L’apport du Règlement 1259/2010 du 20 décembre 2010 dans le contexte des divorces franco-allemands

Le 21 juin 2012, le règlement 1259/2010 du 20 décembre 2010 dit Rome III sur la loi applicable au divorce et à la séparation de corps des couples internationaux dans l’UE est entré en vigueur.

L’Union Européenne poursuit par ce texte son objectif de garantir aux citoyens des solutions appropriées en termes de sécurité juridique, de prévisibilité et de souplesse, et d’empêcher une situation dans laquelle l’un des époux demande le divorce avant l’autre pour faire en sorte que la procédure soit soumise à une loi donnée qu’il estime plus favorable à ses propres intérêts.[1]

Par cette législation, l’Union Européenne a enfin offert aux époux ressortissant des états qui ont choisi la coopération renforcée qui consiste à une harmonisation du droit applicable aux divorce internationaux.[2] Ces couples ont désormais notamment la possibilité de choisir la loi qui s’applique à leur mariage. Le règlement permet donc aux conjoints qui sont menés à vivre dans un pays étranger, appartenant à un pays de l’Union Européen qui a choisi d’entrer en coopération approfondie.

En droit français, le mariage est l’institution par laquelle deux personnes (car depuis la loi du 7 mai 2013 des couples homosexuels ont, en France, également la possibilité de se marier), s’unissent pour vivre ensemble et fonder une famille.

Il est donc dit par certains, que le mariage serait une institution, alors qu’il revêt  toutes les caractéristiques du contrat. La loi, en droit français tout comme en droit allemand, le traite d’ailleurs généralement comme un contrat et c’est souvent pour justifier certaines  incohérences que les juristes ont recours à sa qualification en tant qu’institution.[3]

Cette première réflexion est importante pour préparer le raisonnement que nous allons développer dans cette contribution.

Le contrat est un acte juridique résultant de l’accord de volontés pour donner naissance à un lien de droit, des obligations entre les parties. Le principe de l’autonomie de la volonté offre une grande latitude aux cocontractants quant à la détermination des modalités de leur engagement dès lors que cela ne contrarie pas les lois qui intéressent les bonnes m½urs ou l’ordre public. Les volontés interviennent également pour opérer une modification du contrat ou y mettre un terme. Si l’une des parties ne respecte pas les obligations souscrites, elle engage sa responsabilité contractuelle.

 

De notre point de vue, le mariage n’est rien d’autre qu’un contrat type, proposé par la loi. Les parties sont libres de choisir le régime type qui s’applique à leur mariage. Désormais, ils peuvent également choisir le droit national qui s’appliquera à leur contrat (de mariage).

Le fait que le mariage soit prononcé par un officier d’état civil n’est qu’une condition formelle telle que l’est l’acte authentique qui doit intervenir en droit allemand pour transférer valablement un bien immobilier.

Le règlement 1259/210 du 20 décembre 2010, qui s’applique directement en droit français sans besoin de transposition, affirme la position de ceux qui considèrent que le mariage est bel est bien un contrat, car l’influence de la volonté des contractants sur le mariage est déterminante si l’on leur permet de choisir le droit qui s’applique. C’est donc les époux qui peuvent décider et qui ne sont plus forcément soumis à des lois nationales qui s’appliquent à eux.

Depuis le 21 juin 2012, en droit français tout comme en droit allemand, les époux peuvent donc choisir la loi à laquelle est soumis leur mariage. Ils peuvent modifier l’ensemble du régime matrimonial (c’est-à-dire, pour rester dans la terminologie du droit des contrats, basculer de l’application d’un contrat type à un autre).

Similaire à ce qui se retrouve dans le cadre de relations contractuelles, les époux peuvent évidemment invoquer l’inexécution d’obligations qui résultent du contrat et ils peuvent mettre un terme à leur mariage tout (ou presque) comme un contractant peut résilier un contrat à durée indéterminée. Si l’un des époux refuse de donner son accord au divorce par consentement mutuel (donc à ce qui correspond à la résiliation à l’amiable d’un contrat), il ne pourra pourtant pas pour autant s’opposer à ce que le juge prononce le divorce (ce qu’il fera au plus tard après deux ans de séparation du couple concerné).

Ces règles sont plus ou moins similaires en droit français et en droit allemand.

 

I.   Les causes du « forum shopping » dans les divorces franco-allemand

Une difficulté majeure dans les divorces internationaux et, plus particulièrement, dans les divorces franco-allemands, est posée par la règle de l’article 309 du code civil.

En application de l’article 309 du code civil, « Le divorce et la séparation de corps sont régis par la loi française :

-    lorsque l'un et l'autre époux sont de nationalité française ;

-      lorsque les époux ont, l'un et l'autre, leur domicile sur le territoire français ;

-      lorsqu’aucune loi étrangère ne se reconnaît compétence, alors que les tribunaux français sont compétents pour connaître du divorce ou de la séparation de corps.

