Selon un sondage publié par les Echos le 9 mai 2017, 53% des français sont opposés au plafonnement des indemnités prud’homales (1). Emmanuel Macron a toujours fait état de sa volonté de plafonner les indemnités prud’homales dans le prétendu but de supprimer les obstacles à l’embauche et ainsi favoriser l’emploi.
Ce point ne figure pourtant pas expressément dans son programme (2).
Pourtant, non sans contradiction, lors de sa visite à l’usine de Whirpool à Amiens le 26 avril 2017, Emmanuel Macron plaidait devant centaine d’ouvriers qu’il se battrait pour que les salariés de Whirpool obtiennent « des indemnités supra légales » (sic) conséquentes ainsi qu’un Plan de Sauvegarde de l’Emploi sérieux.
En tout cas, cette réforme sur les indemnités prud’homales devra sans aucun doute passer par le filtre du Conseil Constitutionnel qui pourrait contrarier le projet d’Emmanuel Macron.
A cet égard, le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 octobre 2016 a rappelé que les salariés ont droit à réparation du préjudice subi du fait de la perte d’emploi en cas de licenciement sans cause.
En tout état de cause, on va le voir, certaines demandes (rappels de salaires, heures supplémentaires, etc.) devant le Conseil de prud’hommes ne pourront jamais faire l’objet d’un quelconque plafonnement.
Enfin, comme l’indique le rapport de Christine Rostand du 28 avril 2017 sur la réforme des prud’hommes, il y aurait eu une baisse importante (environ 40%) des saisines du Conseil de prud’hommes depuis le 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi éponyme.
I) La "loi" sur le plafonnement des indemnités de licenciement prud’homales ne sera pas applicable aux procédures prud’hommes en cours
En effet, en tout état de cause, si une loi devait intervenir sur les indemnités de licenciement prud’homales, celle-ci ne devrait pas s’appliquer aux instances en cours.
Sauf disposition expresse prévoyant une application rétroactive, la loi nouvelle ne pourrait en effet s’appliquer qu’aux instances initiées à compter de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.
II) L’impossibilité de plafonner certaines indemnités/demandes prud’homales
Certaines indemnités allouées aux salariés demeureront néanmoins « intouchables » et, dans certaines situations, l’employeur pourra toujours faire face à des condamnations financières qu’il n’est pas possible de plafonner.
On pense par exemple à tous les rappels de salaire que le salarié peut être fondé à réclamer et qui ne peuvent être fonction que de sa rémunération : rappel d’heures supplémentaire, rappel de bonus, rappel d’heures de nuit, non-respect des durées maximales de travail, etc.
Cela concerne également aux dommages-intérêts pour harcèlement moral ou sexuel qui, en application du principe de réparation intégrale du préjudice subi, ne sauraient faire l’objet d’un quelconque plafonnement.
III) Le Conseil constitutionnel pourrait contrarier le projet d’Emmanuel Macron
Si Emmanuel Macron entend réformer les indemnités allouées aux salariés en cas de licenciement abusif/sans cause réelle et sérieuse, il devra se conformer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière.
1) La décision du Conseil constitutionnel n°2015-715 du 5 août 2015
En effet, par une décision n°2015-715 du 5 août 2015, celui-ci avait partiellement censuré le barème initialement prévu par la loi Macron au motif que le critère lié à la taille de l’entreprise est contraire au principe constitutionnel d’égalité devant la loi dès lors qu’il ne présente aucun lien avec le préjudice subi par le salarié du fait de la perte de son emploi.
Le Conseil constitutionnel a jugé que « si le législateur pouvait, à ces fins, [favoriser l’emploi en levant les freins à l’embauche] plafonner l'indemnité due au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, il devait retenir des critères présentant un lien avec le préjudice subi par le salarié ». Or, le Conseil a affirmé que « si le critère de l'ancienneté dans l'entreprise est ainsi en adéquation avec l'objet de la loi, tel n'est pas le cas du critère des effectifs de l'entreprise ».
Cette affirmation du Conseil constitutionnel, qui semble admettre la thèse d’Emmanuel Macron selon laquelle réduire le coût des licenciements permettrait de lutter contre le chômage, est à la fois surprenante et en contradiction totale avec une autre décision rendue postérieurement dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L.1235-3 du Code du travail (Décision n°2016-582 QPC du 13 octobre 2016).
2) La décision du Conseil constitutionnel n°2016-582 QPC du 13 octobre 2016 : droit à réparation du préjudice subi du fait de la perte d’emploi et droit à chacun d’obtenir un emploi
En effet, dans cette autre décision du 13 octobre 2016, le Conseil constitutionnel a adopté le raisonnement inverse, affirmant que : « en visant à dissuader les employeurs de procéder à des licenciements sans cause réelle et sérieuse, les dispositions contestées [article L.1235-3 du Code du travail] mettent en ½uvre le droit de chacun à obtenir un emploi découlant du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. En prévoyant une indemnité minimale égale à six mois de salaire, ces dispositions ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre ». Cette décision consacre aussi le « droit à réparation du salarié » en cas de licenciement sans cause.
En tout état de cause, il faut retenir de la décision du 5 août 2016 qu’afin d’assurer la réparation du préjudice lié à la perte d’emploi par le salarié, aucun critère étranger à ce préjudice ne pourrait servir de fondement à la détermination du montant des indemnités accordées.
IV) Ce que pourrait faire Emmanuel Macron
1) Mise en place d’un barème revu à la baisse ou à la hausse (hypothèse 1) ?
