Dans un arrêt rendu le 14 juin 2023 (n° 21-21.678), inédit, la chambre sociale de la Cour de cassation a traité la question de la liberté d’expression du salarié en entreprise et de l’abus qui peut en résulter.

La liberté d'expression et licenciement pour cause réelle et sérieuse ?

Un salarié engagé en qualité de consultant senior, statut cadre, a été licencié après avoir reçu un avertissement, compte tenu de ses propos irrespectueux envers son supérieur hiérarchique et ses collègues.

Il a saisi la juridiction prud’homale d’une contestation de la rupture de son contrat de travail, de demandes afférentes ainsi que d'une demande relative à la perte de stock-options.

L’arrêt d’appel a jugé que son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, ce qui a entraîné le rejet des demandes indemnitaires du salarié au titre de son licenciement.

2ème étape : le pourvoi en cassation pour défendre des propos non diffamatoires, injurieux ou excessifs

Le salarié forme un pourvoi en cassation en soutenant que ses propos n'étaient pas diffamatoires, injurieux ou excessifs au point de constituer un abus de la liberté d'expression, de sorte que la cour d’appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail, selon lequel :  

« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

L'importance de l’appréciation des juges du fond

La Cour de cassation devait déterminer si les propos tenus par le salarié entraient dans le champ de sa liberté d’expression en entreprise ou si, au contraire, ils s’en détachaient de sorte à constituer un abus dans l’exercice de la liberté d’expression.

Pour décider du rejet du pourvoi en cassation, la Cour de cassation a repris les constatations des juges du fond sur les propos excessifs du salarié, caractérisés en plusieurs temps.

Dans un premier temps, il est retenu qu’au sein d’un courriel du 3 avril 2013, le salarié avait exprimé une critique à l'égard de son supérieur hiérarchique auquel il reprochait d'avoir réagi tardivement à une demande de sa part, en des termes insultants et irrespectueux, non justifiés par le contexte « J'aimerais que tes réponses soient en correspondance avec ton poste de manager et je ne veux plus de ce type de réponse bidon », propos irrespectueux qu'il avait réitérés dans un second courriel envoyé le lendemain. 

Dans un deuxième temps, il est relevé que l'intéressé avait écrit à un autre salarié : « heureusement que d'autres commerciaux sont plus aguerris et réactifs » et avait émis, dans un courriel du 13 février 2013 adressé à son supérieur hiérarchique, un commentaire désobligeant à l'égard d'une collaboratrice consultante, libellé en ces termes : « Encore une fois elle ne prévient personne ni le client ni le consultant ; si elle ne fait pas d'effort je t'invite à trouver un nouveau consultant pour ce compte. J'ai déjà eu des accrochages avec elle sur le fait qu'elle ne dise rien au consultant sur site. N'hésites pas à en parler à son responsable le cas échéant car elle n'a pas retenu la leçon ».

Enfin, il est constaté que le salarié avait fait l'objet d'un précédent avertissement motivé par son comportement et un mode de communication totalement inappropriés avec ses collègues de travail, son employeur l'ayant incité à avoir une attitude plus constructive dans ses relations de travail.

La Cour de cassation précise que la caractérisation de l’abus du salarié dans l’exercice de la liberté d’expression relève de l’appréciation des juges du fond, compte tenu des pouvoirs qu’ils tiennent de l’article L. 1235-1 du code du travail, selon lequel il appartient au juge d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur.

Le contrôle léger opéré par la Cour de cassation témoigne pleinement d’une certaine latitude conférée aux juges du fond pour identifier l’abus du salarié dans l’exercice de la liberté d’expression, notamment au regard des propos tenus et du comportement adopté, qui relèvent, dans cette espèce comme dans d’autres, similaires, plus de constatations factuelles que d’appréciations strictement juridiques.

Jérémy DUCLOS
Avocat au barreau de Versailles
Spécialiste en droit du travail