 

Le droit international privé français oblige donc le juge français, s’il est territorialement compétent, à appliquer le droit matériel français à un divorce d’un mariage qui a été formé en Allemagne sous la simple condition que « les époux ont, l’un et l’autre, leur domicile sur le territoire français ».

 

Les conséquences juridiques et les obligations réciproques qui découlent d’un mariage sont très différentes d’un pays à l’autre.

 

La réalité actuelle peut mener à des résultats insatisfaisants en ce qui concerne les divorces d’étrangers en France, car le droit français impose aux couples étrangers, s’étant mariés dans un pays étranger, sous l’application d’un droit étranger, l’application du droit français. Les conséquences du divorce seront donc dictées par le droit français, ce qui ne correspond pas à ce qui a été prévu au moment du mariage.

 

Plus concrètement, le juge français accordera notamment (s’il y a lieu) une prestation compensatoire en application de l’article 271 du Code civil, alors que le droit allemand, par exemple, prévoit dans ses §§ 1569 et suivants du BGB une pension alimentaire qui est généralement accordée suite au divorce.

 

Retenons que la « solidarité entre époux » ne cesse pas après le divorce en droit allemand. Même après un divorce, les anciens époux restent responsables de la survie économique réciproque.[4]

 

Lorsqu’un couple de nationalité allemande, qui s’est marié en Allemagne, est amené à divorcer en France, le juge français appliquera l’article 309 du code civil et, en conséquence, le droit français. Il n’accordera ni de pension alimentaire à l’une des parties, ni de partage des droits à la retraite, comme l’impose le droit allemand.

 

Si l’on considère que le mariage a des traits caractériels d’un contrat, il est étonnant que le contenu du mariage soit modifié par le simple fait que les parties contractantes aient déménagé. Si l’on considère qu’il s’agit d’une « institution » on tient la justification.

 

Le résultat sera notamment insatisfaisant du point de vue de l’époux qui se trouve dans une situation de faiblesse et qui ne pourra plus compter sur le respect des droits qu’il a pourtant acquis lorsqu’il s’est marié. A travers le droit international privé français et, en conséquence, à travers l’application du droit matériel français, l’époux se verra privé des sécurités que prévoyait le mariage auquel il a donné son consentement !

 

Ces sécurités doivent être considérées comme fondement du contrat : nous devons estimer que les parties, ou au moins l’une des parties, n’auraient pas consenti au mariage si les droits dont ils bénéficiaient en cas de divorce, n’avaient pas existé.

 

Les parallèles avec la situation décrite par la théorie de l’imprévision en droit des contrats sont flagrantes. L’article 309 du code civil permet au juge d’appliquer au mariage, qui initialement était soumis à des règles juridiques étrangères, le droit français et ceci à cause du changement imprévu des circonstances extérieures du mariage, en l’occurrence le déménagement du couple.[5]

 

Pour illustrer la situation décrite, il est utile de constater une réalité sociale qui existe toujours à nos jours. De nombreux couples mariés adoptent un fonctionnement traditionnel qui consiste dans un partage des devoirs. Ainsi l’un des époux sera chargé d’assurer l’existence matérielle de la famille (notamment en travaillant en tant que salarié ou comme travailleur indépendant ou entrepreneur), alors que l’autre s’occupera du foyer et assurera l’éducation des enfants. Souvent, lorsque celui qui s’occupe de l’éducation des enfants, souhaite reprendre un travail rémunéré, il choisit de travailler à temps partiel.[6]

 

La liberté de la circulation des travailleurs dans l’espace de l’UE est garantie par l’article 39 du TCE. Elle est une  réalité aujourd’hui. Il est donc parfaitement commun de voir des familles émanant des pays étrangers européens s’installer en France, souvent pour quelques années seulement. Ceci se fait souvent suite à des choix professionnels dans le cadre d’une mission, d’une embauche en France etc. Ainsi, des familles viennent vivre en France souvent pour une période limitée.

 

En revanche, le cadre juridique de ces familles a été initialement assuré par un droit étranger, si les personnes concernées se sont mariées dans leur pays d’origine. L’application de l’article 309 du code civil soumet les mariages concernés au droit français.

 

La solution proposée par le droit international privé allemand est d’ailleurs une autre. En effet, l’article 14 du EGBGB dispose que les effets du mariage sont soumis au droit de la nationalité commune des époux.[7]

 

Comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, l’importance du choix du for est déterminante, lorsque le divorce a un élément d’extranéité avec l’Allemagne.

