Les parents d’un dirigeant de SCI en liquidation judiciaire peuvent-ils porter les enchères ou faire une surenchère dans le cadre de la procédure de saisie immobilière en cours sur le bien immobilier appartenant à ladite SCI ? Ou risquent-ils de se voir opposés l’interdiction d’aliéner à un parent ou allié du débiteur et dirigeant comme l’impose le droit de l’entreprises en difficulté ? 

 

Il convient de nous intéresser à une jurisprudence qui a été rendue en février dernier et qui vient aborder la problématique spécifique des conditions d’exercice d’une surenchère dans le cas d’une procédure de saisie immobilière alors que le bien saisi et appartient à une Société Civile Immobilière placée sous le coup d’une liquidation judiciaire.

 

Quels sont les faits ? 

Dans cette affaire, la SCI a été mise en redressement puis en liquidation judiciaire les 29 mars et 26 septembre 2016, Maître J. ayant été désignée mandataire liquidateur de ladite SCI et a été autorisé à reprendre la procédure de saisie immobilière qui avait été engagée par un créancier avant l’ouverture de la procédure collective.

Par la suite, le 2 juin 2018, l’immeuble saisi avait été adjugé à la société adjudicatrice, la société G, et les parents du gérant de la SCI ont alors formé une surenchère du 10ème qui a été ensuite contesté par la société adjudicataire.

Telle est la situation qui se présentait devant la Cour de cassation.

 

Des parents du dirigeant surenchérisseurs 

Cette jurisprudence oppose une fois de plus deux droits, 

Celui du droit de la saisie immobilière, 

Et celui du droit de l’entreprise en difficulté,

Cette jurisprudence posait la question de savoir, si oui ou non, les parents du gérant de la SCI pouvaient se porter adjudicataires ou pouvaient faire surenchère dans le cadre de la procédure de saisie immobilière alors que même que les règles spécifiques du droit de l’entreprise en difficulté imposent, et ce, aux termes des articles L.641-18 et L.641-19 du Code du commerce,  des interdictions d’acquérir prévues en matière de cession d’actifs isolés au sein de la procédure de liquidation judiciaire.

 

L’interdiction d’acquérir les biens du débiteur

En effet, au rang des personnes visées par ces interdictions figurent les parents ou alliés jusqu’au second degré du débiteur ou de son dirigeant.

Cette règle avait été alors critiquée en son temps en ce qu’elle conduisait à exclure des ventes aux enchères publiques les personnes potentiellement les plus intéressées par les actifs à réaliser, ce qui revenait finalement à nuire finalement aux intérêts du débiteur comme à ses créanciers en les privant d’une chance d’obtenir le prix le plus élevé, ce qui était paradoxalement contraire à la conception même de la vente aux enchères publiques et de la saisie immobilière dont on espère classiquement voir monter au plus haut les enchères.

Bien plus, il y a tout lieu de penser que les articles L.641-18 et L.641-19 du code de commerce, propres au droit de l’entreprise en difficulté semble bien contraire aux dispositions du droit de la saisie immobilière qui dans le cadre de sa réforme de 2006 avait introduit une disposition prévoyant que sous réserves des incapacités de droit limitativement énumérées et essentiellement liées à la capacité, le droit de la saisie immobilière permet à toute personne de se porter enchérisseur si elle justifie des garanties de paiement.

La question s’est posée clairement de savoir dans quelles conditions les dispositions du droit de la saisie immobilière et les dispositions dans l’entreprise en difficulté avaient vocation à s’appliquer et à s’enchevêtrer entre elles.

 

Les parents du dirigeant et leur volonté de surenchère

Or, dans le cadre de leur pourvoi, les parents du gérant faisaient grief à la Cour d’Appel d’avoir fait droit à la contestation de l’adjudicataire et d’avoir annuler leur déclaration de surenchère alors que, selon eux, l’interdiction faite aux parents et alliés jusqu’au 2ème degré inclusivement du débiteur liquidé, du dirigeant de la personne morale liquidée de présenter une offre de reprise de son entreprise ou de ses biens prévue par les articles L.642-3 et L.642-10 du Code du Commerce n’interdit pas à ses proches de porter une enchère ou surenchère dans le cadre de la vente aux enchères publiques des biens du débiteur.

