Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 décembre 2020 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant les dispositions de l’article 396 du code de procédure pénale qui prévoient :
« Dans le cas prévu par l’article précédent, si la réunion du tribunal est impossible le jour même et si les éléments de l’espèce lui paraissent exiger une mesure de détention provisoire, le procureur de la République peut traduire le prévenu devant le juge des libertés et de la détention, statuant en chambre du conseil avec l’assistance d’un greffier.
Le juge, après avoir fait procéder, sauf si elles ont déjà été effectuées, aux vérifications prévues par le huitième alinéa de l’article 41, statue sur les réquisitions du ministère public aux fins de détention provisoire, après avoir recueilli les observations éventuelles du prévenu ou de son avocat ; l’ordonnance rendue n’est pas susceptible d’appel.
Il peut placer le prévenu en détention provisoire jusqu’à sa comparution devant le tribunal. L’ordonnance prescrivant la détention est rendue suivant les modalités prévues par l’article 137-3, premier alinéa, et doit comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision par référence aux dispositions des 1° à 6° de l’article 144. Cette décision énonce les faits retenus et saisit le tribunal ; elle est notifiée verbalement au prévenu et mentionnée au procès-verbal dont copie lui est remise sur-le-champ. Le prévenu doit comparaître devant le tribunal au plus tard le troisième jour ouvrable suivant. A défaut, il est mis d’office en liberté.
Si le juge estime que la détention provisoire n’est pas nécessaire, il peut soumettre le prévenu, jusqu’à sa comparution devant le tribunal, à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire ou le placer sous assignation à résidence avec surveillance électronique. La date et l’heure de l’audience, fixées dans les délais prévus à l’article 394, sont alors notifiées à l’intéressé soit par le juge ou par son greffier, si ces informations leur ont été préalablement données par le procureur de la République, soit, dans le cas contraire, par le procureur ou son greffier. Toutefois, si les poursuites concernent plusieurs personnes dont certaines sont placées en détention, la personne reste convoquée à l’audience où comparaissent les autres prévenus détenus. L’article 397-4 ne lui est pas applicable. Si le prévenu placé sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique se soustrait aux obligations qui lui sont imposées, les dispositions du deuxième alinéa de l’article 141-2 sont applicables. »
Par sa décision n° 2020-886 QPC en date du 4 mars 2021, le Conseil Constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution les dispositions de l’article 396 précité.
En l’espèce, le requérant fait grief à l’article 396 du code de procédure pénale, de méconnaître le principe de présomption d’innocence et plus précisément du droit de se taire dans la mesure où les dispositions dudit article ne prévoient pas que le juge des libertés et de la détention, saisi aux fins de placement en détention provisoire dans le cadre de la procédure de comparution immédiate, doit notifier au prévenu la possibilité de garder le silence.
Ainsi, le prévenu qui comparaît devant le juge des libertés et de la détention et qui n’est pas expressément averti de la possibilité qui lui est offerte de bénéficier du droit de se taire pourrait être tenté de s’auto-incriminer pour éviter un placement en détention provisoire.
Le procès-verbal de comparution est porté à la connaissance du tribunal correctionnel chargé de se prononcer sur sa culpabilité.
Pour déclarer les dispositions contestées non conformes à la Constitution, le Conseil constitutionnel se fonde sur l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 rappelant que tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable et a fortiori, n’est pas tenu de s’auto-incriminer ce dont découle le droit de se taire.
Le Conseil rappelle que l’article 395 du code de procédure pénale vise la possibilité pour le procureur de la République de saisir le tribunal correctionnel en comparution immédiate si l’affaire est en état d’être jugée et, en application de l’article 396, de traduire le prévenu devant le juge des libertés et de la détention en vue de procéder à un placement en détention provisoire jusqu’à sa comparution devant le tribunal correctionnel qui statuera dans le cadre de la comparution immédiate au plus tard le troisième jour ouvrable suivant. Dans une telle situation, le juge des libertés et de la détention qui doit statuer par ordonnance motivée énonçant les considérations de droit et de fait, doit apprécier les faits retenus à titre de charges par le procureur de la République dans sa saisine.
Le risque d’une part pour le juge des libertés et de la détention de porter une appréciation des faits retenus à titre de charge par le procureur de la République d’autre part pour le prévenu, d’être amené à reconnaitre les faits lorsque le juge des libertés et de la détention l’invite à présenter ses observations portent atteinte, selon le Conseil constitutionnel, au droit de se taire et les dispositions doivent dès lors être déclarées contraires à la Constitution. Le fait même que le juge des libertés et de la détention invite le prévenu à présenter des observations peut être de nature à lui laisser croire qu’il ne dispose pas du droit de se taire.
Le droit de se taire est consacré par la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 6 de la Convention. Ce droit signifiant que la personne entendue a le droit « de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination et s’applique au niveau européen à l’ensemble de la procédure pénale » (Rép. pén., v° Impact de la question prioritaire de constitutionnalité sur la matière pénale, par A. Cappello).
Ce droit a été consacré au niveau constitutionnel, à l’occasion de la décision du 30 juillet 2010 relative à la garde à vue (Cons. const. 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, AJDA 2010. 1556; D. 2010. 1928 ; AJ pénal 2010. 470, étude J.-B. Perrier) mais celle-ci n’a pas eu de portée générale.
Il a fallu attendre, d’une part, le rétablissement du droit de se taire dans la procédure pénale par la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue (JO 15 avr.) dont la portée est restreinte puisqu’elle ne concerne que la personne gardée à vue, et d’autre part, la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive n° 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JO 28 mai) dont la portée est beaucoup plus large puisqu’elle concerne l’ensemble de la procédure pénale.
La Cour de cassation a, à diverses reprises, considéré que le défaut d’information initiale du droit de garder le silence fait nécessairement grief au mis en cause (Crim. 8 juill. 2015, n° 14-85.699, Dalloz actualité, 29 juill. 2015, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2015. 1600; AJ pénal 2015. 555, obs. C. Porteron). Elle a néanmoins apporter une précision en matière d’instruction, du fait des nombreux actes successifs, en considérant qu’il ne résultait « d’aucun texte que le magistrat instructeur ait l’obligation de renouveler, à l’occasion de chaque mise en examen supplétive, l’avertissement du droit de se taire » (Crim. 24 avr. 2013, n° 12-80.750 ; Crim. 26 sept. 2012, n° 12-80.750, D. 2012. 2607).
La question restait néanmoins sérieuse aux faits de l’espèce puisqu’il s’agissait d’une présentation à un juge des libertés et de la détention, dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate.
Désormais et jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi, le juge des libertés et de la détention doit informer le prévenu qui comparait devant lui, de son droit de garder le silence.
On ne peut que se réjouir d’une telle décision en faveur des droits fondamentaux et des droits de la défense.
Pour lire la décision, cliquez ici
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