 

Généralement, il peut être constaté qu’un divorce en Allemagne sera plus favorable pour celui qui a moins de revenus que pour l’autre. En droit allemand, le mariage est une sorte de contrat d’assurance : en cas de séparation et de divorce, l’époux qui a plus de moyens financiers doit soutenir celui qui n’en a pas.

 

De plus, le droit allemand prévoit la procédure du « Versorgungsausgleich » (souvent traduit par « péréquation de pensions »[8]), qui consiste dans le partage de droits à la retraite qui ont été accumulés pendant la durée du mariage.

 

Ceci est bien évidemment du droit dispositif et les parties peuvent prévoir d’autres solutions dans un contrat de mariage. Le Tribunal contrôlera tout de même si le choix exprimé par les époux n’est pas « sittenwirdrig », contraire aux bonnes m½urs.

 

Finalement, nous faisons également face à des différences entre les régimes matrimoniaux légaux français et allemand, entre la communauté réduite aux acquêts et la « Zugewinngemeinschaft ».

 

En droit français, le jugement de divorce condamne souvent l’époux qui bénéficie de plus de moyens financiers à payer une prestation compensatoire en application de l’article 271 du code civil.

 

Mais cette prestation compensatoire est généralement inférieure à la pension alimentaire accordée suite au divorce en application du droit allemand. Elle ne représente généralement qu’une fraction de la pension alimentaire accumulée avec le « Versorgungsausgleich ».

 

En effet, la prestation compensatoire est censée prendre en compte six éléments. L’article 271 du code civil énonce la durée du mariage, l’âge et l’état de santé des époux, la situation professionnelle des époux, les choix professionnels des époux faits pendant la vie commune pour l’éducation des enfants, le patrimoine prévisible des époux après le divorce, leurs droits existants et prévisibles et finalement, leur situation respective en matière de retraite.

 

En matière de retraite, la prestation compensatoire sera évaluée selon les choix de mode de vie que les époux ont effectués pendant leur vie commune. Concrètement, si les époux ont convenu que l’un d’eux quitte son travail pour s’occuper des enfants, le juge tiendra compte du fait que suite à ce choix, l’un des époux aura accumulé des droits à la retraite moins importants.

 

Même si le juge français est amené, en application de l’article 309 du Code civil, à appliquer le droit français au divorce d’un couple de nationalité allemande ou mixte, qui s’est marié en Allemagne et qui est venu, pour une raison ou autre, vivre en France, une procédure en Allemagne concernant la péréquation de pensions (« Versorgungsausgleich ») sera maintenu par la juridiction allemande compétente.[9]

 

Le § 1587 du BGB renvoie à la loi concernant le partage des droits à la retraite (le « Versorgungsausgleichsgesetz ») pour régler les détails du partage.[10]

 

Le partage des droits à la retraite se fait une fois que le divorce a été prononcé et qu’il est passé en force de chose jugée. Si l’un des époux, qui ont acquis des droits à la retraite, est de nationalité allemande et que l’un des époux ait acquis des droits à la retraite en Allemagne, le juge allemand est compétent pour exécuter ce partage. La compétence pour le partage sollicité par une personne qui ne vit pas sur le territoire de la République Fédérale d’Allemagne est attribuée au Amtsgericht Schöneberg (tribunal d’instance de Berlin Schöneberg).

 

Cette option est donc ouverte sous la simple condition que les droits aient été acquis en Allemagne et que l’une des époux soit de nationalité allemande. Le partage sera néanmoins réduit aux droits acquis en Allemagne. Malgré la compétence du tribunal allemand pour exécuter le partage des retraites, l’époux qui a par exemple suivi son époux en France, aura intérêt à engager la procédure de divorce en Allemagne car c’est dans cette hypothèse que les droits à la retraite acquis à l’étranger seront également partagés.

 

Mais la différence la plus importante entre les conséquences du divorce en Allemagne et en France est la pension alimentaire accordée par le juge allemand.

 

Le tribunal allemand prononcera le jugement de divorce en appliquant les règles du BGB. Dans la mesure où le droit allemand ne connaît pas de prestation compensatoire, une pension alimentaire sera généralement attribuée à l’époux qui a moins de revenus, en application des §§ 1569 et suivant du BGB.

 

Même si le § 1569 du BGB dispose que « après le divorce chaque époux a l’obligation de subvenir lui-même à son entretien », la seconde phrase n° 2 du même paragraphe indique que « S’il n’est pas en état de le faire, il ne peut prétendre contre l’autre à l’entretien que conformément aux dispositions suivantes ».