Outre la mise en place d’un barème non plus simplement indicatif mais obligatoire, on peut imaginer (redouter ?) que le nouveau Président de la République dont l’un des objectifs de campagne était de lever les obstacles à l’embauche afin de lutter contre le chômage, reverra à la baisse le barème existant.
A l’inverse, bien que ce soit peu probable, il est possible d’envisager qu’en contrepartie de leur plafonnement, le montant des indemnités prévues par le barème soit au contraire revu à la hausse, pour ménager les partenaires sociaux.
Reste à savoir si ce sera effectivement un point de la réforme du Code du travail que portera Emmanuel Macron et, le cas échéant, sur quelle base et selon quels critères les indemnités pour licenciement abusif/sans cause réelle et sérieuse pourraient ainsi être diminuées.
2) Transformation du barème indicatif en barème impératif (hypothèse 2) ?
L’ambition initiale d’Emmanuel Macron (alors Ministre de l’Economie) à travers la loi du 6 août 2015 était de créer un barème impératif dont il serait résulté un plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif/sans cause réelle et sérieuse.
Or, si le Conseil constitutionnel a censuré la référence à la taille de l’entreprise, il a néanmoins pris le soin de préciser que « le législateur, pouvait, à ces fins, [favoriser l’emploi en levant les freins à l’embauche] plafonner l'indemnité due au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse ».
Il semble que le principe du plafonnement des indemnités prud’homales soit donc d’ores et déjà admis par le Conseil constitutionnel, à la seule condition que les critères de détermination du montant de ces indemnités soient en lien avec le préjudice subi par le salarié du fait de la perte de son emploi.
Il est donc envisageable que le Président Macron s’avance sur cette voie.
V) Pour mémoire : rappel du dispositif actuel des indemnités de licenciement prud’homales en cas de licenciement abusif/sans cause : un dispositif équilibré quoi qu’on en dise et qui s’appliquera aux procédures intentées avant la publication de la future loi « Macron »
Le dispositif actuel a été instauré par une loi du 29 septembre 1974.
Il distingue les dommages-intérêts pour licenciement abusif (appelés « DIRA ») (2) et les indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (1) selon l’ancienneté du salarié et l’effectif de l’entreprise. Il prévoit en outre, depuis la loi Macron du 6 août 2015, un référentiel indicatif de ces indemnités (3).
1) Une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse égale à six mois de salaire minimum (salariés de 2 ans d’ancienneté au moins dans une entreprise de plus de 10 salariés)
Le salarié dont l’ancienneté est au moins égale à 2 ans et qui travaille au sein d’une entreprise employant plus de 10 salariés peut, quant à lui, prétendre, au versement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au minimum égale aux 6 derniers mois de salaire qu’il a perçus (article L.1235-3 du Code du travail).
Là encore, le Code du travail laisse une large marge d’appréciation aux juges quant à la détermination du montant de cette indemnité puisqu’il se contente de fixer un minimum en deçà duquel ils ne pourront pas descendre.
En pratique, les magistrats accordent des indemnités très variables selon la situation particulière de chaque salarié (cf. étude du Ministère de la Justice précitée).
2) Des dommages-intérêts pour rupture abusive (DIRA) déterminés en fonction du préjudice subi (salarié de moins de 2 ans d’ancienneté et/ou dans entreprise qui emploie moins de 11 salariés)
Le salarié qui justifie d’une ancienneté inférieure à 2 ans et/ou est employé par une entreprise qui occupe habituellement moins de 11 salariés peut prétendre, s’il est victime d’un licenciement abusif, au versement de dommages-intérêts correspondant au préjudice qu’il a subi (article L.1235-5 du Code du travail).
Le montant des dommages-intérêts est donc déterminé en fonction des éléments que le salarié apporte pour démontrer l’importance du préjudice lié à la perte de son emploi (retour difficile à l’emploi, charges de famille etc.) et varie donc fortement d’un cas d’espèce à l’autre.
3) Un référentiel indicatif des indemnités pour licenciement abusif/sans cause
L’article L. 1235-1 du Code du travail prévoit qu’un référentiel indicatif fixe le montant des indemnités en cas de licenciement abusif (article L.1235-5 du Code du travail) ou dépourvu de cause réelle et sérieuse (article L.1235-3 du Code du travail).
Ce barème a été instauré par le décret n°2016-1581 du 23 novembre 2016 et fait varier les indemnités pour abusif/sans cause réelle et sérieuse de 1 à 21,5 mois de salaire en fonction de l’ancienneté du salarié (article R. 1235-22 -I du Code du travail).
Les montants sont majorés lorsque le salarié est âgé de plus de 50 ans ainsi qu’en cas de difficultés particulières de retour à l'emploi du demandeur tenant à sa situation personnelle et à son niveau de qualification au regard de la situation du marché du travail au niveau local ou dans le secteur d'activité considéré.
Ce barème n’a cependant qu’une valeur indicative. Le juge « peut prendre en compte [ce] référentiel » pour fixer le montant des indemnités en cas de licenciement abusif/sans cause réelle et sérieuse.
En revanche, si les deux parties en font la demande, le juge est tenu de l’appliquer strictement.
Par Maître Frédéric CHHUM
Avocat au Barreau de Paris et Nantes
Et Maître Marilou OLLIVIER
Elève avocate (HEDAC)
Références :
(1)https://www.lesechos.fr/politique-societe/emmanuel-macron-president/0212056049949-les-premieres-mesures-promises-par-macron-soutenues-par-les-francais-2085344.php
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