de l’ordre public international français, la circonstance qu'une décision étrangère réserve à l’un des parents le soin de prendre seul certaines décisions relatives aux enfants ne aux principes d’autorité parentale telle que consacrée en droit français.

Pour autant, la Cour a relevé que la décision américaine qui organise les droits de visites et d’hébergement du père en tenant compte de l'éloignement géographique de celui-ci conformément à l’accord des parties, lui ménage des rencontres régulières avec ses enfants pendant l’année scolaire et les vacances.

La Cour retient ensuite, s'agissant des modalités d'exercice de l’autorité parentale, que les jugements américains s’appuyaient sur les recommandations d’un expert psychiatre afin de réserver à la mère la décision finale en cas de désaccord, 

Le juge américain motivant sa décision en soulignant, d'une part, les mauvaises relations entre les parents qui ne sont pas parvenus par la procédure de divorce à discuter sur les questions de l’éducation de leurs enfants, et d'autre part, par l'intérêt pour les enfants d'éviter des conflits constants concernant leur vie.

La Cour rappelle enfin que ces jugements rappellent le devoir de consulter le père, de prendre ses préférences et préoccupations et d’essayer de l’inclure dans les événements significatifs de la vie des enfants.

C’est ainsi que la Cour de cassation a considéré que la décision américaine faisait ressortir que les mesures relatives aux enfants avaient été arrêtées par référence à leur intérêt supérieur et que les droits du père n'avaient pas été méconnus, celui-ci devant être, à chaque fois, consulté avant toute décision. 

La Cour de cassation décide ainsi que la décision américaine devait être reconnue dans l’ordre juridique français en l'absence de violation de l’ordre public international.

C’est dans ces circonstances que le pourvoi de Monsieur Z est rejeté.

Cette jurisprudence qui vient aborder plusieurs points est intéressante à plusieurs titres.

Elle met en exergue les paradoxes possibles de la procédure d’exequatur.

 

Deux leçons s’imposent.

Premièrement, force est de constater que le contrat de mariage de séparation de biens ne saurait pas forcément survivre au-delà des frontières françaises, ce qui doit amener chaque ressortissant français s’installant durablement à l’étranger de transposer ce contrat de mariage séparatiste français en droit local. 

Deuxièmement, elle illustre parfaitement les difficultés procédurales propre à la procédure d’exequatur en ne faisant pas perdre de vue la nécessité de bien se défendre dans le pays ou la procédure du divorce est initiée, et ce, sans attendre de voir la décision étrangère exequaturée en France.

 

La synergie entre cabinets d’avocats étranger et avocat français demeure plus que jamais une nécessité, d’où l’investissement de Maître Laurent Latapie, avocat français, au sein de l’union Internationale des Avocats. 

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE

Avocat, Docteur en Droit