 

Ainsi, le chapitre 2 du sous-titre concernant l’entretien de l’époux divorcé, prévoit un certain nombre de cas, dans lesquels le législateur allemand accorde une pension alimentaire à l’époux qui a en charge un enfant (et il ne s’agit pas ici de l’entretien de l’enfant, mais de l’entretien de l’époux qui, du fait qu’il ne travaille pas pour garder son enfant, ne peut assurer sa survie économique), à l’époux dont on ne peut pas attendre de travailler dû à son âge ou à cause de son état de santé, ou simplement parce qu’il ne travaille pas pour subvenir à ses besoins.

 

En effet, le § 1573 du BGB précise que « dans la mesure où un époux divorcé n’a pas de créance d’entretien aux termes des §§ 1570 à 1572 du BGB, il peut cependant réclamer l’entretien, aussi longtemps et dans la mesure où après le divorce il n’a pu trouver une activité rémunératrice convenable ».

 

Ce § 1573 du BGB est le fondement juridique qui est le plus souvent invoqué pour justifier une demande en condamnation au paiement d’une pension alimentaire après divorce.

 

Le « Unterhalt », la pension alimentaire due à l’époux après le divorce, peut s’appliquer en calculant 3/7 de la différence entre les revenus des deux époux. Cette pension sera généralement maintenue afin de permettre à l’époux de garder le même niveau de vie qu’il a connu pendant le mariage.[11] L’obligation de payer une pension alimentaire cessera le jour où l’époux aura suffisamment de revenus pour assurer son niveau de vie. Si, par exemple, l’époux ne peut plus aller travailler dû à son âge ou à son état de santé, la pension alimentaire sera redevable « ad aeternam ».

 

Sous certaines conditions, la pension alimentaire accordée en Allemagne dépasse donc, sous certaines conditions, largement la prestation compensatoire accordée par les juridictions françaises.

 

Souvent, l’enjeu réel dans une procédure de divorce avec élément d’extranéité avec l’Allemagne réside ici.

 

Le juge allemand fixera donc une contribution pour l’entretien et l’éducation des enfants et il procède à la liquidation du régime matrimonial, qui se fait par le jugement de divorce et non pas, comme en droit français, après le divorce.

 

En droit allemand, le partage des droits à la retraite n’a pas d’incident sur une pension alimentaire attribuée à l’époux divorcé, ni sur le « Zugewinnausgleich » (la compensation suite à la liquidation du régime matrimonial légal).

 

Le juge français agit d’une manière très différente. Lors des divorces franco-allemands, la partie qui y voit un avantage, n’hésitera pas à invoquer l’article 271 du code civil en indiquant qu’une procédure en partage de la retraite égaliserait la situation des personnes en matière de retraite et, qu’en conséquence, la prestation compensatoire devrait être réduite.

 

Le partage des droits à la retraite, recevable en Allemagne, sera donc utilisé par la partie adverse afin de réduire la prestation compensatoire. Il faut souligner que le juge allemand ne réduira pas une pension alimentaire accordée à l’époux suite à la compensation des droits à la retraite.

 

Ceci est évidemment un argument qui peut être contré. La valeur de droit à la retraite peut être fixée, mais personne ne sait si la personne à qui appartiennent les droits, pourra en bénéficier, si elle n’a pas déjà atteint l’âge de la retraite. De plus, vue les problèmes démographiques en Allemagne, personne ne sait si un point de retraite (en Allemagne la retraite se calcul par des points qui ont une certaine valeur variable) aura la même valeur au moment de l’entrée en retraite qu’au moment du divorce.

 

De toute manière, le juge français prendra en compte le partage des droits à la retraite pour fixer la pension alimentaire. La fixation de la prestation compensatoire relève du droit discrétionnaire du juge. Il n’applique pas de barème et les chances d’influencer l’importance de la prestation compensatoire in invoquant un éventuel partage des droits à la retraite sont grandes.

 

Comme le partage des droits à la retraite est inconnu en France, la prise en compte de cet institution peut mener les juges à des résultats très différents. Dans une affaire soulevant cette même problématique, le juge aux affaires familiales de première instance attribuait une prestation compensatoire de 40 000 ¤ à l’épouse, notamment en vue des droits de retraite qu’elle allait recevoir dans le cadre du partage (pas encore engagé) effectué par le tribunal berlinois. En appel, les conseillers ne voyait la situation pas de la même manière et ont augmenté la prestation compensatoire à 100 000 euros.[12]

 

Vue la pension alimentaire accordée après le divorce et le partage des droits à la retraite accumulés pendant la durée du mariage, nous pouvons constater que la sécurisation du conjoint économiquement plus faible est plus assuré d’avantage en Allemagne qu’en France.

 

Le mariage est considéré comme un contrat entre les époux qui doit assurer l’avenir économique des époux en cas de divorce. Il est donc évident que les intérêts des époux qui engagent une procédure de divorce franco-allemande auront souvent des intérêts divergeant en ce qui concerne le choix entre la saisi du tribunal français et le tribunal allemand.