Les consorts R reprochaient à la Cour d’appel d’avoir retenu, pour annuler la surenchère formée par les époux R. dans le cadre de la vente aux enchères publiques de l’immeuble de la SCI, qu’ils étaient les parents du dirigeant de ladite SCI et que la prohibition à l’article L.642-3 était belle et bien applicable à la vente aux enchères.

 

Une surenchère annulée

Or, ces derniers considèrent que cela ne visait ni l’enchère, ni la surenchère qui ne pouvaient être considérée comme des offres, de telle sorte que la Cour d’Appel avait, selon eux, violé les articles L.642-3 et L.642-10 du Code du Commerce.

Il convient de rappeler les termes de cette « interdiction familiale », 

L’article L.642-3 du Code du Commerce dispose que « ni le débiteur, au titre de l'un quelconque de ses patrimoines, ni les dirigeants de droit ou de fait de la personne morale en liquidation judiciaire, ni les parents ou alliés jusqu'au deuxième degré inclusivement de ces dirigeants ou du débiteur personne physique, ni les personnes ayant ou ayant eu la qualité de contrôleur au cours de la procédure ne sont admis, directement ou par personne interposée, à présenter une offre ».

Ce même texte prévoit que « tout acte passé en violation de cette disposition est annulé à la demande de tout intéressé ou du ministère public, présentée dans un délai de trois ans à compter de la conclusion de l'acte ».

Enfin, il convient de rappeler qu’une dérogation reste possible et la cession à l’une des personnes visées au premier alinéa de l’article L.642-3 peut-être autorisée par un jugement spécialement motivé, pris sur requête du Ministère Public.

La question était de savoir si oui ou non, ces dispositions propres du droit de l’entreprise en difficulté avaient vocation à s’appliquer dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière.

La Cour de Cassation apporte une réponse précise dans cette affaire.

 

Une interdiction familiale applicable en saisie immobilière

En effet, elle rappelle que c’est à bon droit que l’arrêt retient que les articles L.642-18 et L.642-19 du Code du Commerce qu’elle renvoi à l’article L.642-20 du même Code traitent spécialement des ventes aux enchères publiques des biens immobiliers du débiteur en liquidation judiciaire ainsi que de la vente amiable aux enchères des autres biens de ce débiteur.

Il en résulte que l’interdiction de la cession des actifs par quelque voie que ce soit aux parents jusqu’au 2ème degré des dirigeants de la personne morale débitrice que pose l’article L.642-3 du Code du Commerce ou qu’elle renvoi l’article L.642-20 du même Code est applicable aux consorts R. à l’exclusion des dispositions des articles L.322-7 et R.322-39 du Code des Procédures Civiles d’exécution.

Ainsi, le droit de l’entreprise en difficulté l’emporte sur le droit de la saisie immobilière et vient clairement consacrer l’interdiction pour les parents du dirigeant de la SCI de racheter lesdits actifs liquidés tantôt dans le cadre d’une vente amiable, tantôt dans le cadre d’une saisie immobilière fussent-ils au dernier stade de la surenchère.

Cette jurisprudence emporte deux conséquences, 

La première est qu’effectivement, et on peut rejoindre la Doctrine en la matière, cela peut sembler critiquable car bien souvent se sont les proches qui ont un intérêt à racheter le bien au meilleur prix pour désintéresser le plus de créanciers, ce qui peut effectivement sembler, comme le soulignait le Professeur PEROCHON, contradictoire quant à l’intérêt collectif de l’ensemble des créanciers de la procédure collective ainsi que ceux du débiteur par ailleurs.

Mais surtout, cela signifie clairement qu’il appartient donc à la famille qui souhaite acquérir l’actif de s’organiser dans un sens qui permettrait d’anticiper cette interdiction légale désormais consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE

Avocat, Docteur en Droit